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Olivier Meier
Olivier Meier est Professeur des Universités, HDR (Classe exceptionnelle), directeur de... En savoir plus sur cet auteur

La notion de validité externe dans le champ de la recherche qualitative




Jeudi 21 Septembre 2023


La validité externe dans le champ de la recherche qualitative est un sujet aux multiples facettes. Elle concerne la généralisation des résultats et est souvent considérée comme la limite majeure de l'étude de cas, qui se concentre par essence sur un contexte particulier. Cependant, ce point de vue doit être réexaminé à la lumière des différents degrés d'approfondissement et des approches proposées par les chercheurs.



La validité externe et la généralisation des résultats

De façon générale, la validité externe se rapporte à la capacité de généraliser les conclusions dérivées d'un échantillon spécifique à d'autres instances ou populations, dans des contextes spatiaux et temporels divers. A l'inverse, la validité interne consiste à s’assurer de la pertinence et de la cohérence interne des résultats par rapport aux objectifs fixés par le chercheur (Royer, Zarlowski, 2014).

La validité externe [1] est un critère crucial pour évaluer la qualité d'une recherche. Dans le domaine de la recherche, elle se réfère à notre capacité à "généraliser" ou à appliquer les résultats d'un échantillon ou d'une étude de cas à d'autres situations ou groupes (Yin, 2003b). Selon ce principe, si les résultats de la recherche peuvent être généralisés à d’autres populations de personnes, de milieux, de situations, de temps et de variations de traitement, alors l’étude est considérée comme ayant une bonne validité externe.

Néanmoins, la notion de généralisation varie en termes de nature, selon qu'on adopte une approche qualitative ou quantitative.

Dans les recherches quantitatives, la validité externe est attestée lorsque les résultats obtenus à partir d'un échantillon peuvent être étendus à l'ensemble de la population (paradigme positiviste). Cette forme de validité externe repose sur une généralisation statistique, c'est-à-dire sur l'idée qu'un échantillon correctement sélectionné (avec des procédures d'échantillonnage rigoureuses et une taille d'échantillon suffisante) peut produire des résultats considérés comme représentatifs de la population globale. La validité externe, dans le cadre d'une recherche quantitative, fait donc référence à la capacité de généraliser les résultats obtenus à partir d'un échantillon probabiliste spécifique à une population plus large dans différents contextes, temps et paramètres. Elle est intrinsèquement liée à la rigueur des méthodes d'échantillonnage utilisées, à la représentativité de l'échantillon et à la précision des instruments de mesure. Elle signifie que les conclusions de l'étude peuvent être extrapolées au-delà de l'échantillon initial avec une marge d'erreur statistiquement acceptable, renforçant ainsi la pertinence et l'applicabilité générale des résultats.

Dans les recherches qualitatives, renforcer la validité externe peut apparaître plus délicat, dans la mesure où il s'agit avant tout d'étudier en profondeur un phénomène spécifique (comportements, attitudes, perception, décisions...), en s'immergeant dans le vécu subjectif et les perspectives des individus, et en interprétant les significations qu'ils attribuent à leurs expériences. Ceci explique le recours fréquent aux études de cas, fondées sur une analyse détaillée et en profondeur d'une situation sur un nombre limité de sujets. De ce fait, la généralisation est ici d'une autre nature. Elle n'est pas de d'ordre statistique (prévalence de phénomènes dans une population plus large). Elle relève plutôt d'une généralisation analytique basée sur une analyse détaillée d'une situation et l'interprétation de données contextuelles (David, 2004) dans le but de produire un enrichissement théorique. Les chercheurs identifient des thèmes, motifs, relations ou processus dans les données [2], pour étudier des phénomènes complexes nouveaux en situation réelle et étendre les connaissances dans ce domaine. La recherche qualitative va donc au-delà de la simple quantification des phénomènes pour dévoiler la profondeur des structures latentes, la multiplicité des interprétations et la fluidité des pratiques sociales, en vue de produire de nouvelles théories (enracinées) issues de l'observation et d'aller-retour entre le terrain et les théories existantes. Plusieurs stratégies existent pour renforcer la validité externe (transférabilité) d'une recherche qualitative : la description détaillée du design de recherche (rappel des objectifs, approche épistémologique, cadre conceptuel, procédures...), l'utilisation de différentes méthodes de collecte de données (entretiens, observations, documents d'archives...), la réplication de l'étude à différents contextes ou populations (cas multiples), l'ancrage des résultats dans des théories existantes, la soumission des résultats à des spécialistes, la mise en lumière des spécificités liées au contexte, l'élimination des explications rivales (contrôle des autres facteurs explicatifs)... [3].

