Grâce aux interventions de Garance Cattalano-Cloarec, professeur de droit, de Jérôme Gallot, ancien Directeur général de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la répression des fraudes) et de Philippe Bertrand, journaliste aux Echos et modérateur, cette conférence a proposé un éclairage sur l’efficacité des nouvelles mesures pour détecter et sanctionner la déloyauté dans les pratiques commerciales. Les intervenants se sont accordés sur une dynamique positive d’évolution du droit.
Loi Hamon : des évolutions en matière de sanctions
Selon le code de la consommation, « une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. » Si le corpus de textes est une chose, son application en est une autre. Or, il s’agit bien de protéger simultanément tant les consommateurs que les entreprises qui se prêtent au jeu de la concurrence loyale. L’idée est désormais de renforcer cette protection et donc de conférer à nouveau un réel pouvoir de coercition aux institutions administratives, dans le contexte d’instructions judiciaires longues, complexes et bien souvent sans effet réel. En effet, jusqu’en 2014, la DGCCRF est principalement chargée de la partie « enquête ». Puis elle transmet les conclusions de ses investigations et ses procès-verbaux à l’institution judiciaire. Or, en 2000, par exemple, 53% des procès-verbaux de la DGCCRF faisaient l’objet d’un classement sans suite pur et simple, selon M. Gallot.
Pour faire face à cette insuffisance de la réponse judiciaire, les pouvoirs publics essaient de multiplier les voies de sanctions. Avant l’ordonnance Macron, le principal texte en ce sens fut la loi Hamon de 2014, qui a accordé de nouveaux pouvoirs aux agents de la DGCCRF : pouvoir d’enquête, de sanction, d’injonction, et le pouvoir de prononcer une amende administrative. La loi Hamon a permis de redonner aux administrations des leviers d’action : la DGCCRF publie ainsi par exemple un bilan sectoriel de ses activités de contrôle et des résultats de ces contrôles. La loi Hamon précise également certaines définitions et alourdit les sanctions : tombent désormais sous le coup de la loi une liste précise de pratiques trompeuses par action, par omission, ou réputées trompeuses. L’amende maximale pour une pratique commerciale trompeuse est, elle, passée de 37 000 à 300 000 euros. Elle peut même atteindre 10% du CA dans les cas les plus graves.
Explosion des fraudes en e-commerce, mais pas seulement
Cela n’a pas forcément encore eu l’effet dissuasif escompté, sachant que certaines entreprises considèrent toujours ces montants d’amendes encourues comme dérisoires. En 2016, la Direction Générale de la répression des fraudes a d’ailleurs présenté un bilan éloquent : sur 11 000 sites contrôlés, le taux d’anomalies est de 31%. Si le commerce électronique est champion dans la fraude commerciale, les réseaux sociaux comme Facebook ne sont pas en reste et sont accusés de produire clauses abusives et illicites. Quant aux sites de ventes à distance, un taux de 49% de non-conformité a été constaté.
Ainsi, la DGCCRF a sanctionné, pour plus de 2 millions d’euros, 19 entreprises de commerce en ligne telles que Amazon, Zalando ou encore Opodo, Go Voyages, Easyvoyage et eDreams.fr, ces dernières sur le créneau spécifique des comparateurs de vols. Derrière ces entreprises épinglées, des pratiques bien rodées : CGU opaques, clauses contractuelles abusives, frais dissimulés, prestations liées… Sachant que très peu de consommateurs vont aller au pénal pour quelques dizaines d’euros dans la plupart des cas, il est fort probable que des centaines de sites aux pratiques frauduleuses ne font pas encore l’objet de plaintes.
Mais les sites de e-commerce ne sont pas les seuls à recourir à ces subterfuges. Evoqué par l’ancien directeur de la DGCCRF, le cas récent d’Optical Center illustre une pratique également répandue au sein des enseignes physiques : c’est le cas du prix dit « de référence », un prix affiché artificiellement augmenté sur lequel sera appliquée une fausse promotion. Le 13 décembre 2016, sur intervention de la direction départementale de la protection des populations de Paris, Optical Center a ainsi été condamnée, sous astreinte de 250 000 euros par campagne débutée après la date de l'arrêt, à cesser une campagne promotionnelle induisant le consommateur en erreur. Motif : une fausse remise appelée « Offre Unique » laissait penser au client qu’il bénéficierait d’une baisse de 40% sur un prix « gonflé » à cet effet. La cour d’appel de Paris a également fait valoir que cette remise « exceptionnelle » est proposée toute l’année, perdant de fait son statut de promotion temporaire. Optical Center n’en est pas à son coup d’essai : en dépit de plusieurs condamnations, l’enseigne poursuit sur sa lancée et continue d’ailleurs de proposer l’offre incriminée. Le comportement de cette enseigne d’optique illustre bien une autre problématique : l’efficacité de la dissuasion judiciaire et l’effectivité des sanctions.
