Comment le Livre blanc et la loi de programmation militaire influent-ils sur l’environnement économique?
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Le Livre blanc, dont l’intitulé exact est depuis 2008, le « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale », est un ouvrage de référence définissant une série d’objectifs, et par là même les bases constitutives de la stratégie militaire de la France. Celles-ci sont pensées non seulement via une logique interne, mais aussi et surtout selon le contexte stratégique global international. L’objectif est de formuler des réflexions et des besoins, desquels découleront les politiques publiques relatives à l’environnement militaire.
En 2008, l’avancée majeure par rapport à la dernière édition (1994), était la reconnaissance de la montée en puissance des acteurs non-étatiques, d’où l’introduction du terme de « sécurité nationale » dans son titre. Car la guerre se transforme et évolue, comme elle a évolué dès la fin du XIXème siècle en préfigurant les guerres modernes (1). Son nouveau visage est aujourd’hui celui de l’asymétrie, une guerre impliquant des rapports de force moins conventionnels et une plus grande complexité (les adversaires des puissances militaires classiques mettent en œuvre des procédés inédits tant au niveau stratégique que tactique et se dotent de matériels jusque là réservés aux armées professionnelles (2), permettant d’abaisser l’efficacité des armes les plus avancées (3).
De ces orientations, sont tirées les lois de programmation militaire (LPM) qui constituent la première étape de la mise en œuvre de la nouvelle stratégie définie par le Livre blanc. Ces lois (onze au total ont été votées sous la Vème République) sont une solution à la rigidité du principe d’annualité des lois de finances car, repensés chaque année, les grands projets financiers sont incompatibles à l’élaboration d’une réflexion stratégique militaire qui, elle, nécessite une vision à long terme.
Ainsi, la loi de programmation militaire en déterminant les financements accordés, soulève les commandes que l’Etat effectuera auprès des entreprises pour renouveler son équipement, le moderniser, réaliser les commandes de services, etc. Si l’industrie de la défense a un impact direct auprès des grands groupes (comme Nexter et Dassault), il est encore plus prégnant pour les milliers de sous-traitants dépendant quasi-exclusivement du maintien des commandes.
En 2008, l’avancée majeure par rapport à la dernière édition (1994), était la reconnaissance de la montée en puissance des acteurs non-étatiques, d’où l’introduction du terme de « sécurité nationale » dans son titre. Car la guerre se transforme et évolue, comme elle a évolué dès la fin du XIXème siècle en préfigurant les guerres modernes (1). Son nouveau visage est aujourd’hui celui de l’asymétrie, une guerre impliquant des rapports de force moins conventionnels et une plus grande complexité (les adversaires des puissances militaires classiques mettent en œuvre des procédés inédits tant au niveau stratégique que tactique et se dotent de matériels jusque là réservés aux armées professionnelles (2), permettant d’abaisser l’efficacité des armes les plus avancées (3).
De ces orientations, sont tirées les lois de programmation militaire (LPM) qui constituent la première étape de la mise en œuvre de la nouvelle stratégie définie par le Livre blanc. Ces lois (onze au total ont été votées sous la Vème République) sont une solution à la rigidité du principe d’annualité des lois de finances car, repensés chaque année, les grands projets financiers sont incompatibles à l’élaboration d’une réflexion stratégique militaire qui, elle, nécessite une vision à long terme.
Ainsi, la loi de programmation militaire en déterminant les financements accordés, soulève les commandes que l’Etat effectuera auprès des entreprises pour renouveler son équipement, le moderniser, réaliser les commandes de services, etc. Si l’industrie de la défense a un impact direct auprès des grands groupes (comme Nexter et Dassault), il est encore plus prégnant pour les milliers de sous-traitants dépendant quasi-exclusivement du maintien des commandes.
Quels risques pour l’économie française?
