Les Carnets du Business : Le contexte géopolitique actuel est-il fondamentalement différent du nouvel ordre mondial annoncé consécutivement à la chute de l’URSS ?
Pascal Chaigneau : Absolument. Après un ordre stable mais injuste, nous découvrons une véritable complexification du monde sur fond de multiplications des crises et des foyers de tension.
Les CdB : Cette nouvelle géopolitique est-elle seulement due aux échecs américains du début des années 2000 ?
Pascal Chaigneau : Exclusivement, non mais en grande partie oui. En effet, au début des années 2000, le capital de sympathie dont bénéficiaient les Américains était considérable. Qu’il me suffise de rappeler que le 12 septembre 2001, le journal « Le Monde » titrait : « Nous sommes tous Américains ».
Les néoconservateurs ont mené une politique tout à fait catastrophique justifiant le concept d’hyperpuissance et d’arrogance qui leur était opposé. L’invasion de l’Irak en 2003 suffit à résumer cette situation. Cette non-victoire a scellé le début d’un nouveau type d’isolationnisme américain. Nous pourrions résumer la situation en disant, comme le fait le Président Obama, que Donald Rumsfeld a été le pire ministre de la Défense des États-Unis.
Les néoconservateurs ont mené une politique tout à fait catastrophique justifiant le concept d’hyperpuissance et d’arrogance qui leur était opposé. L’invasion de l’Irak en 2003 suffit à résumer cette situation. Cette non-victoire a scellé le début d’un nouveau type d’isolationnisme américain. Nous pourrions résumer la situation en disant, comme le fait le Président Obama, que Donald Rumsfeld a été le pire ministre de la Défense des États-Unis.
Les CdB : Doit-on en déduire qu’un monde post américain se profile ?
Pascal Chaigneau : Après la conviction que le monde serait sous hégémonie américaine, les États-Unis sont passés à un excès inverse. Hier, leur doctrine était « to a new american century ». Aujourd’hui, leurs think tanks parlent d’un monde post américain. En réalité, leurs fondamentaux de « hard » et de « soft power » demeurent excellents. De même, ils acceptent un monde multipolaire mais refusent toujours le multilatéralisme.
Les CdB : Quelle est, dans ce contexte, la portée de l’influence des puissances émergentes dans les relations internationales contemporaines ?
Pascal Chaigneau : La Chine est devenue le nouvel épicentre de la croissance économique mondiale. À ce titre, la crise économique a accéléré son influence d’au moins une décennie. A contrario, si l’Inde ne doit pas être sous-estimée, sa situation économique actuelle ressemble à celle d’un paquebot qui aurait câlé et qui avance sur sa lancée. Quant à l’Amérique Latine, elle a éradiqué la guerre, procédé à des transitions démocratiques et gère une croissance consolidée de l’ordre de 6 %. Pendant les premiers mois de 2012, le Brésil a attiré presqu’autant d’investissements que le sous-continent indien.
Les CdB : En quoi l’année 2012 pourrait-elle être une année de transition sur le plan consécutivement aux élections présidentielles chinoises et américaines ?
Pascal Chaigneau :. Aux États-Unis, quel que soit le futur président, Barack Obama ou Mitt Romney, il devra privilégier l’économie, les emplois et la politique intérieure. Il n’est pas certain que de grandes différences de politique étrangère prévalent.
En Chine, la transition politique a déjà eu lieu avant même le 18e congrès du Parti Communiste chinois qui se tiendra en octobre 2012. La continuité sera assurée par Xi Ling Pi qui devrait obtenir simultanément la présidence de la République, le secrétariat général du Parti et la présidence de la Commission des forces arrmées.
En Chine, la transition politique a déjà eu lieu avant même le 18e congrès du Parti Communiste chinois qui se tiendra en octobre 2012. La continuité sera assurée par Xi Ling Pi qui devrait obtenir simultanément la présidence de la République, le secrétariat général du Parti et la présidence de la Commission des forces arrmées.
Les CdB : Qu’en est-il de la Russie dans ce contexte ?
Pascal Chaigneau : Les dernières élections ont démontré une attente démocratique de la part d’une frange non négligeable de la population. Il faut avoir à l’esprit que tout Russe de moins de 21 ans est né après l’effondrement de l’Union Soviétique. Les couches les plus jeunes de la population expriment en conséquence une demande d’ouverture politique. En politique étrangère, la Russie a décidé de regagner une sphère d’influence dans ce qu’elle appelle son « étranger proche ». De même, elle ne cède plus le moindre terrain d’influence comme en atteste sa position dans la crise libyenne.
Les CdB : Sur le plan énergétique, où en est la Russie ?
Pascal Chaigneau : La Russie demeure le 2e exportateur de pétrole et le 1er exportateur de gaz du monde. Pour préserver ce caractère d’État rentier, Moscou agit avec une grande habileté pour se réserver la place dominante sur les richesses de l’Arctique.
Les CdB : À cet égard, dans quel sens l’importance des enjeux énergétiques pourrait-elle évoluer en Asie du Sud-Est ?
Pascal Chaigneau : C’est en Mer de Chine méridionale, notamment autour des Îles Spratley que les enjeux sont les plus forts. La Chine y exerce une position objectivement dominante.
Les CdB : Comment voyez-vous dès lors l’avenir du pétrole ?
Pascal Chaigneau :. Le « deep sea » et les deux nouveaux espaces que constituent l’Asie médiane et la fosse du 18e parallèle en Afrique vont faire reculer le « pick oil » comme une ligne d’horizon. Le Canada est devenu le 5e producteur de pétrole du monde. Avec l’off shore de l’Atlantique Sud, le Brésil va devenir une très grande puissance pétrolière.
Les CdB : Quels nouveaux enjeux émergent selon vous ?
Pascal Chaigneau :.L’eau deviendra, à n’en pas douter, l’un des enjeux clés du XXIe siècle. Les contentieux hydriques comme facteurs de crises sont plus qu’à redouter.
Les CdB : Quels facteurs d’optimisme pouvez-vous mettre en avant ?
Pascal Chaigneau : L’Amérique Latine en une décennie a éradiqué la guerre et devient un acteur clé de l’économie internationale. L’Afrique, quant à elle, combine croissance démographique et croissance économique.
Les CdB : Dans la géopolitique des espaces, comment voyez-vous les grandes évolutions à venir ?
Pascal Chaigneau : Ma conviction est que, durant le XXe siècle, les puissances se sont partagé des continents et qu’avec le XXIe siècle va commencer le partage des océans pour leurs richesses en minerais et en hydrocarbures.
Les CdB : Et l’Europe dans ce contexte ?
Pascal Chaigneau : Elle est entrée dans une crise systémique durable et tente de préserver à la fois l’euroland et l’union elle-même. Elle subit aujourd’hui après avoir dominé hier.
Les CdB : Enfin, quid de la France dans ce nouveau contexte mondial ?
Pascal Chaigneau : Puissance désormais moyenne, la France tente à la fois de préserver son poids européen, sa politique africaine, sa légitimité dans le monde arabe et sa spécificité au sein des Nations Unies.