Renforcer le diptyque dissuasion-sanction : l’ordonnance Macron
La combinaison de pratiques commerciales déloyales propre à Optical Center n’est qu’un exemple parmi des centaines de possibilités : le caractère trompeur d’une pratique commerciale peut porter sur l’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service, sur ses caractéristiques essentielles, son prix (notamment le mode de calcul du caractère promotionnel), ses conditions de ventes, de paiement, de livraison, de service après-vente etc… autant de variations et de critères propres à altérer in fine la décision du consommateur. Pour éviter de passer en justice, certaines entreprises ont accepté de payer directement les amendes (parfois assorties d’une obligation de publication) et ont pris l’engagement de modifier leurs pratiques. D’autres entreprises refusent au contraire de reconnaître les faits et de payer, auquel cas sont enclenchées les procédures judiciaires pouvant aboutir à une condamnation pénale. Mais même en cas de condamnation, les exemples cités attestent de la faiblesse du caractère dissuasif des peines.
C’est pour corriger cela qu’en mars 2016, l’ordonnance Macron est publiée, avec la volonté d’aligner le droit français au droit européen. Elle a permis d’apporter des clarifications et une cohérence d’ensemble pour faciliter la mise en œuvre du droit à la consommation. Bien que cette ordonnance n’ait pas apporté de modifications substantielles en droit, elle permet tout de même de renforcer un aspect qui pêche encore trop : l’effectivité des sanctions. Il convient désormais de s’assurer que les peines prononcées sont bien appliquées, et les amendes recouvrées, notamment en matière de droit du travail. Il s’agit « d’améliorer l’efficacité des contrôles administratifs et la rapidité des procédures et sanctions, afin d’assurer l’effectivité des règles du droit du travail, et ainsi, de lutter contre la concurrence sociale déloyale », confirme le cabinet Ellipse Avocat, qui ajoute : « cette réforme du contrôle de l’application du droit du travail constitue […] un « tour de vis » pour les entreprises, les chefs d’entreprise et leurs délégataires de pouvoirs. […] Il faut s’attendre à ce que les contrôles débouchent sur un accroissement des sanctions, en fréquence et en sévérité. »
Si certaines lacunes judiciaires commencent à être comblées, il reste encore beaucoup à faire sur certains points : la réduction des délais de l’action administrative ou judiciaire en cas de récidive, et le contrôle du respect des décisions de justice devraient être les axes d’effort des prochaines ordonnances. L’ordonnance Macron a été un premier pas dans la bonne direction, mais il en faudra bien d’autres pour répondre à la multiplication des cas.
Loi Hamon : des évolutions en matière de sanctions
Selon le code de la consommation, « une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. » Si le corpus de textes est une chose, son application en est une autre. Or, il s’agit bien de protéger simultanément tant les consommateurs que les entreprises qui se prêtent au jeu de la concurrence loyale. L’idée est désormais de renforcer cette protection et donc de conférer à nouveau un réel pouvoir de coercition aux institutions administratives, dans le contexte d’instructions judiciaires longues, complexes et bien souvent sans effet réel. En effet, jusqu’en 2014, la DGCCRF est principalement chargée de la partie « enquête ». Puis elle transmet les conclusions de ses investigations et ses procès-verbaux à l’institution judiciaire. Or, en 2000, par exemple, 53% des procès-verbaux de la DGCCRF faisaient l’objet d’un classement sans suite pur et simple, selon M. Gallot.
Pour faire face à cette insuffisance de la réponse judiciaire, les pouvoirs publics essaient de multiplier les voies de sanctions. Avant l’ordonnance Macron, le principal texte en ce sens fut la loi Hamon de 2014, qui a accordé de nouveaux pouvoirs aux agents de la DGCCRF : pouvoir d’enquête, de sanction, d’injonction, et le pouvoir de prononcer une amende administrative. La loi Hamon a permis de redonner aux administrations des leviers d’action : la DGCCRF publie ainsi par exemple un bilan sectoriel de ses activités de contrôle et des résultats de ces contrôles. La loi Hamon précise également certaines définitions et alourdit les sanctions : tombent désormais sous le coup de la loi une liste précise de pratiques trompeuses par action, par omission, ou réputées trompeuses. L’amende maximale pour une pratique commerciale trompeuse est, elle, passée de 37 000 à 300 000 euros. Elle peut même atteindre 10% du CA dans les cas les plus graves.
Explosion des fraudes en e-commerce, mais pas seulement
Cela n’a pas forcément encore eu l’effet dissuasif escompté, sachant que certaines entreprises considèrent toujours ces montants d’amendes encourues comme dérisoires. En 2016, la Direction Générale de la répression des fraudes a d’ailleurs présenté un bilan éloquent : sur 11 000 sites contrôlés, le taux d’anomalies est de 31%. Si le commerce électronique est champion dans la fraude commerciale, les réseaux sociaux comme Facebook ne sont pas en reste et sont accusés de produire clauses abusives et illicites. Quant aux sites de ventes à distance, un taux de 49% de non-conformité a été constaté.