La problématique est assez claire. Ce qui fait peur aux entreprises c’est l’arrêt des commandes, puisque celles-ci impliquent de lourdes dépenses (recrutement, achat de matériaux, etc.) réparties sur plusieurs années. S’il est vrai que l’Etat gèle ou annule déjà certains contrats chaque année, la publication d’un nouveau Livre blanc peut remettre en cause de manière drastique la santé de l’industrie de la défense par une nouvelle orientation défavorisant la production de nouveaux matériels. Les grands groupes se tournent déjà vers les marchés extérieurs pour pérenniser leur activité mais les PME/TPE, bien plus dépendantes des trajectoires nationales, ne peuvent pas toutes se permettre une recherche de contrats à l’étranger. Une seconde question, et non des moindres, se doit d’être posée. Les programmes de renouvellement des équipements prennent en général une vingtaine d’année (c’est particulièrement le cas pour le domaine aéronautique).
Si aujourd’hui on réalise des réductions budgétaires susceptibles de faire baisser les renouvellements matériels, les effets les plus pervers ne seront peut être visibles que dans cinq à dix ans, lorsque les bureaux d’études verront une baisse de leurs commandes. Puis dans vingt à trente ans, ce sera au tour des entreprises habituellement en charge de la production ainsi que leurs sous-traitants. Si la France abandonne son savoir-faire technologique, elle devient dépendante de celles des autres pays, perd une partie de sa valeur ajoutée à la production de biens civils (4), et compromet sa sécurité en temps de crise. Compte tenu de tous ces éléments, ne faudrait-il pas aller plus loin dans l’intégration industrielle à l’échelle européenne, sur le modèle de ce qui a été fait pour MBDA, EADS ou dans la logique du rapprochement entre RTD et Panhard en France ?
Si aujourd’hui on réalise des réductions budgétaires susceptibles de faire baisser les renouvellements matériels, les effets les plus pervers ne seront peut être visibles que dans cinq à dix ans, lorsque les bureaux d’études verront une baisse de leurs commandes. Puis dans vingt à trente ans, ce sera au tour des entreprises habituellement en charge de la production ainsi que leurs sous-traitants. Si la France abandonne son savoir-faire technologique, elle devient dépendante de celles des autres pays, perd une partie de sa valeur ajoutée à la production de biens civils (4), et compromet sa sécurité en temps de crise. Compte tenu de tous ces éléments, ne faudrait-il pas aller plus loin dans l’intégration industrielle à l’échelle européenne, sur le modèle de ce qui a été fait pour MBDA, EADS ou dans la logique du rapprochement entre RTD et Panhard en France ?
Le défaut de normativité de la Loi de programmation militaire
Le Livre blanc comme la LPM ne constitue que des recommandations, aussi ne faut-il pas surestimer l’apport d’un tel document. Ni dans un sens, ni dans l’autre. De plus, la lois de programmation militaire est dépourvue de caractère normatif. En cela, elle ne dispose pas de portée juridique véritable et même si une LPM se présente favorablement à un maintien des commandes, elle n’en assure pas leur application. En outre, il y a toujours eu dans les faits un défaut d’exécution complète de la LPM (5). Alors, il est nécessaire de prêter davantage attention aux lois de finances initiale et rectificative de l’année pour avoir un aperçu concret de l’évolution du potentiel militaire, et de la viabilité des entreprises dépendantes de l’industrie de la Défense.
Par ailleurs, les lois de programmation militaire basent une partie de leurs ressources sur la prévision des bénéficies de la vente des ressources exceptionnelles (6). Déjà, selon la loi 2009-928, relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014, ce type de ressource devait être désengagé progressivement de la part du budget de la défense. Passant de 1,61 milliard d'euro en 2009, à 0,54 en 2011, 0,10 en 2013 et 0 en 2014. Une exécution jugée trop ambitieuse par le rapport de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2013. Ainsi, sur la période 2009-2011, l'écart entre les ressources inférieures au prévisions et les ressources supérieures aux prévisions est négatif. Il y a donc un retard de 1,89 milliard sur les prévisions pour la période 2009-2011.
