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Pascal Chaigneau
Professeur des Universités, Pascal CHAIGNEAU est président de la section de science politique et... En savoir plus sur cet auteur

Les conséquences africaines du conflit lybien

L'analyse géopolitique de Pascal Chaigneau




Vendredi 20 Juillet 2012


Le 14 janvier 2011, le Président tunisien Ben Ali tombait. Le 11 février, le Raïs égyptien Hosni Moubarak perdait le pouvoir. Le 1er juillet, le Maroc changeait de constitution et le 20 octobre, le guide de la révolution libyenne Mouammar Khadafi mourait à l’issue d’une guerre civile soutenue par une coalition internationale sous mandat des Nations Unies et conduite par la France dans le cadre de l’opération Harmattan. Aujourd’hui, il s’agit de situer le conflit libyen à l’intérieur de la typologie des révolutions arabes, d’analyser ses conséquences sur la zone du Sahel et d’opérer une nouvelle géopolitique des conflits en Afrique qui se caractérise par un axe de crise Mali-Somalie.



I/ Le cas libyen dans la typologie des révolutions arabes

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Derrière un intitulé unique, celui de « transitions politiques », trois catégories de situations sont à différencier :
  • Les phénomènes initiateurs ;
  • Les stratégies d’immobilisme ;
  • et les phénomènes d’insurrections armées et guerres civiles.
 
  1. Les processus originels
La Tunisie et l’Égypte ont été les deux leviers du phénomène de « tharwa » (révolutions) qui caractérise le monde arabe depuis dix-huit mois. En Tunisie, c’est l’armée qui a été la régulatrice de la crise et qui a su négocier le départ d’un chef de l’État. Le régime tunisien était une autocratie appuyée sur la police. L’armée y demeure un élément de stabilité alors que le parti Hennada, islamique mais modéré, domine l’actuelle assemblée constituante.

En Égypte, le phénomène est inverse : l’armée contrôle le pays depuis 1952 et entend garder le pouvoir réel alors que l’Assemblée Nationale est passée aux mains des islamistes et que les élections présidentielles se déroulent sur fond de tensions et de manifestations.
 
  1. Les stratégies du statu quo
Pour les accompagner un changement limité, le Maroc a changé de constitution le 25 novembre dernier. La Jordanie a fait de même. L’Algérie a acheté la paix sociale en subventionnant les prix des principaux produits de consommation. L’Arabie Saoudite et Abou Dhabi ont massivement utilisé la manne financière pour inhiber toutes manifestations sociales dans le Nord.
 
  1. Les phénomènes insurrectionnels
Au Yémen, sur fond de division du pays et d’oppositions tribales, le Président El Saleh a accepté de quitter le pouvoir en échange d’une immunité négociée en Arabie Saoudite. À Bahrein, les violences sont liées au mécontentement de la majorité chiite du pays alors que l’intégralité du pouvoir appartient à la dynastie sunnite des Al Khalifa. L’Iran joue un rôle déterminant dans l’activation de cette situation alors que l’Arabie Saoudite a fourni l’essentiel des troupes ayant réprimé les manifestations.
 
En Syrie, la guerre civile est d’autant plus radicale que la minorité alaouite au pouvoir ne se bat pas seulement pour le régime en place mais pour sa propre survie. C’est cette situation que nous analyserons tout à l’heure avec les experts de l’Institut.
 
En Libye, les résolutions 1970 et 1973 obtenues par la diplomatie française posent un problème d’autant plus réel qu’au nom d’un devoir humanitaire pour soutenir, au départ, les populations de Benghazi, ont été conduites des opérations de guerre sous chaîne logistique OTAN et sous mandat RTP (Responsability To Protect) des Nations Unies. Il s’agit dès lors d’étudier les conséquences pour la Libye elle-même et pour toute la région de cette guerre civile avec soutien extérieur.


