Carnets du Business


           

Marie-Laure Pochon : « Le corporate c’est avant tout un travail d’équipe, de long terme, de réflexion »




Vendredi 7 Juin 2013


En trente ans de carrière dans le secteur pharmaceutique, Marie-Laure Pochon a acquis un statut de gestionnaire chevronnée. De Merck à Schwarz Pharma en passant par Pfizer, cette diplômée de l’École Supérieure de Physique et de Chimie de Paris et du MBA de HEC a gravi les échelons d’une industrie qu’elle veut innovante et au service de l’Homme. Après avoir brillamment redressé la filiale française de Lundbeck, ses talents de manager l’ont porté aux fonctions de numéro 2 de ce laboratoire danois. De son expérience variée du management, Marie-Laure Pochon retire une conception toute en nuance de la discipline et de ses objectifs.



Carnets du Business : Vous avez commencé votre carrière en partant de fonctions très opérationnelles. Que vous ont appris vos premières grandes leçons management dans l’industrie de la santé ?

Marie-Laure Pochon : « Le corporate c’est avant tout un travail d’équipe, de long terme, de réflexion »
Marie-Laure Pochon : Ce secteur n’est pas tout à fait comme les autres. Pour y réussir, il faut se sentir transcendé par sa raison d’être et sa valeur : nous apportons de la vie et de la qualité à cette vie gagnée. Et, le vrai bénéficiaire c’est le patient, qui sera peut-être un jour vous ou moi. J’ai souvent remarqué que sans cette « flamme au fond des yeux et du cœur » il est difficile de réussir dans l’industrie pharmaceutique.
 
Plus prosaïquement, pour y réussir, il faut bien comprendre les pathologies, les traitements, les malades, ce qui permet d’identifier intimement les bénéfices cliniques apportés et la légitimité de chaque thérapeutique. Pour le reste, c’est comme dans les autres secteurs, quand on est un responsable opérationnel, le métier c’est de mettre en place et suivre au plus près les métriques qui assurent que les stratégies et actions sont effectivement réalisées, cela paraît simple et évident, mais c’est bien souvent là que les choses pêchent.

Carnets du Business : Quels sont selon vous les traits distinctifs du directeur de filiale performant dans le secteur pharmaceutique ?

Marie-Laure Pochon : Être patron de filiale c’est d’abord et avant tout être « patron » au sens le plus noble du terme. C’est être responsable des ventes et du profit, être celui qui définit les objectifs et la stratégie, qui donne les impulsions et qui donne envie à chaque salarié d’aller encore plus loin. C’est aussi, et on ne le dit pas suffisamment souvent, être celui qui comprend que les différentes fonctions de l’entreprise aient des intérêts divergents et qui ose communiquer et arbitrer ouvertement ces divergences. Ces forces contradictoires sont dans la nature même de l’entreprise et ce rôle d’arbitre est très certainement l’un des plus importants, car s’il n’est pas assumé et fait de manière explicite, alors on voit se développer partout et à tous les niveaux de la filiale des tensions qui sont source de frustration quotidienne et qui antagonisent de manière certaine la performance globale de l’organisation.

Carnets du Business : Au cours des dix dernières années, vous avez évolué sur des fonctions corporate. Votre expérience de terrain vous sert-elle toujours autant ?

Marie-Laure Pochon : Oui, assurément, cela me sert tous les jours ! Cela permet de continuer à penser client, et à sa satisfaction, dans un environnement où si l’on n’y prête pas attention, les sujets deviennent trop abstraits et simplement financiers. Cela permet aussi de maintenir un lien fort avec les patrons de filiale et à faire en sorte que ces deux mondes le local et le corporate se comprennent mieux et travaillent en totale synergie. Mais évidemment, il faut veiller à ce que le corporate n’abuse pas de sa situation dominante pour intervenir sur des sujets qui sont de la responsabilité des filiales.

Carnets du Business : Comment les nouveaux arrivants gèrent-ils la transition quand ils passent de l’échelon opérationnel à celui du corporate ?

