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Catastrophe industrielle et crise de santé publique : le cas de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen




Lundi 30 Mars 2020


C’est sous un épais panache de fumée noire de plus de 20 kilomètres que se réveillent les habitants de Rouen le 26 septembre 2019. L’inquiétude initiale laisse rapidement place à un chaos monumental et une psychose « Tchernobylesque » alimentés par une communication de crise hésitante des pouvoirs publics et une absence de réponse de l’entreprise.



Dans la nuit du 25 au 26 septembre 2019, l’usine de Lubrizol à Rouen synthétisant et stockant des produits chimiques destinés à être utilisés comme additifs pour lubrifiants est ravagée par un incendie gigantesque dans lequel plus de 5 250 tonnes de produits potentiellement toxiques auraient brûlés
 
Les autorités publiques se montrent pourtant réactives dès le début de la crise : le discours du 26 au matin se veut rassurant : « il n’est pas mesuré de toxicité aiguë dans l’air » martèle entre autres la préfecture. Cette dernière manifeste une volonté de transparence, active une cellule de crise et met rapidement en place une présence physique sur le terrain. Les premiers communiqués se succèdent, ils cherchent à démontrer que les autorités contrôlent la situation et que le problème serait essentiellement lié à « des problématiques olfactives ».
 
La parole officielle rentre cependant très vite en collision avec les constats concrets réalisés par les habitants de la ville qui utilisent les réseaux sociaux pour dénoncer des odeurs nauséabondes, des suies mystérieuses, des nausées et maux de têtes… Leur inquiétude est amplifiée par le caractère vertical de la communication des pouvoirs publics : l’empathie brille par son absence dans les communiqués et l’État demande par exemple maladroitement de ne pas saturer le standard du SAMU pour des « problématiques d’odeur ». Rien ne laisse à penser que les autorités entendent et cherchent à répondre aux questions de la population particulièrement concernée par les possibles effets néfastes à moyen ou long terme complètement négligés par la communication officielle.
 
L’inquiétude se mêle alors à une colère croissante alimentée par l’action de collectifs et la diffusion de rumeurs et de fausses informations sur les réseaux sociaux : nous pouvons citer entre autres une photo d’explosion nocturne qui provient en fait de Chine, un faux communiqué du CHU de Rouen qui appelle à ne pas boire l’eau du robinet, des clichés d’oiseaux morts originaires des États-Unis et des vidéos de lavabos remplis d’eau noire à la source improbable.
 
La parole officielle bien que délivrée rapidement et sereinement est désormais remise en cause car incomplète dès le début. La polémique bat son plein et les accusations de camouflage de la vérité ne cessent d’essaimer. Le gouvernement et la préfecture sont érigés comme seuls coupables et l’entreprise Lubrizol complétement oubliée. Le 1er octobre au soir, les manifestants scandaient d’ailleurs devant la préfecture de Seine-Maritime protégée par des gendarmes : « C’est le préfet qui doit sauter, c’est pas les salariés qui doivent payer ».
 
Il est clair que Lubrizol bien qu’au cœur de la catastrophe industrielle, s’en tire très bien par rapport aux pouvoirs publics aux premiers stades de la crise [1]. Son nom a certes fleuri sur des banderoles de manifestants et elle a encaissé certaines critiques virulentes de figures publiques comme celle du député EELV européen Yannick Jadot qui souhaitait « que la justice les cartonne » mais l’entreprise parvient à esquiver. Elle publie seulement trois communiqués très sobres sur son site internet et son PDG, Frédéric Henry, interrogé sur Europe 1 le 28 septembre, lance même une piste dédouanant complètement sa société : « Je suis très étonné de voir un incendie qui démarre comme ça, en pleine nuit, à un endroit où il n’y a personne. Cela m’interroge vraiment, je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Il ne faut rien écarter, mais c’est très étonnant ».
 
Une grande leçon peut alors être tirée de la communication mise en place par l’État, il semblerait que la culture du communiqué de presse et du numéro vert soient complétement dépassées : il convient désormais d’utiliser au maximum les réseaux sociaux pour diffuser l’information et répondre aux questions des populations locales en adoptant une posture empathique. L’État aurait également pu tenter d’associer les ONG et les collectifs locaux à la collecte et à l’analyse des données.


[1] Nous savons désormais que si les investigations n’ont toujours pas permis de déterminer les causes de l’incendie du 26 septembre, l’entreprise a été mise en examen fin février pour « atteinte grave à la santé et à l’environnement », nouvelle passée relativement inaperçue.

Alexis Renondin

Dans cet article : crise, gestion de crise, Lubrizol, Rouen



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