Ainsi, la DGCCRF a sanctionné, pour plus de 2 millions d’euros, 19 entreprises de commerce en ligne telles que Amazon, Zalando ou encore Opodo, Go Voyages, Easyvoyage et eDreams.fr, ces dernières sur le créneau spécifique des comparateurs de vols. Derrière ces entreprises épinglées, des pratiques bien rodées : CGU opaques, clauses contractuelles abusives, frais dissimulés, prestations liées… Sachant que très peu de consommateurs vont aller au pénal pour quelques dizaines d’euros dans la plupart des cas, il est fort probable que des centaines de sites aux pratiques frauduleuses ne font pas encore l’objet de plaintes.
Mais les sites de e-commerce ne sont pas les seuls à recourir à ces subterfuges. Evoqué par l’ancien directeur de la DGCCRF, le cas récent d’Optical Center illustre une pratique également répandue au sein des enseignes physiques : c’est le cas du prix dit « de référence », un prix affiché artificiellement augmenté sur lequel sera appliquée une fausse promotion. Le 13 décembre 2016, sur intervention de la direction départementale de la protection des populations de Paris, Optical Center a ainsi été condamnée, sous astreinte de 250 000 euros par campagne débutée après la date de l'arrêt, à cesser une campagne promotionnelle induisant le consommateur en erreur. Motif : une fausse remise appelée « Offre Unique » laissait penser au client qu’il bénéficierait d’une baisse de 40% sur un prix « gonflé » à cet effet. La cour d’appel de Paris a également fait valoir que cette remise « exceptionnelle » est proposée toute l’année, perdant de fait son statut de promotion temporaire. Optical Center n’en est pas à son coup d’essai : en dépit de plusieurs condamnations, l’enseigne poursuit sur sa lancée et continue d’ailleurs de proposer l’offre incriminée. Le comportement de cette enseigne d’optique illustre bien une autre problématique : l’efficacité de la dissuasion judiciaire et l’effectivité des sanctions.
Renforcer le diptyque dissuasion-sanction : l’ordonnance Macron
La combinaison de pratiques commerciales déloyales propre à Optical Center n’est qu’un exemple parmi des centaines de possibilités : le caractère trompeur d’une pratique commerciale peut porter sur l’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service, sur ses caractéristiques essentielles, son prix (notamment le mode de calcul du caractère promotionnel), ses conditions de ventes, de paiement, de livraison, de service après-vente etc… autant de variations et de critères propres à altérer in fine la décision du consommateur. Pour éviter de passer en justice, certaines entreprises ont accepté de payer directement les amendes (parfois assorties d’une obligation de publication) et ont pris l’engagement de modifier leurs pratiques. D’autres entreprises refusent au contraire de reconnaître les faits et de payer, auquel cas sont enclenchées les procédures judiciaires pouvant aboutir à une condamnation pénale. Mais même en cas de condamnation, les exemples cités attestent de la faiblesse du caractère dissuasif des peines.
C’est pour corriger cela qu’en mars 2016, l’ordonnance Macron est publiée, avec la volonté d’aligner le droit français au droit européen. Elle a permis d’apporter des clarifications et une cohérence d’ensemble pour faciliter la mise en œuvre du droit à la consommation. Bien que cette ordonnance n’ait pas apporté de modifications substantielles en droit, elle permet tout de même de renforcer un aspect qui pêche encore trop : l’effectivité des sanctions. Il convient désormais de s’assurer que les peines prononcées sont bien appliquées, et les amendes recouvrées, notamment en matière de droit du travail. Il s’agit « d’améliorer l’efficacité des contrôles administratifs et la rapidité des procédures et sanctions, afin d’assurer l’effectivité des règles du droit du travail, et ainsi, de lutter contre la concurrence sociale déloyale », confirme le cabinet Ellipse Avocat, qui ajoute : « cette réforme du contrôle de l’application du droit du travail constitue […] un « tour de vis » pour les entreprises, les chefs d’entreprise et leurs délégataires de pouvoirs. […] Il faut s’attendre à ce que les contrôles débouchent sur un accroissement des sanctions, en fréquence et en sévérité. »
Si certaines lacunes judiciaires commencent à être comblées, il reste encore beaucoup à faire sur certains points : la réduction des délais de l’action administrative ou judiciaire en cas de récidive, et le contrôle du respect des décisions de justice devraient être les axes d’effort des prochaines ordonnances. L’ordonnance Macron a été un premier pas dans la bonne direction, mais il en faudra bien d’autres pour répondre à la multiplication des cas.