Carnets du Business


           

Uzbeen : l’inévitable aurait-il pu être évité ?




Mardi 2 Août 2022


Incompréhension. Peine. Désarroi. Le 18 août 2008, ce sont onze de nos soldats qui sont tombés au champ d’honneur, loin de chez nous, dans la vallée d’Uzbeen en Afghanistan. Retour sur une embuscade tragique.



Uzbeen : l’inévitable aurait-il pu être évité ?
Le 18 août 2008, une section du 8e Régiment de parachutistes d’infanterie de marine et une section du régiment de marche du Tchad effectuent une mission de reconnaissance dans la vallée d’Uzbeen en Afghanistan. Elles tombent dans une embuscade et engagent de violents combats qui dureront plusieurs heures. Dix soldats tomberont au champ d’honneur au cours de cet engagement et vingt-et-un autres seront blessés. Comment un tel épisode de violence a-t-il pu se produire? Ce combat s’apparente à une crise tant par son caractère inédit que par l’impact de ses conséquences.

Pourtant présentée comme une victoire selon les communiqués officiels de l’armée de terre, différents éléments (tant en amont que lors de la conduite de l’opération de reconnaissance) auraient pu permettre une meilleure gestion de l’embuscade, si ce n’est l’éviter.


UNE PRÉPARATION PERFECTIBLE

Le premier aspect qui ressort de ce conflit est la sous-estimation de la force adverse. Les talibans, qui malgré leurs moyens limités ont su profiter de l’inattention des forces françaises pour créer une situation propice à l’embuscade. De plus, les rescapés font mention de doutes exprimés à l’encontre de l’interprète afghan au service de la section du 8e RPIMA, ce qui aura contribué au déroulement de l’embuscade. Néanmoins, il convient de ne pas tomber dans la facilité et de rappeler que les interprètes se font rares dans cette région isolée, cette coopération relève donc plus d’une contrainte que d’un choix.

L’absence de reconnaissance aérienne d’une zone pourtant considérée comme risquée est elle aussi souvent rappelée. Dès lors, les capacités de l’armée de terre étaient-elles insuffisantes ce jour-là ? Il n’y avait certes ni hélicoptères (ici utilisés dans le cadre d’une autre mission) ni drones de disponible (il faut rappeler que l’usage banalisé des drones dans l’armée de terre est réservé à certaines unités spécialisées qui n’étaient pas présentes sur zone.) mais des observateurs d’artillerie (ici présents au sein des forces spéciales américaines) auraient pu être détachés en amont pour obtenir du renseignement.

La préparation matérielle a elle aussi contribué à ce drame. Les équipements et la dotation en vivres des combattants se sont avérés inadaptés lors de cette crise. Premièrement, les véhicules de transport, ici des VAB (Véhicules de l’Avant Blindé) ont affaibli les soldats avant l’embuscade. La température au sein des véhicules dépassant les 50 degrés (température parfois plus élevée que celle extérieure) car non dotés de climatisation (amélioration qui sera prise en compte par son successeur, le Griffon) a amené à ce que l’un des soldats de la section du 8e RPIMA soit victime d’un malaise lors de la reconnaissance car déshydraté.

Les premiers instants du combat seront les plus mortifères : dès les premières minutes des tirs, ce sont 9 des 10 victimes qui perdront la vie. Pour autant, ce chiffre ne doit pas être interprété comme un manque de préparation, la nature même de l’embuscade mêlant brutalité et effet de surprise. Au contraire, le reste de la section a réussi à se poster rapidement afin de se protéger des feux ennemis.


UNE GESTION RÉVÉLANT DE NOMBREUSES FAILLES

Au-delà de la carence de renseignement et de reconnaissance liée à la phase de préparation de la mission, la gestion du combat lors de l’embuscade s’est elle aussi révélée perfectible.

La faute principale revient à la section du régiment de marche du Tchad qui, équipée de mortiers de 80mm, aurait dû fournir l’appui feu nécessaire à la rupture de contact de la section du 8e RPIMA, alors prise en embuscade. En revanche, l’ensemble des percuteurs de ses mortiers ont été oubliés sur la base avancée de Tora. A qui la faute ? Difficile à dire :le responsable direct est-il le tireur mortier responsable de sa machine ? Le Sous-Officier Adjoint en charge de l’ensemble du matériel de la section ? Ou bien le chef de section si ce n’est le commandant d’unité ? Difficile d’identifier un responsable direct. De plus, la distance trop rapprochée entre les forces françaises et les talibans n’a pas permis l’appui aérien que les forces américaines auraient pu fournir.

Le soutien logistique a lui aussi été mis en cause. Après des heures de combat et face à un ennemi en surnombre, les capacités de feu des soldats français arrivent à leurs limites. Il faudra plusieurs heures avant qu’un ravitaillement en munitions soit apporté aux soldats, et ce, malgré les comptes-rendus répétés du chef de section appelant à l’aide. Une dotation plus conséquente aurait pu être fournie en amont et stockée dans les trois VAB de la section.

En somme, c’est la totalité des armes (de mêlée, d’appui et de soutien) de l’armée de terre qui voient leur caractère opérationnel et leur capacité à faire face à un ennemi asymétrique questionnés.


UNE COMMUNICATION OPAQUE ET AMÉLIORABLE

Malgré les témoignages édifiants des survivants, la peine des familles, et la remise en cause publique des capacités de l’armée de terre, les enquêtes de commandement n’ont débouché sur aucun coupable, aucun responsable, et les hauts gradés ont préféré s’en remettre à la réalité complexe et imperméable des combats qui selon eux légitime les pertes humaines. Cependant, et bien que ces arguments soient recevables, le fait de ne pas avoir publiquement reconnu certaines erreurs dont les rescapés de l’embuscade ont conscience, a diminué la sincérité perçue de cette communication de crise. En effet, il n’a pas été publiquement fait mention des causes directes qui ont contribué à l’aggravation de cette crise, en particulier l’oubli des percuteurs de mortiers.

Les différentes autorités n’ont pas manqué de souligner la bravoure et l’héroïsme des soldats ayant perdu la vie, mais le manque de transparence des autorités militaires, tout comme l’absence d’identification de responsables directs ont créé de la frustration. Ainsi, c’est de manière inédite que la famille du Sergent Damien Buil, victime d’Uzbeen, poursuivra l’armée française pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Bien que cette plainte ait été classée sans suite en 2010, la judiciarisation du métier militaire est venue rajouter de l’huile sur le feu d’un sujet déjà complexe, et ce, en raison d’une communication de crise maladroite.
 

UN BILAN CONTRASTÉ DONT LA TRACE PERDURE AUJOURD’HUI ENCORE

Malgré leur caractère tragique, ces pertes ne sont pas vaines. Elles auront permis la prise de conscience de l’obsolescence de certains procédés au sein de l’armée française, et engager le processus de modernisation des équipements qui s’est avéré nécessaire pour la poursuite des opérations extérieures. Elle aura aussi permis la meilleure prise en charge des soldats après les opérations extérieures avec, notamment, la mise en place d’un sas de décompression situé à Chypre où se rendent l’ensemble des soldats suite à une opération extérieure. Les leçons de la crise de l’embuscade d’Uzbeen ont donc été tirées et sont aujourd’hui appliquées.

M.D.




Recherche

Rejoignez-nous
Twitter
Rss
Facebook

L'actualité de la RSE



L'actualité économique avec le JDE






2ème édition, revue et augmentée