La répétition comme alternative à la généralisation analytique ?

La notion de répétition (ou réplication), introduite par Moriceau (2003), propose une alternative à la généralisation qui est un concept souvent mal compris dans le contexte de la recherche qualitative. Alors que la généralisation analytique s'appuie sur la théorie pour interpréter et appliquer les résultats de l'étude, la réplication teste la cohérence et la transférabilité de ces résultats à travers différents contextes et conditions. La répétition se concentre donc sur l'identification et la compréhension de problématiques ou de phénomènes qui se manifestent de manière récurrente dans différents cas. La réplication permet ainsi de tester la cohérence des résultats observés dans différents contextes ou conditions. Elle enrichit ainsi la compréhension du phénomène étudié, en ajoutant de la profondeur et de la nuance à l'interprétation des résultats. 
 
Selon cette conception, il s'agit alors non pas de prouver ou d'argumenter la généralité mais de faciliter la « transférabilité ».
 
La répétition met l'accent sur la singularité inéchangeable de chaque cas, tout en reconnaissant que des enseignements peuvent être tirés et appliqués à d'autres cas. Cette approche reconnaît que, bien que chaque cas soit unique en soi, il peut exister des schémas, des motifs, des problèmes ou des phénomènes récurrents qui traversent différents cas. La réplication, en confirmant ou en infirmant les résultats initiaux à travers plusieurs études, permet ainsi d'établir une plus grande confiance dans les conclusions tirées. Elle permet également d'identifier les conditions ou les contextes dans lesquels les résultats peuvent varier, enrichissant ainsi notre discernement vis-à-vis du phénomène étudié.

Selon cette perspective, la validité externe de la recherche qualitative ne prétend pas chercher à généraliser les résultats, mais à identifier et de comprendre ces problématiques récurrentes. Ces problématiques, une fois identifiées et comprises, peuvent alors être utilisées pour enrichir les théories existantes et pour proposer des grilles d'analyse applicables à d'autres cas ou contextes.

Selon l'auteur, la notion de répétition présente plusieurs avantages. Premièrement, elle reconnaît et valorise la singularité de chaque cas, sans chercher à éliminer ou à minimiser ces singularités au nom de la généralisation. Deuxièmement, elle permet d'identifier et de comprendre des problématiques ou des phénomènes récurrents qui peuvent être d'une grande valeur théorique et pratique. Enfin, elle participe à l'enrichissement des théories actuelles et apporte des connaissances nouvelles qui peuvent être utilisés dans d'autres contextes. La répétition offre par conséquent une alternative intéressante aux risques de généralisation abusive, en mettant l'accent sur l'identification et la compréhension de problématiques récurrentes, tout en reconnaissant la singularité de chaque cas.

* Développée par Glaser et Strauss en 1967, la théorie enracinée est une méthodologie d’analyse générale liée à la collecte de données variées, qui utilise un ensemble de méthodes systématiques pour générer une théorie inductive ayant valeur sens (Glaser, 1992).

En conclusion

Pour conclure, il importe de repenser notre compréhension de la validité externe dans le cadre de la recherche qualitative. Loin de se limiter à une généralisation statistique, qui cherche à appliquer les résultats d'un échantillon à une population plus large, la validité externe en recherche qualitative vise une généralisation analytique. La généralisation analytique, dans ce contexte, signifie utiliser les résultats de l'étude pour enrichir et développer des théories existantes. Il s'agit d'approfondir notre compréhension d'un phénomène spécifique et de produire de nouvelles connaissances théoriques qui peuvent être applicables à d'autres contextes ou situations similaires.