Mais ce qui est avant tout critiqué, c'est la composition du budget. En 2012, les ressources exceptionnelles représentaient 1,06 milliard d'euro sur 31,42 de dépenses au total. Si celui de 2014 devrait représenter exactement le même montant que celui de l'année précédente, sa composition ne devrait toutefois pas être la même. Au cours du conseil de la défense du 10 avril il aurait été décidé d'attribuer en 2014, 29,5 milliards d'euro à l'armée, et de boucher la différence par 1,9 milliard de recettes exceptionnelles… A ajouter au retard de 1,89 milliard hérité des précédentes années. Augmenter la part de ces ressources dans le budget de la défense, c'est augmenter l'incertitude du financement. Car l'on sait pertinemment que à la fois le montant de ces recettes et l'année de leur encaissement est aléatoire.
Pour le reste, on considère souvent que l’Europe est un berceau exempt de conflits. C’est généralement vrai pour une échéance de 50 ans. Mais qu’en est-il des transformations géopolitiques qui secouent le monde ? Car la Terre n’est pas moins dangereuse aujourd’hui qu’elle ne l’était hier.
Deux scénarios peuvent être envisagés. Soit la menace devient de plus en plus difficilement appréciable, et la guerre conventionnelle telle qu’elle fut au XXème siècle vit ses dernières heures, laissant progressivement la place à une guerre de faible intensité (c’est-à-dire un faible engagement des forces armées). Déjà en 1991, Martin Van Creveld écrivait « Ce type de conflit [les guerres de faible intensité], sporadique, à petite échelle, contraindra les forces régulières à évoluer ; elles changeront de forme, de taille et finiront par disparaitre » (7). Soit nous assisterons à une résurgence des conflits modernes. Ils seraient dissymétriques, comme la guerre de Serbie en 1999 ou la deuxième guerre du Golfe et comme pourrait l'être une possible guerre en Iran, ou contre la Corée du Nord. Ou bien symétriques, comme un conflit avec la Chine, qui constituerait un conflit conventionnel symétrique de haute intensité (8).
Le premier synopsis est d'actualité depuis plus de vingt ans et le sera pendant longtemps encore, tandis que le second ne doit pas être négligé. Aussi, le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale devra continuer dans la veine de celui de 2008, en reconnaissant une adaptation nécessaire des forces armées aux problématiques actuelles, tout en gardant une indépendance stratégique garantie par une autonomie industrielle.
Par ailleurs, les lois de programmation militaire basent une partie de leurs ressources sur la prévision des bénéficies de la vente des ressources exceptionnelles (6). Déjà, selon la loi 2009-928, relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014, ce type de ressource devait être désengagé progressivement de la part du budget de la défense. Passant de 1,61 milliard d'euro en 2009, à 0,54 en 2011, 0,10 en 2013 et 0 en 2014. Une exécution jugée trop ambitieuse par le rapport de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2013. Ainsi, sur la période 2009-2011, l'écart entre les ressources inférieures au prévisions et les ressources supérieures aux prévisions est négatif. Il y a donc un retard de 1,89 milliard sur les prévisions pour la période 2009-2011.
Mais ce qui est avant tout critiqué, c'est la composition du budget. En 2012, les ressources exceptionnelles représentaient 1,06 milliard d'euro sur 31,42 de dépenses au total. Si celui de 2014 devrait représenter exactement le même montant que celui de l'année précédente, sa composition ne devrait toutefois pas être la même. Au cours du conseil de la défense du 10 avril il aurait été décidé d'attribuer en 2014, 29,5 milliards d'euro à l'armée, et de boucher la différence par 1,9 milliard de recettes exceptionnelles… A ajouter au retard de 1,89 milliard hérité des précédentes années. Augmenter la part de ces ressources dans le budget de la défense, c'est augmenter l'incertitude du financement. Car l'on sait pertinemment que à la fois le montant de ces recettes et l'année de leur encaissement est aléatoire.
Pour le reste, on considère souvent que l’Europe est un berceau exempt de conflits. C’est généralement vrai pour une échéance de 50 ans. Mais qu’en est-il des transformations géopolitiques qui secouent le monde ? Car la Terre n’est pas moins dangereuse aujourd’hui qu’elle ne l’était hier.
