Qu’est-ce qui vous a donné l’idée originale de ce livre ? Racontez-nous sa genèse.
Olivier Meier : Ce livre est une synthèse de trois observations : l’international et l’interculturel sont au centre de la réalité actuelle des entreprises. Et le continent asiatique et ses grands pays sont au cœur de toutes nos attentions, compte tenu du déplacement actuel des superpuissances vers la zone Asie. Il suffit de voir de quelle manière les Etats Unis se tournent aujourd’hui vers ce continent au détriment de l’Europe et de l’Afrique pour s’en convaincre. Enfin, il nous a semblé particulièrement intéressant d’étudier le lien entre la culture et l’éthique, en prenant comme cas d’application, un pays qui illustre ces étroites relations à travers son Histoire et son système de valeur, à savoir le Japon. Nos relations avec différents acteurs économiques et politiques du pays, la possibilité de réaliser des études et enquêtes sur place et de l’illustrer par des photos représentatives de la culture nipponne ont contribué à rendre ce projet réaliste et original par bien des aspects. « Le Japon »
Comment avez-vous été amené à travailler ensemble sur cet ouvrage ?
Nos écrits sur l’interculturel, sur les cultures nationales, notre intérêt pour la philosophie, la littérature, les questions éthiques et de manière générale sur la pratique des entreprises ont constitué un terreau propice à notre collaboration. La confiance dans l’autre, l’estime réciproque, l’originalité de nos parcours respectifs, l’intérêt réciproque pour les travaux de l’autre et des échanges fructueux et riches humainement ont permis d’aboutir à cet ouvrage, dont la rédaction nous tenait à cœur.
Si le lien entre Culture et Ethique fait naturellement sens, les mettre en rapport avec les grandes entreprises Japonaises est plus inattendu. Pourquoi les grandes entreprises et pourquoi le Japon en particulier ?
Beaucoup d’éléments sont propices à comprendre la culture nippone à travers les questions d’éthique et de rapport à l’autre. Le respect, la discrétion, l’humilité, l’honneur sont des valeurs fortes qui imprègnent toute la société nipponne. Nous nous attachons à montrer pourquoi et comment à travers différentes illustrations, exemples et témoignages.
La culture impose un lien très fort à l’histoire. Les entreprises japonaises sont-elles inscrites dans une véritable histoire partagée ?
Les entreprises japonaises, comme toute organisation économique, sont inscrites dans un univers mondialisé. Mais il est indéniable que sur bien des aspects la culture des entreprises nipponnes est imprégnée de son histoire, de ses mythes, légendes, de certains comportements et des multiples influences philosophiques qui ont traversé le pays.
Dans quelle mesure cela influence-t-il le « management à la japonaise », tant vanté en Occident de manière générale, et en France en particulier ?
La patience, l’humilité, le rapport au temps, la dimension collective, le respect des traditions, le sens du concret conduisent à aborder la stratégie des entreprises et leur management de façon particulière. Les stratégies de maillage et d’enveloppement des territoires sont ainsi privilégiées aux stratégies de domination à court terme. L’efficacité économique s’inscrit dans un projet collectif empreint de valeurs sociales, sociétales et collectives. L’innovation s’inscrit dans un processus durable, prend appui sur l’expérience et les qualités des concurrents, pour par la suite en faire son propre modèle d’originalité et de différenciation. Autant d’exemples qui, si on sait les décoder et les comprendre, illustrent l’originalité et la force d’une véritable modèle de développement, dont l’esprit suscite l’intérêt dans de nombreux pays, comme la France mais aussi la Grande Bretagne pour ne parler de que de l’Europe.
La longue période de crise qu’a connu le Japon ces dernières années a-t-elle donné lieu à des remises en cause profondes de l’organisation de la société japonaise et des entreprises japonaises ?
Durant cette période, les japonais ont énormément travaillé, moderniser certaines de leurs pratiques en donnant plus de poids aux stratégies agiles et flexibles et en faisant de la tradition un repère et des éléments de fierté, mais plus une source potentielle de freins sur le plan du développement des entreprises. Il suffit de voir les pratiques mises en place par les entreprises japonaises dans le domaine de l’industrie automobile pour s’en convaincre, avec des modèles intéressants en termes de souplesse dans l’organisation du travail, tout en menant des politiques de rémunérations attractives pour leurs salariés.
Le modèle des entreprises japonaises est-il transposable en France, au moins sous certains aspects ?
Dans ces domaines-là, il semble souhaitable de s’arrêter aux grands principes et d’éviter tout phénomène de modes. Aucun modèle culturel n’est en soi meilleur qu’un autre. Son efficacité repose sur la cohérence, le courage, la vérité, l’engagement, l’effort collectif et la persévérance. Mais les principes qui sous-tendent un modèle culturel peuvent sans aucun doute devenir une source de réflexion voire d’inspiration, même pour celui qui y est étranger.
* Culture et Ethique, Regard sur le Japon et les grandes entreprises japonaises, Carole Doueiry Verne et Olivier Meier, 182 pages, éditions VA Press, Versailles, 2014.