L’autorité est une attribution qui légitime le pouvoir de commander et d’être écouté. Elle peut avoir différentes sources de légitimités (1) :
- le statut, la loi ou la règle (légitimité rationnelle-légale) ; - les us et coutumes (légitimité traditionnelle) ;
- les qualités personnelles (légitimité charismatique).
Mais, alors que la domination s'obtient par la force (2), l’autorité doit à l'inverse être acceptée, reconnue et partagée, pour être légitime.
La culture française est traditionnellement associée à un système centralisé, où le statut et le poids hiérarchique sont déterminants, avec une distance hiérarchique élevée entre le détenteur de l’autorité et ses subordonnés (légitimité rationnelle-légale). Mais cette représentation de l'autorité est aujourd'hui contestée, pour diverses raisons:
a) La remise en cause des principes de" bonne administration" (3) [unicité de commandement, stabilité, sécurité] au profit du pluralisme et de nouvelles formes d'organisations plus horizontales et collaboratives ;
b) L’éclatement des organisations fondées sur la supervision directe et les modes de contrôle hiérarchique sous l'influence de la mondialisation et des technologies de l’information, qui rendent les marques d’autorité moins visibles (organisation virtuelle, disparition des structures pyramidales, modification des systèmes de contrôle, suppression des échelons hiérarchiques...) ;
c) La défiance à l'égard de l’expérience et des statuts attribués en fonction de l'âge, de sa position sociale, de sa formation, au profit de nouvelles formes de valorisation fondées sur l'action et les réalisations concrètes;
d) La perte de référentiels communs qui contribuent à rendre plus délicate une acceptation partagée de l’autorité (communautarisme, micro-militantisme, culture clanique, nouvelles formes d'expressions...);
e) Une approche critique des formes d'autorité traditionnelle (relations verticales "top-down") qui favorise le développement de stratégies alternatives (résistance, contestations, dissidence), via notamment les réseaux sociaux.
De ce fait, l’autorité ne va plus de soi. Elle doit désormais être démontrée et justifiée. Toute minorité active (individu ou groupe) peut aujourd'hui, via les technologies de l'information, perturber l’équilibre des pouvoirs, en développant des contre-propositions visibles sur le net, en diffusant des messages à grande échelle en dehors des médias traditionnels (qui pourront par la suite être repris et relayés). L'autorité conférée sur la base d'une définition juridique, institutionnelle du pouvoir n'est donc plus protégée par des considérations statutaires ou organisationnelles.
L’autorité doit désormais être reconnue et relève avant tout d’une définition opératoire, basée sur une "traduction" en actes (en compétences) avec des résultats tangibles. Le système d'autorité formelle fait donc place à un management fondé sur la réciprocité et l'échange, où le manager n’ordonne plus mais tente d'intégrer dans ses réflexions et actions, la diversité des opinions et mouvements. Il ne s'agit plus de commander au sens strict, mais d'être un initiateur, un facilitateur, en veillant à donner du sens et de l'intérêt aux actions menées. L'autorité moderne ne trouve donc plus ses fondements dans la soumission ou l'abdication, mais dans des actes de reconnaissance réciproques (approche "intégrative" et non plus simplement "distributive" de l'autorité), où l'on sait reconnaître le talent des autres tout en assumant une force de conviction et de persuasion.
Ainsi, si le statut et l'expérience ont pendant longtemps garanti l’exercice de l'autorité dans les organisations, ces conditions ne suffisent plus aujourd'hui à garantir la légitimité de l’acteur au sein d'un système désormais ouvert et mouvant. La France n'échappera pas à ce mouvement de fond. Malgré l'héritage culturel, les détenteurs de l'autorité en France devront être curieux, agiles et mobiles. Leur autorité proviendra avant tout de leurs actions (et non simplement de leurs positions) et devra s'exercer avec humilité et dans le respect des différences .
Notes
(1) Nous reprenons ici la typologie de Max Weber sur les différentes formes de légitimités "rationnelle-légale", "traditionnelle", "charismatique". La spécificité du droit légal-rationnel est de se fonder sur des règles qui prennent la forme de lois, c’est--dire de normes fondées sur la raison (démarche objective et impersonnelle). La seconde forme de légitimité renvoie à des règles coutumières et particulières issues de l'histoire. La légitimité charismatique est basée sur la capacité d'une personne à posséder des qualités exceptionnelles (charisme, empathie, créativité..).
(2) La situation de domination au sens strict désigne une situation, où un acteur peut donner des ordres à d’autres acteurs, avec de bonnes chances de voir ses ordres suivis. La domination est donc un rapport de forces stabilisés, avec des rôles déjà attribués, entre acteur dominant et des acteurs dominés. Le premier commande et les seconds obéissent.
(3) Fayol H, "Administration industrielle et générale", Bulletin de la Société de l'Industrie Minérale, n°10, 1916, p. 5-164.