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Paroles d’entrepreneur : Yves Laisné, citoyen d’Europe, dans des états en déconstruction




Vendredi 29 Mars 2019




Est-ce qu’il n’y a pas une volonté d’enracinement derrière cet achat ?

Lors de recherches historiques, j’ai découvert que le château de Bützow avait accueilli au XVIIème siècle, sous l’égide de la Princesse Marie-Charlotte, veuve douairière du Duc de Mecklembourg, un certain nombre de français, huguenots, fuyant la France. L’histoire étant un éternel recommencement, j’ai trouvé intéressant de constater que le château de Bützow avait déjà vocation à accueillir les Français « en fuite ».
 
Le choix de l’Allemagne est quelque part un choix de destinée. La famille du côté de ma mère, a été presque entièrement décimée du fait de la barbarie nazie, à l’exception de ma mère et de ma tante. C’est comme cela que ça a démarré, mais en ce qui me concerne, j’ai tourné la page et je me suis trouvé une certaine parenté avec l’Allemagne. Les Allemands d’aujourd’hui ne sont pas responsables de ce qu’ont fait leurs grands-parents. Il faut savoir tourner les pages.

Vous vivez en Allemagne, travaillez en Belgique et en France. Est-ce le signe d’une volonté d’apatridie ?

Je suis en effet de nationalité française et belge et résident allemand. Mais je me sens citoyen d’Europe. Le « a » privatif dans « apatridie » me gêne, parce que cela semble signifier soit que l’on est rejeté par tous, soit que l’on rejette tout le monde. En revanche, l’idée d’être citoyen européen, en ayant des allégeances nationales qui n’en sont plus vraiment, cela me va très bien. Je serais plus enclin à pencher vers la notion d’absence d’allégeance.

Vous ne « croyez » pas en l’Etat ?

Le monde change et je pense que les états-nations tels que nous les connaissons depuis le XVIIème siècle sont voués à disparaitre. L’appartenance nationale me semble un mécanisme mis en place par une classe dirigeante dans un état déterminé. Mais le XXème me semble être celui de la disparition des états-nations en raison des deux grands événements totalitaires qui se sont déroulés durant ce siècle : le communisme et le nazisme. L’internationalisme du communisme niait la notion d’Etat, de même que le nazisme, qui aspirait aussi à faire disparaitre sous sa coupe les anciens états. Par-dessus cela, les conflits du XXème siècle ont substitué à l’appartenance nationale obligatoire l’appartenance idéologique par choix. Le parti communiste français avait ainsi très officiellement comme patrie l’URSS, avant la France. A l’inverse, durant la seconde guerre mondiale, la LVF avait selon moi fait le choix de l’Allemagne contre le bolchevisme, plutôt que de garder l’appartenance française.

La seconde guerre mondiale aurait constitué le chant du cygne des états ?

La notion d’état elle-même s’est fissurée après la seconde guerre mondiale, avec l’abandon notamment du principe d’infaillibilité de l’état. Avant la seconde guerre mondiale, quelqu’un qui agissait au nom de l’état était exempt de toute responsabilité. En 1946-1947, lors du procès de Nuremberg, on a pour la première fois condamné des gens qui avait eu le tort d’obéir aux lois d’un état et aux ordres reçus des autorités légales de cet état. Le tribunal de Nuremberg a démarré la destruction de l’état-dieu, non la destruction de l’état lui-même mais la destruction du mythe de l’état capable de tout faire sans justification. Cela a eu des conséquences directes dans le règlement militaire Français et dans ceux de la plupart des états. Jusqu’en 1945, la règle de l’obéissance passive faisait que celui qui agissait sur ordre direct de son supérieur était couvert, à condition de pouvoir démontrer que l’ordre existait bien sûr. Si l’ordre était reconnu, le donneur d’ordre pouvait être poursuivi, mais pas l’exécutant. Selon les règlements actuels, l’exécutant ira devant les tribunaux, ayant le devoir de désobéir à un ordre illégal. C’est une conséquence directe de Nuremberg.
 
Je pense que l’état-dieu est en train de mourir pour donner naissance à un autre type d’état, un état plus souple, plus fluide. Les nations elles-mêmes ne vont pas disparaitre, mais elles perdent leur essence de structures contraignantes arcboutées sur des états-dieux. La monstruosité connue sous le nom de 3ème Reich a été la forme jusqu’au-boutiste de l’état-nation et de l’état-dieu.
 
Les nationalités ne vont pas disparaitre pour autant, pour de nombreuses raisons : culturelles, historiques… On ne peut pas nier l’existence d’un fait culturel autour de la question des nationalités. Mais ce qui va disparaitre, ce sont les aspects rigides et contraignants de l’état. Si l’apatridie revient à adhérer à cette idée, alors je suis d’une certaine manière apatride. Cela ne signifie pas pour autant le refus de toutes règles.

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La Rédaction



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