En matière de monnaie, c’est bien connu, il faut rendre à César ce qui est à César. Mais il faut aussi rendre aux empereurs de Chine ce qui leur revient, à commencer par l’invention du billet. C’est en effet dans l’Empire du Milieu, vers le XIe siècle, qu’ont été réalisées et mis en circulation les premières monnaies papiers.
Comme le souligne Coralie Boeykens, guide du musée de la Banque nationale de Belgique, cette innovation financière cruciale résulte d’abord par l’avance technologique de la Chine sur les nations occidentales : « Pas de billet sans papier ! Cela semble évident, et il n’est dès lors pas étonnant que le billet, ou plus exactement le papier-monnaie, fit sa toute première apparition en Chine, puisque ce sont les chinois eux-mêmes qui furent les premiers à inventer… le papier ! Et non seulement ils inventèrent le papier, mais ils créèrent également l’impression (1). »
Toutefois, d’autres considérations ont bien sûr poussé les Chinois à trouver une alternative à la monnaie métallique. Souvent les innovations naissent de la nécessité de surmonter une difficulté. Et le billet ne fait pas exception : il fut en effet inventé pour remédier à la pénurie de « sapèques », les pièces de cuivres alors en usage.
« C'est sous les Tang (618-907) que l'appauvrissement des stocks de cuivre commença d'apparaître. En principe, l'État se réservait un droit de préemption sur l'ensemble du cuivre produit dans une cinquantaine de mines, situées surtout dans le sud du pays, et frappait la sapèque […]. Mais l'abondance de la fausse monnaie, la thésaurisation du cuivre dans les monastères bouddhiques altéraient progressivement la qualité de la monnaie officielle. C'est alors qu'apparut le papier-monnaie, justifié par la lourdeur des ligatures, la diversité des espèces et des retenues, le manque chronique de numéraire », explique Michel Bruguière, ancien élève de l'École normale supérieure, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (2).
Avant même l’invention du billet proprement dit, sous la dynastie Tang (618-907), faute de pièces en nombre suffisant, les commerçants étaient contraints de recourir au crédit pour réaliser leurs transactions. « La notion de crédit est bien présente et les chinois sont prêts à utiliser une feuille de papier indiquant une mesure de valeur. L’origine de ce passage semble être liée aux prêteurs. En effet, ceux-ci, au départ de leurs échoppes, utilisaient le support papier pour leurs transactions, ces documents valant une certaine somme ».
Cette pratique, en se répandant, contribua bien sûr à faciliter la future adoption de la monnaie papier. D’autant que, depuis le VIe siècle, toujours en raison de la pénurie de pièces de cuivre, les offrandes faites aux défunts n’étaient plus constituées de celles-ci mais également d’un billet, ce qui permettait de ne pas soustraire des pièces bien utiles aux transactions. Ces billets n’étaient en revanche pas encore utilisés dans le commerce. Mais ils permirent certainement d’installer dans les mentalités l’idée que les échanges pouvaient être grandement facilités par le recours à une monnaie symbolique.
Il semble que les premiers billets furent émis par des marchands, ce qui confirme leur parenté avec les anciennes lettres de change ou reconnaissances de dettes. « À la fin du VIIIe siècle, les grands commerçants prirent l'habitude de confier leur monnaie, contre un bon, aux divers représentants du pouvoir impérial. Les bons ainsi utilisés, véritables lettres change, appelés « monnaie volante » (feiqian) ou bien « change commode » (bianhuan), furent en définitive émis par trois administrations contrôlées par les mandarins : le ministère des Finances, le Bureau des revenus publics et le Commissariat du sel et du fer. Au même moment, l'imprimerie faisait son apparition, facilitant à son tour la circulation des idées et des biens », explique Michel Bruguière, ancien élève de l'École normale supérieure, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (3).
À cette époque, l’un des principaux soucis des autorités consiste à lutter contre les faussaires. Les techniques permettant l’inviolabilité étant moins élaborées que de nos jours, le principal moyen mis en œuvre consiste à dissuader les faux-monnayeurs de commettre leurs forfaits en leur promettant des sanctions exemplaires. Un billet chinois du XVIe siècle porte ainsi l’inscription suivante : « Le billet de la Grande Dynastie Ming circule et est utilisé avec les monnaies de cuivre. Les faussaires auront la tête tranchée et ceux dont les informations auront permis l’arrestation (des faussaires) seront récompensés par deux cent cinquante liang d’argent, ils recevront en plus les biens du coupable (4). »
Hélas pour l’Empire du Milieu, un péril bien plus redoutable que les faussaires eut raison de cette belle organisation : le manque de rigueur budgétaire. Les billets mis en circulation à partir de 1380 étaient libellés en « guan », chaque guan représentant initialement 1000 pièces de cuivres. Mais en raison d’une trop grande émission de billets, leur valeur s’est rapidement effondrée. En 1535, un guan ne valait plus que 0,28 pièce de cuivre !