Marie-Laure Pochon : Ce passage d’une fonction locale de patron de filiale vers une fonction corporate est en fait, très compliqué à gérer pour celui ou celle qui le vit. En fait, il a été sélectionné pour ses qualités de patrons, de leader, de prise de décision et tout d’un coup, tout cela n’est plus du tout ce que l’entreprise lui demande et même pire que cela, c’est ce qu’il ne faut plus faire. Le corporate c’est avant tout un travail d’équipe, de long terme, de réflexion ! En clair, vous avez été sélectionné sur certaines qualités et tout d’un coup ce sont des qualités quasiment contradictoires qui sont requises, clairement un « grand-écart » compliqué quand on n’y est pas préparé. C’est probablement pour cela que dans la pratique, il y a peu de transferts du local vers le corporate, et que le plus souvent ce sont deux types de profils et d’individus qui cohabitent et s’apprécient, mais avec un certain mal à se comprendre vraiment.  La vérité, c’est qu’une fois franchie cette première étape, on trouve des joies intenses, notamment celle de guider les grandes décisions stratégiques de l’entreprise…

Carnets du Business : Dès lors qu’il se trouve éloigné de l’opérationnel, de quelles fenêtres d’opportunité le gestionnaire dispose-t-il pour influencer la marche de l’entreprise ?

Marie-Laure Pochon : Participer à la définition de la stratégie de l’entreprise est comme je viens de vous le dire, extrêmement stressant, mais aussi très excitant. On se rend assez vite compte que sur une année seules 2 ou 3 grandes décisions stratégiques font le succès (ou l’échec) futur de l’entreprise et chacune d’entre elles implique de se projeter et de faire des paris sur le futur… Lourde responsabilité. Être corporate, c’est aussi définir le cadre de fonctionnement des opérationnels : quelles fonctions doivent rester locales, quelles sont celles qui, pour des raisons soit d’économies, soit de stratégie, doivent être centralisées. Et dans ce cas-là, à quel niveau elles doivent être centralisées. Enfin, dernier point trop souvent oublié, il s’agit aussi de définir les métriques qui doivent être reprises partout dans le monde. Comment veut-on en interne mesurer le succès ? Et croyez-moi cette simple décision influencera très fortement le comportement de chacun des managers autour du globe. Est-ce que notre objectif suprême s’exprime en croissance des ventes ? En marge opérationnelle ? En croissance du profit ? En part de marché ? En un mot, il s’agit là de définir les règles du jeu des filiales.

Carnets du Business : Comment cela se traduit-il pour vous qui avez fréquemment travaillé dans la pharmacie appliquée au système nerveux central ?

Marie-Laure Pochon : J’ai eu la très grande chance de travailler à la fois sur les domaines de la psychiatrie et de la neurologie, qui souvent rebutent un peu les managers de l’industrie pharmaceutique. Pour moi, ce sont les matières « reines », mais aussi celles qui sont particulièrement délicates à appréhender, car la frontière entre le pathologique et le normal est très tenue et que chaque pathologie renvoie à des cas personnels. Fréquemment, la question que l’on se pose est de savoir si l’éthique est de traiter « chimiquement » ou bien s’il faut renforcer la prise en charge par des professionnels. En fait, que ce soit la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie, et aussi par exemple les troubles de l’hyperactivité, toutes ces pathologies débouchent invariablement sur des sujets de société : quand doit-on traiter ? Et avec quelle puissance ? Il n’est pas inintéressant de noter d’ailleurs que le monde occidental apporte à ces questions des réponses presque opposées d’un pays à l’autre, et d’un continent à l’autre. À titre d’exemple, l’hyperactivité de l’enfant si elle est prise en charge de manière habituelle aux États-Unis, ne l’est pas en Europe. C’est cette richesse des problématiques et aussi le fait qu’en traitant l’esprit nous traitons l’individu dans son intégrité qui pour moi, rendent ces pathologies tout à fait hors du commun et passionnantes. 

Carnets du Business : Est-il toujours possible de donner une impulsion forte quand on évolue sur un terrain dont les grands représentants ont tendance à se désengager ?

Marie-Laure Pochon : Oui et je crois que c’est même notre devoir premier ! Travailler dans l’industrie pharmaceutique, c’est comprendre et rechercher un certain rôle social et donc, bien sûr quand il y a péril parce que la plupart des acteurs se désintéressent d’un domaine thérapeutique, il faut oser le dire et trouver les solutions en partenariat avec les Autorités de Santé pour que les conditions économiques permettent la reprise des programmes de recherche. C’est le cas aujourd’hui avec la Psychiatrie puisque de nombreux laboratoires internationaux ont annoncé l’arrêt de leurs programmes de recherche, mais je suis confiante que cette situation de blocage ne durera pas. Cette industrie regroupe un grand nombre d’hommes et de femmes responsables et qui ont à cœur de relancer les programmes de recherche pour que les progrès continuent.





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