L'objectif principal de la recherche qualitative [4] n'est donc pas de généraliser les résultats à un univers plus large, mais d'enrichir la théorie existante. Il s'agit de produire une connaissance qui, tout en étant basée sur l'étude de cas spécifiques, peut fournir des idées et des éclairages précieux pour comprendre d'autres situations.

La validité externe en recherche qualitative doit donc se voir comme une notion dynamique et flexible qui vise à exploiter au maximum le potentiel des études  pour générer des connaissances théoriques riches et utiles. Cette approche met donc l'accent sur la production de théories plutôt que sur la généralisation statistique, offrant ainsi une perspective plus profonde et nuancée de la recherche qualitative. Plutôt que d’évaluer une recherche qualitative sous l’angle de la généralisation, il serait donc préférable d'en apprécier sa capacité générative à stimuler et participer à la production de nouveaux objets, de nouvelles perspectives, de nouvelles méthodes...
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[1] La validité interne et la validité externe sont des concepts proposés par Donald Campbell (1957) pour estimer le degré de confiance que l'on peut avoir dans le résultat d'une expérience scientifique. Le présent article s'intéresse ici à la question de la validité externe qui répond à des enjeux différents de la validité interne. La validité interne repose en effet sur l'idée que les résultats de l'étude reflètent réellement les phénomènes étudiés et ne sont pas le résultat de variables confondantes ou d'erreurs de mesure. Un moyen d'améliorer la validité interne est d'utiliser la triangulation des données, qui implique le recoupement des données à partir de différentes sources. Cette approche peut augmenter la confiance dans les données et renforcer la solidité du matériel empirique. En utilisant plusieurs sources de données, on peut limiter l'incertitude des données recueillies et assurer un certain niveau d'exhaustivité. La triangulation peut également aider à identifier et à contrôler les variables confondantes, ce qui peut améliorer encore la validité interne.

[2] Certaines méthodologies qualitatives peuvent faire intervenir une étape de quantification dans l’analyse. L’analyse de contenu est une méthode d’analyse qui a pour objectif principal de développer des outils permettant une analyse systématique et méthodique d’un matériau empirique – constitué le plus souvent de textes – à des fins d’inférence (tirer des conclusions à partir des données disponibles) et de généralisation. Cette analyse peut inclure le calcul des fréquences de thèmes pertinents et leur mise en évidence à travers l'établissement de codes (codage). Cette approche vise notamment à faciliter l'organisation et l'interprétation des données (en vue de produire de nouvelles théories). Néanmoins, il convient de rappeler que le principe de généralisation des résultats d’une enquête qualitative ne repose pas fondamentalement sur la preuve par la fréquence (nombre de fois qu'un événement se produit. Il est d’abord fondé sur la preuve par l’occurrence (présence d'un événement ou d'une pratique pouvant avoir valeur de sens). La recherche qualitative a en effet cette caractéristique de pouvoir déceler des éléments qui, bien que marginaux, peuvent revêtir pour l'analyse une importance cruciale (en produisant des "choses originales" au sens de Dubois & Gadde (2002)).

[3] Pour une meilleure compréhension de la validité d'un construit (degré auquel une opérationnalisation permet de mesurer le concept qu'elle est supposée représenter. La notion de taille de l'entreprise peut être opérationnalisée à travers plusieurs indicateurs: le chiffre d’affaires, le nombre d’employés, le total des actifs...) et l'organisation de la preuve dans le cadre d'études qualitatives (définition des concepts, choix des cas, construction d'explications, élimination des explications rivales, analyse inter-cas...), le lecteur pourra se reporter à l'article que nous avons publié dans la revue M@n@gement, qui attache une grande importance à la validité scientifique des résultats.

|4] Cet article, élaboré sur la base d'une revue de littérature approfondie (voir références) et de l'expertise de l'auteur (direction de recherche), se fonde sur l'analyse d'une trentaine d'études de cas (tous secteurs confondus) et de plusieurs recherches qualitatives (thèses, DBA, Executive PhD).

Références

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