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Le scandale du BPA




Mardi 5 Juillet 2022


Repérés dès le milieu des années 1990, les effets nocifs du BPA ont été systématiquement ignorés pendant de nombreuses années. Plongeons-nous dans les méandres de ce scandale sanitaire mondial qui, plus de vingt ans plus tard, n’a pas terminé de faire parler de lui.



Le Bisphénol A, c’est quoi ?
 
Le Bisphénol A (BPA) est un composé chimique issu de la réaction entre deux molécules de phénol et une molécule d’acétone. Synthétisé pour la première fois en 1891, il est aujourd’hui utilisé comme monomère lors de la fabrication industrielle de plastique et de résines. On le retrouve dans les plastifiants, sous forme libre dans de nombreux tickets de caisse, ou comme revêtement intérieur dans les boîtes de conserve et canettes. Il est ainsi très présent dans les produits de consommation courante, en particulier au contact d’aliments.
 

La naissance d’un scandale
 
La même règle régit depuis des siècles le domaine de la toxicologie : l’effet d’un poison sera proportionnel à sa dose. Autrement dit, sous une certaine dose, un poison n’en est pas un. La toxicologie ne mesure donc jamais la nocivité d’un composé chimique à des doses faibles, auxquelles l’humain est exposé. C’est le cas pour le BPA qui, jusqu’en 1996, n’est pas qualifié de dangereux. C’est alors que Frederick Vom Saal, professeur à l’université du Missouri à Columbia, décide de mener des expériences sur le BPA à très faible dose. Il constate alors que les effets du BPA sur le système reproducteur de souris apparaissaient à la dose 25000 fois plus faible que le seuil fixé auparavant. Pour la première fois, des travaux scientifiques suggèrent que le BPA à très faible dose agit comme un perturbateur endocrinien et est susceptible de provoquer des effets biologiques dévastateurs. Nous parlons ici de doses comparables à celles auxquelles les humains sont exposés. Or en 1996, c’est 6 millions de tonnes de BPA qui sont produites par an, et 2,4 millions de bénéfice par heure pour des géants industriels qui ne sont pas prêts à laisser cette crise entraver leurs profits.
 

La gestion de la crise par les industriels
 
En 1997, les travaux de M. Vom Saal sont soumis à une revue scientifique (Toxicology and Industrial Health) au grand dam des industriels du plastique. C’est alors que Dow Chemical, le géant américain de la chimie, organise un entretien entre un représentant de l’entreprise et Frédéric Vom Saal. Le représentant déclare être dans l’espoir d’une « issue mutuellement bénéfique » au retrait de l’article soumis à la publication. Le professeur, indigné par cette proposition, refuse catégoriquement et l’article est publié.

L’argument pécuniaire n’ayant pas atteint l’objectif escompté, les industriels passent à la contre-attaque et financent une dizaine de recherches alternatives. Chacune d’entre elles affirme que le BPA n’est pas nocif à faible dose. L’affaire révèlera par la suite que les laboratoires financés par les géants industriels avaient mis au point un tour de passe-passe pour minimiser les effets du BPA sur les rongeurs de leurs études. Cependant, ces études faussées ont eu l’effet attendu : à la fin des années 1990, les résultats concernant le BPA étaient encore controversés.

En 2009, alors qu’un consensus scientifique se crée et que la Société d’endocrinologie américaine tire la sonnette d’alarme sur les perturbateurs endocriniens et le BPA, la majorité des agences de sécurité sanitaire estime que le BPA n’a pas d’effet sur la population. L’industrie, par le financement d’études faussées et obsolètes qui ne trouvent jamais rien, est parvenue à créer de l’incertitude et à installer un doute, créer une controverse qui leur fait gagner du temps, et donc du profit. Au moyen d’intimidations et d’études biaisées, les industriels ont ainsi réussi à occulter un scandale sanitaire mondial responsable de nombreuses augmentations de maladies telles que l’obésité, l’infertilité ou les troubles neuropsychologiques pour ne citer qu’elles.
 

Aujourd’hui, la crise est-elle finie ?

Le 23 juin 2010, après proposition du Sénat, le BPA est interdit dans les biberons en France. Soit un produit dans un pays. Petit à petit, d’autres pays de l’UE suivent l’exemple français. En 2015, le Sénat français vote son interdiction dans tous les contenants alimentaires. Finalement, seule la disposition sur les biberons sera maintenue, celle sur les contenants alimentaires étant censurée à la suite d’un recours de PlasticsEurope. Actuellement aux Etats-Unis, seuls douze états ont mis en place des restrictions concernant le BPA, principalement en interdisant sa présence dans les biberons ou les tasses.

Plus de vingt ans après les études de M. Vom Saal, la controverse est encore présente au sein de nombreux pays et l’interdiction du BPA reste poussive. Lorsqu’il est interdit, le BPA est fréquemment remplacé par le bisphénol B ou le bisphénol S, dits être tout aussi nocifs. Entre occultation, lobbys et intimidations, les industriels du plastique ont encore de beaux jours devant eux.

S.K.




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