Carnets du Business


           

TOYOTA ou la gestion de crise à la japonaise




Mardi 11 Juin 2019


Toyota était réputé pour la fiabilité de ses voitures et à la fin des années 2000, tout semblait sourire au constructeur automobile nippon. Pourtant, en quelques semaines, il a failli tout perdre à la suite d’un accident mortel en Californie faisant 4 victimes et dans laquelle une voiture haut de gamme de la marque était impliquée. L’entreprise met du temps à réagir, frôle le désastre puis rebondit en puisant dans ses valeurs pour se redresser et consolider sa domination sur le marché automobile.



Tout commence le 28 août 2009 lorsqu’un agent de la patrouille routière de Californie Mark Saylor ainsi que trois membres de sa famille se rendent sur l’autoroute 125 à Santee en Californie. La voiture, une Lexus ES350, accélère soudainement sans que le père de famille ne puisse en reprendre le contrôle. Le véhicule en percute un autre avant de s’écraser le long de la route et de prendre feu. Les quatre membres de la famille périssent dans l’accident. Rapidement, le tapis de sol est mis en cause, mais aussi le système de freinage. Après ce premier drame, d’autres incidents et problèmes sur les boîtiers de vitesse sont mis en avant sur la Lexus, mais aussi sur d’autres modèles de la marque. En novembre 2009 le Los Angeles Times publie un article sur Toyota où il pointe du doigt un nombre croissant d’accidents liés à des accélérations involontaires. On compterait 19 morts depuis 2002 causés par de tels défauts de fabrication sur des véhicules de la marque contre « seulement » 11 morts pour tous les autres constructeurs automobiles combinés. Toyota se voit donc obligé de rappeler plus de 16 millions de véhicules dans le monde entier entre novembre 2009 et février 2011 pour faire face à ce problème sans précédent dans l’histoire du groupe.
 
Au cours de cette crise de longue haleine, la communication de l’entreprise évolue beaucoup. Dans un premier temps, le constructeur automobile japonais fait le choix de se taire et de minimiser sa part de responsabilité dans l’affaire. La direction de Toyota ne prend la parole qu’en février 2010, soit 6 mois après l’accident en Californie. Ce choix est critiqué par beaucoup, allant même jusqu’au ministre des Transports japonais et lorsque la crise s’envenime et que des défauts multiples sur la pédale d’accélérateur sont révélés, Toyota se voit obligé de changer sa stratégie.

Quand le grand groupe finit par s’exprimer, il se place comme « responsable, mais non coupable » de ces défauts de fabrication. En effet, Toyota attribue la faute à son fournisseur américain CTS et aux victimes de l’accident ayant utilisé un tapis non adapté à leur véhicule. L’entreprise déclare dans le journal du Monde (30.01.2010) « Nous prenons l'entière responsabilité de cette affaire. Même si elle provient de la pièce d'un fournisseur et non pas d'un problème à l'assemblage » ainsi que « L'enquête a démontré que ce véhicule contenait un tapis qui provenait d'un autre modèle et qui n'était donc pas adapté à ce véhicule.»

Néanmoins, la crise perdure. Toyota décide alors de changer une dernière fois de stratégie de communication. L’entreprise japonaise assume finalement pleinement sa responsabilité face à ces nombreux défauts liés à la sécurité des véhicules : elle annonce le rappel de 400 000 Prius partout dans le monde en février 2010 et Akio Toyoda, PDG de l’entreprise et petit-fils du fondateur, prend la parole en conférence de presse. Il se dit « profondément désolé », souligne qu’ils tentent, au sein du groupe « de rendre [leurs] produits meilleurs. Donc ce genre de procédé est bon pour les consommateurs » et qu’il s’agit d’une « période de crise pour Toyota, mais afin de regagner la confiance des clients, Toyota va devoir resserrer les rangs et coopérer de façon étroite avec ses concessionnaires. » Il conclut par la phrase suivante : « Je vous en prie, croyez-moi, nos clients sont notre première priorité ». Parallèlement, Jim Lentz, le PDG américain de Toyota publie également une vidéo d’excuses. La transparence devient alors le mot d’ordre de la stratégie de gestion de crise de Toyota. En France par exemple, le groupe émet un communiqué de presse dans lequel il donne une liste exhaustive des défauts de fabrication ainsi que le nombre de rappels dans l’Hexagone (164 000 véhicules). De nouveaux procédés de contrôle très efficaces sont mis en place et chaque client de Toyota peut alors prendre un rendez-vous en ligne pour réparer les défauts constatés.

