Introduction
Ce n’est pas la marque informatique que connaissent le mieux les particuliers et le grand public, loin de là. Ses produits ne leur ont d’ailleurs jamais été destinés, la société Bull s’étant dès l’origine spécialisée dans l’informatique professionnelle. Mais le nom de l’entreprise demeure connu par bien des Français, à la fois en raison d’un passé tumultueux, mais aussi parce que l’entreprise est encore aujourd’hui un symbole de souveraineté nationale dans des domaines éminemment stratégiques : les infrastructures informatiques et les services numériques aux entreprises. Depuis les années 1930, bien avant l’apparition des géants bien connus de l’internet et des nouvelles technologies, Bull a accumulé des savoir-faire inédits en traitement de l’information. Tout en s’adaptant aux ruptures technologiques de son époque, voire en en initiant certaines, Bull a développé une expertise certaine en matière de sécurité des flux et des stocks de données dématérialisées. Des systèmes de serveurs physiques aux solutions logicielles, Bull assure désormais l’intégration et la gestion de bout en bout des systèmes d’information pour les entreprises et les administrations.
Le premier brevet fut déposé il y a près d’un siècle par celui qui donna son nom à l’entreprise : le 31 juillet 1921, l’ingénieur Fredrik Rosing Bull dépose un brevet de « trieuse-enregistreuse-additionneuse combinée à cartes perforées ». Ce sont les débuts de l’informatique analogique, bien avant que l’électronique puis le numérique ne prennent le relais. Après 80 ans de rebondissements de l’activité, qui l’ont vu s’implanter aux Etats-Unis et concurrencer IBM sur son terrain, puis passer sous contrôle de l’état français, l’entreprise trouve enfin son rythme de croisière à la fin des années 1990, lorsque se termine la privatisation. Celle-ci sera achevée en 1997, année qui met également un terme à près de deux décennies de restructurations. Entre temps, l’entreprise est redevenue bénéficiaire et s’est imposée comme le dernier acteur européen de l’informatique, en mettant en œuvre depuis le début des années 2000 une politique d’acquisitions ciblées qui tranchent avec la période précédente.
Cette étude aura précisément pour objet de comprendre comment Bull a pu mener de front ces 20 dernières années un recentrage stratégique sur son cœur de métier – le traitement de données numériques – tout en diversifiant ses compétences et les technologies utilisées. Pour cela, cette étude passera dans un premier temps en revu l’historique de la société et la construction de ses choix d’acquisition. Dans un deuxième temps seront analysées les stratégies technologiques mises en œuvre par une entreprise recentrée sur son cœur de métier. Enfin, la dernière partie sera l’occasion de faire le point sur la cohérence du rapprochement entre Bull et Atos.
Le premier brevet fut déposé il y a près d’un siècle par celui qui donna son nom à l’entreprise : le 31 juillet 1921, l’ingénieur Fredrik Rosing Bull dépose un brevet de « trieuse-enregistreuse-additionneuse combinée à cartes perforées ». Ce sont les débuts de l’informatique analogique, bien avant que l’électronique puis le numérique ne prennent le relais. Après 80 ans de rebondissements de l’activité, qui l’ont vu s’implanter aux Etats-Unis et concurrencer IBM sur son terrain, puis passer sous contrôle de l’état français, l’entreprise trouve enfin son rythme de croisière à la fin des années 1990, lorsque se termine la privatisation. Celle-ci sera achevée en 1997, année qui met également un terme à près de deux décennies de restructurations. Entre temps, l’entreprise est redevenue bénéficiaire et s’est imposée comme le dernier acteur européen de l’informatique, en mettant en œuvre depuis le début des années 2000 une politique d’acquisitions ciblées qui tranchent avec la période précédente.
Cette étude aura précisément pour objet de comprendre comment Bull a pu mener de front ces 20 dernières années un recentrage stratégique sur son cœur de métier – le traitement de données numériques – tout en diversifiant ses compétences et les technologies utilisées. Pour cela, cette étude passera dans un premier temps en revu l’historique de la société et la construction de ses choix d’acquisition. Dans un deuxième temps seront analysées les stratégies technologiques mises en œuvre par une entreprise recentrée sur son cœur de métier. Enfin, la dernière partie sera l’occasion de faire le point sur la cohérence du rapprochement entre Bull et Atos.