II/ La fragilité actuelle de l’État libyen

Toute la politique de Mouammar Khadafi a consisté, au fil des années, à affaiblir les institutions classiques d’un appareil d’État. Le « modèle » khadafien de gouvernement s’est construit en faisant de sa personne le pivot de l’organisation politique. Le « guide » de la Jamahyria était devenu le médiateur et l’arbitre unique des forces en présence alors que la gestion économique du pays était largement confiée à une main-d’œuvre étrangère.
 
Le risque actuel est donc celui de la fragmentation du pays. Le découpage historique entre la tripolitaine, la cyrénaïque et le fezzan ressurgissent. Quant au Conseil National de transition, sa composition reflète à la fois les régions mais aussi les tribus, les villes et les milices locales. Le défi pour le chef de la transition Abdeljalil est de construire un État minimum, de restaurer les infrastructures économiques, d’éviter les séparatismes et de générer un sentiment d’identité nationale.


III/ L’effet de contamination du conflit libyen sur le Sahel

La situation avant le conflit : la Libye État pivot de la région

Pour comprendre les effets de la guerre civile libyenne et de l’intervention extérieure, il convient de rappeler trois facteurs : l’importance de la coopération libyenne dans la zone, les fragilités structurelles du Sahel et la situation à la veille du conflit.
 
  • Le poids déterminant de la Libye 
La Libye de Khadafi finançait un quart du budget de fonctionnement de l’Union Africaine. Au Sahel, elle est, au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina Faso, le deuxième investisseur, le deuxième client et le deuxième dispensateur d’aide derrière la France. Pour chacun des pays de la zone, ce sont pratiquement un quart de million de travailleurs émigrés en Libye qui ont dû rentrer dans leur pays à l’occasion du conflit. Ils y constituent actuellement un sous-prolétariat politiquement très problématique. De la même manière, depuis les accords d’Alger, Khadafi était devenu le principal soutien des mouvements touareg qui trouvaient en Libye leur terrain de repli et d’hébergement politique.
 
  • Les fragilités structurelles du Sahel
Grand comme l’Inde, de la Mauritanie à la frontière du Soudan et de l’Algérie au Nord du Nigeria, le Sahel se présente comme un vaste espace désertique aux États géographiquement immenses mais sous peuplés.
 
La Mauritanie, le Niger, le Tchad comptent parmi les dix pays les plus pauvres en termes d’indicateur de développement humain alors qu’ils détiennent des richesses convoitées (or au Mali, uranium du Niger, pétrole de Mauritanie et du Sud du Tchad). Le Sahel se caractérise par des États affaiblis héritiers de frontières coloniales artificielles et d’oppositions ethniques qui, depuis les années « 90 »,  en font une terre de conflits chroniques.
 
La fragilité sociale y est aggravée par l’insécurité alimentaire et les trafics. Ainsi, les cartels sud américains de la drogue (cocaïne) ont investi le Sahara pour en faire une plaque tournante de leurs réseaux à destination de l’Europe.
 
  • La situation à la veille du conflit
 Jusqu’à la chute de Mouammar Khadafi, la situation sahélienne était la suivante : la question des touareg semblait gelée voire réglée. Al Qaïda pour le Magreb islamique (AQMI) correspondait en réalité à quelques Khatiba locales, zones grises échappant au contrôle des États : celles d’Abou Zeid, de Droukdel et d’Abdelkrim. Sous couvert de salafisme religieux, il s’agissait d’organisations criminelles à but très lucratif pratiquant les trafics et les prises d’otages.
 
Face au problème, l’Algérie avait obtenu que le Comité d’État-Major opérationnel conjoint des pays de la zone soit placé à Tamanrasset ; Alger se considérant comme le régulateur naturel de la sous-région.
 
Le Président mauritanien Ould Abdelaziz se percevait comme en guerre contre AQMI et avait opté pour une position militaire très dure. Le Niger redoutait plus la sècheresse que l’instabilité politique et le Président malien Amadou Toumani Touré avait un discours très fort mais une action militaire très faible contre les unités d’AQMI.