Deux scénarios peuvent être envisagés. Soit la menace devient de plus en plus difficilement appréciable, et la guerre conventionnelle telle qu’elle fut au XXème siècle vit ses dernières heures, laissant progressivement la place à une guerre de faible intensité (c’est-à-dire un faible engagement des forces armées). Déjà en 1991, Martin Van Creveld écrivait « Ce type de conflit [les guerres de faible intensité], sporadique, à petite échelle, contraindra les forces régulières à évoluer ; elles changeront de forme, de taille et finiront par disparaitre » (7). Soit nous assisterons à une résurgence des conflits modernes. Ils seraient dissymétriques, comme la guerre de Serbie en 1999 ou la deuxième guerre du Golfe et comme pourrait l'être une possible guerre en Iran, ou contre la Corée du Nord. Ou bien symétriques, comme un conflit avec la Chine, qui constituerait un conflit conventionnel symétrique de haute intensité (8).
Le premier synopsis est d'actualité depuis plus de vingt ans et le sera pendant longtemps encore, tandis que le second ne doit pas être négligé. Aussi, le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale devra continuer dans la veine de celui de 2008, en reconnaissant une adaptation nécessaire des forces armées aux problématiques actuelles, tout en gardant une indépendance stratégique garantie par une autonomie industrielle.
Notes
1/ Dont la première est sans doute la guerre de Sécession, tant par les effectifs engagés, que par l’importance déterminante de la production industrielle et des innovations technologiques.
2/ On parle de « techno-guérilla », notamment dans le cas du Hezbollah, du fait de l’utilisation d’armements de pointe (radiocommunication cryptée, missiles anti-char de dernière génération…)
3/ Par exemple, utiliser la puissance d’une artillerie ou d’un bombardement, furent-ils « chirurgicaux », face à un ennemi terré, et surtout disséminé n’est que d’une efficacité moyenne.
4/ Car beaucoup de technologies civiles découlent d’une recherche initialement militaire.
5/ Sur la LPM 2003-2008, 11 milliards d’euros prévus au budget n’auraient jamais été versés par Bercy au Ministère de la Défense.
6/ Il peut s'agir de diverses sources de bénéfices comme la vente de biens immobiliers, la cession de bandes de fréquence ou de part que détient l'Etat dans une entreprise par exemple.
7/ Van Creveld Martin, La transformation de la guerre, éditions du Rocher, Langres, 2011.
8/ Un conflit symétrique engage des adversaires de même niveau quantitatif et qualitatif engageant des modes d'action semblables. Un conflit dissymétrique engage des adversaires de niveau différents du point de vue quantitatif et/ou qualitatif, mais s'affrontant selon des modes d'action semblables. Un conflit asymétrique engage des adversaires de niveaux différents du point de vue quantitatif et/ou qualitatif, et qui s'affrontent selon des modes d'action dissemblables.
2/ On parle de « techno-guérilla », notamment dans le cas du Hezbollah, du fait de l’utilisation d’armements de pointe (radiocommunication cryptée, missiles anti-char de dernière génération…)
3/ Par exemple, utiliser la puissance d’une artillerie ou d’un bombardement, furent-ils « chirurgicaux », face à un ennemi terré, et surtout disséminé n’est que d’une efficacité moyenne.
4/ Car beaucoup de technologies civiles découlent d’une recherche initialement militaire.
5/ Sur la LPM 2003-2008, 11 milliards d’euros prévus au budget n’auraient jamais été versés par Bercy au Ministère de la Défense.
6/ Il peut s'agir de diverses sources de bénéfices comme la vente de biens immobiliers, la cession de bandes de fréquence ou de part que détient l'Etat dans une entreprise par exemple.
7/ Van Creveld Martin, La transformation de la guerre, éditions du Rocher, Langres, 2011.
8/ Un conflit symétrique engage des adversaires de même niveau quantitatif et qualitatif engageant des modes d'action semblables. Un conflit dissymétrique engage des adversaires de niveau différents du point de vue quantitatif et/ou qualitatif, mais s'affrontant selon des modes d'action semblables. Un conflit asymétrique engage des adversaires de niveaux différents du point de vue quantitatif et/ou qualitatif, et qui s'affrontent selon des modes d'action dissemblables.