1. Un précurseur du traitement de données et de la cybersécurité à l’histoire mouvementée
1.1. Stratégies d’acquisitions : les limites de la nationalisation
L’une des raisons qui explique le mieux la survivance de Bull face à la concurrence des géants américains et asiatiques tient dans sa politique de croissance externe intensive, menée tambours battant depuis des décennies. En rachetant nombre de petites sociétés et de start-ups ultraspécialisées sur certaines niches informatiques, Bull a su s’adjoindre le spectre complet des capacités en termes de chaine de services numériques. Mais surtout, l’entreprise a retenu les leçons des achats et restructurations successives au cours des années 1980, période au cours de laquelle l’entreprise est passée sous le contrôle de l’état français.
Si cette période a permis une croissance considérable du chiffre d’affaires et des effectifs salariés, c’est surtout en raison de choix politiques et non économiques de rachats et de rapprochement. Fraichement nationalisée, l’entreprise Bull se voit parfois imposer des priorités bien éloignée des réalités économiques : fournir du matériel informatique, peu importe le coût, et préserver l’emploi. Entre les rachats de 20 % de Packard-Bell, des divisions informatiques d’Honeywell, de Thomson, de la CGE, Bull se retrouve à la tête d’une demi-douzaine de fournisseurs de systèmes incompatibles entre eux à la fin des années 1980.
Le coup de grâce de cet épisode noir sera donné par l’achat de Zenith Data Systems (ZDS) au début des années 1990, alors que l’entreprise était encore contrôlée par l’Etat. Réalisé en dépit de toute rationalité économique, cet achat a surtout justifié l’installation très politique d’une usine à Villeneuve-d'Ascq, patrie de Pierre Mauroy, alors Premier Ministre. Ce choix à visée surtout électorales contraria l’organisation logistique du groupe dans son ensemble, mais l’essentiel des difficultés résidait ailleurs : ZDS était également une société en panne d’innovations, sans aucun brevet déposé depuis près d’une décennie (*). Le passage sous giron français de ZDS sera aussi l’occasion de la perte de son principal client : l’US Air Force. Tirant les conclusions de cet épisode dommageable pour l’image des gestionnaires de l’Etat, un rapport de la Cour des Comptes de 1992 évoque une détérioration du résultat due à « des difficultés rencontrées par la croissance externe aux Etats-Unis et des insuffisances dans la gestion commerciale et de traitement de certaines activités en France. »
1.2. Privatisation et restructurations
Après des pertes colossales épongées par l’Etat, est finalement prise la décision de privatiser Bull. Sous la direction de Thierry Breton, alors directeur stratégie du groupe, le processus démarre en 1994 et s’achève pour l’essentiel en 1997. L’entreprise en profite pour rationaliser ses composantes et cède notamment son activité cartes à puces à Gemplus, devenue Gemalto après la fusion avec Axalto. De près de 40 000 salariés au milieu des années 1980, l’entreprise passe à moins de 10 000 après 2001. En moins de dix ans l’entreprise réalise alors plus d’une dizaine d’acquisitions. Elle commence par Enatel en 2005, « spécialisée dans la sécurisation d'accès aux réseaux d'entreprise par authentification unique ». Elle poursuit en 2006 avec AMG, une SSII polonaise spécialisée en services télécoms, puis HRBC, fournissant des services informatiques aux spécialistes RH, et Agarik, SSII française d’hébergement et d’infogérance. Bull continue en 2007 et se renforce d’une part dans les calculateurs avec Serviware, intégrateur spécialisé dans les serveurs haute performance, et dans les services bancaires, avec Siconet, SSII espagnole. En 2008, la société belge de services informatiques CSB Consulting et l’éditeur de progiciel de gestion de l'action sociale Sirus passent sous le giron de Bull. La société Amesys spécialisée dans la défense et les télécoms est acquise en 2010 et revendue en 2012. TRCOM, proposant des solutions de test et de sécurisation des communications sans fil est rachetée en 2011. En 2013, c’est au tour de FastConnect, une société française leader dans les architectures applicatives distribuées.
Concrétisation de cette stratégie de croissance externe sur des savoir-faire de niche, Bull fait partie aujourd’hui du club très fermé des architectes de systèmes numériques complexes et complets, avec une prédilection pour les systèmes numériques critiques. Ces choix de développement ont notamment permis à Bull de voir ses produits et ses services remplir leurs offices auprès de la Défense : des simulations d’essais nucléaires pour la conception des futures armes de la dissuasion à la numérisation de l’espace de bataille et au programme Scorpion, Bull est devenu un partenaire de premier plan de la Direction générale de l’armement (DGA), carte de visite non négligeable. Une raison à cela : Bull s’est spécialisé sur un créneau spécifique, les supercalculateurs.