IV/ La complexité de la situation actuelle

Après l’effondrement du régime Khadafi, quelque six mille touareg que le guide libyen entretenait sur son sol et dans son armée ont passé la frontière pour s’installer au Mali, emmenant avec eux armes et minutions. Le 18 octobre dernier, le gouvernement malien ordonna au gouvernorat de la zone de Kidal de les recevoir avec les honneurs et de les convaincre de se rallier à l’armée malienne (sous les ordres du Colonel Major Ganou).

Sur les trois grandes tribus touareg arrivées de Libye, les Inghad, Ifoghas et Chamanamasse, seules les Inghad ont donné suite à l’appel des autorités maliennes. Les autres se sont positionnées dans les montagnes de Kidal avec leurs armes. Fin octobre dernier, ils ont créé le « Mouvement national de libération de l’Azawad » pour construire ce qu’ils appellent le Kel-Tamasheq (la terre des Touareg). Le 17 janvier, ils attaquaient les localités de Menaka, Tessalit et Aguelhok puis avançaient progressivement jusqu’à Gao. Le Nord du Mali tombait sous leur contrôle.

Le coup d’État de mars 2012 et l’échec des négociations ont conduit, jusqu’à Tombouctou, à la situation suivante : un demi-million de Km² (pratiquement la moitié du pays) échappe désormais au contrôle des autorités de Bamako. Sur le terrain, les factions ci-après se partagent les zones d’influence : MNLA, AQMI, Union pour le Jihad et Mouvement salafiste Ansar Dine. Cette fragmentation du Nord intervient alors que les autorités de transition de Bamako tentent de recréer un maximum d’État légal. Pour l’avenir, le risque principal est celui de la contamination régionale redoutée par les pays de la CEDEAO. Le défi principal est désormais la contagion de l’islamisme au Nord du Nigeria à travers le secte islamiste Boko Haram qui désormais a trouvé un sanctuaire dans la région malienne de Kidal où elle s’entraîne au combat.


V/ L’axe de tension Mali-Somalie

Alors que les États-Unis, la France, l’Algérie et la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest s’interrogent sur l’action à mener pour éviter que le Sahel ne devienne une scène durable de non-droit et d’instabilité, sur la même ligne de fracture, l’Est du continent demeure caractérisé par la guerre :
  • La Somalie pose le problème de l’État implosé avec régionalisation du conflit depuis l’intervention des forces armées kenyanes en septembre dernier ;
  • La tension entre l’Éthiopie et l’Érythrée soulève la question des États implosés, Asmara intervenant dans la crise somalienne dans une logique de stratégie indirecte ;
  • La crise entre les deux Soudan nous confronte à une nouvelle tension entre Khartoum et Jouba. Alors que le Sud Soudan a obtenu son indépendance en juillet 2011, depuis avril 2012 bombardements sporadiques et actions au sol opposent les forces armées du Nord et du Sud  sur la région pétrolière d’Heglig et sur la zone contestée d’Abyel. Si les affrontements actuels ne constituent pas encore une vraie guerre, le dérapage est aujourd’hui probable.
L’espoir diplomatique est que la Chine, par sa médiation, arrive à persuader les deux États à renoncer aux armes.

En conclusion, sur cet axe de conflictualité Mali-Somalie, un constat s’impose : alors que les acteurs traditionnels tentent avec difficultés de trouver une solution pour stabiliser le Sahel et éviter que le Nord du Mali ne devienne la plus grande zone de crise de l’échiquier international, Pékin présent (notamment pour le pétrole aux deux Soudan) devient sous nos yeux un arbitre des rivalités africaines afin d’éviter une escalade conflictuelle que le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine n’a pas réussi à endiguer.

La Chine franchit là une étape déterminante de sa politique africaine. Un succès diplomatique de sa médiation entre les deux Soudan (alors que l’Occident tergiverse sur une solution au Sahel) légitimerait Pékin aux yeux des États africains comme un véritable partenaire alternatif.






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