Une campagne publicitaire avec un nouveau slogan est également lancée : « une bonne entreprise répare ses erreurs, une grande entreprise en tire les leçons ». L’entreprise ouvre sa porte aux médias et met en avant l’efficacité de ses équipes. Un gros travail est également fait en interne, Toyota mise sur l’expertise de ses employés et l’esprit d’équipe au sein du groupe. Le PDG Akio Toyoda, a renforcé la cohésion au sein de l’organisation par de nombreux discours et prises de paroles émouvantes comme le montre sa déclaration en mars 2010 : « Je pensais me battre pour ces gens, mais je me suis rendu compte que c'étaient eux qui me protégeaient. Cela m'a beaucoup touché. J'ai pris conscience de ma chance d'être chez Toyota ». Si un procès a bien eu lieu aux États-Unis suite à ces nombreux problèmes de fabrication, l’entreprise a tout de même réussi à sauver sa place en tant que numéro 1 mondial de l’automobile.

Cette prouesse n’a été possible que par une très bonne communication de crise, et ce malgré le fait qu’elle ait pris du temps à être correctement mise en place. En effet, Toyota peine longtemps avant de comprendre comment répondre à la crise. Dans un premier temps, l’organisation fait le choix de la stratégie du silence, fondée sur l’idée que prendre la parole risquerait d’envenimer la polémique et qu’il vaut alors mieux se taire et attendre que la crise passe. C’est l’idée du « faute de combustible, le feu s’éteint » développé par Jean Piottet dans Communication de crise, quelles stratégies ? Mais dans ce cas particulier, cette stratégie n’est pas payante. En effet, des problèmes internes : la crise qui s’aggrave avec la découverte de nouveaux défauts de fabrication, et des problèmes externes : Toyota qui est leader mondial et donc la cible à abattre par ces concurrents et les médias, font que la crise est trop sérieuse pour être ignorée par le groupe. Le commentaire négatif réalisé par le ministre des Transports japonais montre bien que la volonté du public, lors de ce genre de situations, est d’avoir une réponse des entreprises impliquées.

Toyota fait ensuite le choix de la stratégie du bouc émissaire en rejetant la faute sur ses distributeurs. Néanmoins, la gravité de la faute qui résulte tout de même en 4 morts ne rend pas cette stratégie efficace. On peut comprendre la volonté de l’entreprise de ne pas faire face aux attaques seule mais cela ne permet pas améliorer l’image de la marque et de l’innocenter dans cette crise. Un leader mondial se doit en effet de maîtriser sa chaîne de production de A à Z et de vérifier le sérieux et la qualité de ses prestataires. Ils sont donc tout autant responsables, ce qu’ils finissent finalement par comprendre.

C’est en effet la stratégie de la responsabilité et de la transparence qui est mise en avant 7 mois après le début du scandale. À partir de ce moment, la politique de Toyota est exemplaire. Le président du groupe ressoude les équipes en interne, la communication avec les médias est fréquente et ouverte, un nombre incroyable de véhicules est rappelé (plus de 16 millions) pour s’assurer de la qualité des voitures sur le marché. Enfin on pourrait presque même parler de rebond positif avec le slogan « une bonne entreprise répare ses erreurs, une grande entreprise en tire les leçons ». Le groupe réussit en effet à regagner la confiance de ses utilisateurs en promettant un changement important dans sa politique. Il en a fait une opportunité de se développer encore plus et réussit ainsi à rester numéro 1 sur le marché automobile. La force de Toyota réside essentiellement dans le fait d’avoir réussi à se tourner vers sa culture d’entreprise et ses valeurs pour réagir. En effet, dans The Toyota Way il est écrit que « Nous considérons les erreurs comme des occasions d'apprendre ». Toyota ne se contente pas de revenir à l'état d’avant problème, mais travaille pour être mieux parée pour l'avenir qu'avant l'incident. Cet effort de perfectionnement est appelé le kaizen d'amélioration et c’est grâce à ce principe propre aux valeurs de l’entreprise que celle-ci a réussi à sortir plus forte de la crise et à conserver son rang de leader mondial. Aujourd’hui, 10 ans après le début du scandale, elle est vue comme un modèle de gestion de crise, et ce malgré un premier moment de communication catastrophique. En effet, des livres ont même été publiés sur leur histoire comme Toyota, un modèle de gestion de crise : la force du management responsable écrit par Jeffrey Liker et Timothy Ogden. Il semble donc que beaucoup d’entreprises et d’organisations aient à apprendre du grand groupe nippon.

Mathilda Palebo



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