L’une des raisons qui explique le mieux la survivance de Bull face à la concurrence des géants américains et asiatiques tient dans sa politique de croissance externe intensive, menée tambours battant depuis des décennies. En rachetant nombre de petites sociétés et de start-ups ultraspécialisées sur certaines niches informatiques, Bull a su s’adjoindre le spectre complet des capacités en termes de chaine de services numériques. Mais surtout, l’entreprise a retenu les leçons des achats et restructurations successives au cours des années 1980, période au cours de laquelle l’entreprise est passée sous le contrôle de l’état français.
Si cette période a permis une croissance considérable du chiffre d’affaires et des effectifs salariés, c’est surtout en raison de choix politiques et non économiques de rachats et de rapprochement. Fraichement nationalisée, l’entreprise Bull se voit parfois imposer des priorités bien éloignée des réalités économiques : fournir du matériel informatique, peu importe le coût, et préserver l’emploi. Entre les rachats de 20 % de Packard-Bell, des divisions informatiques d’Honeywell, de Thomson, de la CGE, Bull se retrouve à la tête d’une demi-douzaine de fournisseurs de systèmes incompatibles entre eux à la fin des années 1980.
Le coup de grâce de cet épisode noir sera donné par l’achat de Zenith Data Systems (ZDS) au début des années 1990, alors que l’entreprise était encore contrôlée par l’Etat. Réalisé en dépit de toute rationalité économique, cet achat a surtout justifié l’installation très politique d’une usine à Villeneuve-d'Ascq, patrie de Pierre Mauroy, alors Premier Ministre. Ce choix à visée surtout électorales contraria l’organisation logistique du groupe dans son ensemble, mais l’essentiel des difficultés résidait ailleurs : ZDS était également une société en panne d’innovations, sans aucun brevet déposé depuis près d’une décennie (*). Le passage sous giron français de ZDS sera aussi l’occasion de la perte de son principal client : l’US Air Force. Tirant les conclusions de cet épisode dommageable pour l’image des gestionnaires de l’Etat, un rapport de la Cour des Comptes de 1992 évoque une détérioration du résultat due à « des difficultés rencontrées par la croissance externe aux Etats-Unis et des insuffisances dans la gestion commerciale et de traitement de certaines activités en France. »
1.2. Privatisation et restructurations
Après des pertes colossales épongées par l’Etat, est finalement prise la décision de privatiser Bull. Sous la direction de Thierry Breton, alors directeur stratégie du groupe, le processus démarre en 1994 et s’achève pour l’essentiel en 1997. L’entreprise en profite pour rationaliser ses composantes et cède notamment son activité cartes à puces à Gemplus, devenue Gemalto après la fusion avec Axalto. De près de 40 000 salariés au milieu des années 1980, l’entreprise passe à moins de 10 000 après 2001. En moins de dix ans l’entreprise réalise alors plus d’une dizaine d’acquisitions. Elle commence par Enatel en 2005, « spécialisée dans la sécurisation d'accès aux réseaux d'entreprise par authentification unique ». Elle poursuit en 2006 avec AMG, une SSII polonaise spécialisée en services télécoms, puis HRBC, fournissant des services informatiques aux spécialistes RH, et Agarik, SSII française d’hébergement et d’infogérance. Bull continue en 2007 et se renforce d’une part dans les calculateurs avec Serviware, intégrateur spécialisé dans les serveurs haute performance, et dans les services bancaires, avec Siconet, SSII espagnole. En 2008, la société belge de services informatiques CSB Consulting et l’éditeur de progiciel de gestion de l'action sociale Sirus passent sous le giron de Bull. La société Amesys spécialisée dans la défense et les télécoms est acquise en 2010 et revendue en 2012. TRCOM, proposant des solutions de test et de sécurisation des communications sans fil est rachetée en 2011. En 2013, c’est au tour de FastConnect, une société française leader dans les architectures applicatives distribuées.
Concrétisation de cette stratégie de croissance externe sur des savoir-faire de niche, Bull fait partie aujourd’hui du club très fermé des architectes de systèmes numériques complexes et complets, avec une prédilection pour les systèmes numériques critiques. Ces choix de développement ont notamment permis à Bull de voir ses produits et ses services remplir leurs offices auprès de la Défense : des simulations d’essais nucléaires pour la conception des futures armes de la dissuasion à la numérisation de l’espace de bataille et au programme Scorpion, Bull est devenu un partenaire de premier plan de la Direction générale de l’armement (DGA), carte de visite non négligeable. Une raison à cela : Bull s’est spécialisé sur un créneau spécifique, les supercalculateurs.