Comme le souligne Michel Bruguière, « au XIIe siècle, avec une forte avance sur l'Occident, l'État chinois avait ainsi découvert les avantages de la planche à billets ; il ne devait pas tarder à découvrir son corollaire, l'inflation ruineuse ». Consécutivement à cette mauvaise politique monétaire, le système financier avancé mis en place par les Chinois ne cessa de se dégrader, les riches commerçants préférant recourir dans leurs échanges à des monnaies étrangères telles que, par exemple, le dollar espagnol puis mexicain. Dès lors s’en était fait de l’unité monétaire de l’Empire, différentes monnaies circulant selon que l’on se trouvait ou non dans des régions propices au commerce international, comme les zones côtières.
Il faudra donc attendre 1949 et la proclamation de la République populaire de Chine pour que le pays retrouve une véritable unité monétaire. Depuis lors, comme on l’imagine, l’État contrôle totalement l’émission de monnaie et prescrit souverainement le taux de change du yuan, ce qui ne va pas sans causer quelques tensions avec ses partenaires commerciaux occidentaux, l’Europe et les États-Unis accusant régulièrement la Chine de sous-évaluer la valeur de sa monnaie de façon à doper ses exportations. Alors que sous l’Empire, la dévaluation de la monnaie chinoise était un problème chinois, sa sous-évaluation est désormais le problème de l’Occident…
(1) « Le billet, une invention chinoise? », par Coralie Boeykens, Site Internet du musée de la Banque nationale de Belgique, 5 septembre 2007.
(2) « Histoire de la monnaie », in Enclopædia Universalis, www.universalis.fr.
(3) « Histoire de la monnaie », par Michel Bruguière in Enclopædia Universalis, www.universalis.fr
(4) « Le billet, une invention chinoise? », par Coralie Boeykens, op. cit.
Comme le souligne Coralie Boeykens, guide du musée de la Banque nationale de Belgique, cette innovation financière cruciale résulte d’abord par l’avance technologique de la Chine sur les nations occidentales : « Pas de billet sans papier ! Cela semble évident, et il n’est dès lors pas étonnant que le billet, ou plus exactement le papier-monnaie, fit sa toute première apparition en Chine, puisque ce sont les chinois eux-mêmes qui furent les premiers à inventer… le papier ! Et non seulement ils inventèrent le papier, mais ils créèrent également l’impression (1). »
Toutefois, d’autres considérations ont bien sûr poussé les Chinois à trouver une alternative à la monnaie métallique. Souvent les innovations naissent de la nécessité de surmonter une difficulté. Et le billet ne fait pas exception : il fut en effet inventé pour remédier à la pénurie de « sapèques », les pièces de cuivres alors en usage.
« C'est sous les Tang (618-907) que l'appauvrissement des stocks de cuivre commença d'apparaître. En principe, l'État se réservait un droit de préemption sur l'ensemble du cuivre produit dans une cinquantaine de mines, situées surtout dans le sud du pays, et frappait la sapèque […]. Mais l'abondance de la fausse monnaie, la thésaurisation du cuivre dans les monastères bouddhiques altéraient progressivement la qualité de la monnaie officielle. C'est alors qu'apparut le papier-monnaie, justifié par la lourdeur des ligatures, la diversité des espèces et des retenues, le manque chronique de numéraire », explique Michel Bruguière, ancien élève de l'École normale supérieure, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (2).
Avant même l’invention du billet proprement dit, sous la dynastie Tang (618-907), faute de pièces en nombre suffisant, les commerçants étaient contraints de recourir au crédit pour réaliser leurs transactions. « La notion de crédit est bien présente et les chinois sont prêts à utiliser une feuille de papier indiquant une mesure de valeur. L’origine de ce passage semble être liée aux prêteurs. En effet, ceux-ci, au départ de leurs échoppes, utilisaient le support papier pour leurs transactions, ces documents valant une certaine somme ».
Cette pratique, en se répandant, contribua bien sûr à faciliter la future adoption de la monnaie papier. D’autant que, depuis le VIe siècle, toujours en raison de la pénurie de pièces de cuivre, les offrandes faites aux défunts n’étaient plus constituées de celles-ci mais également d’un billet, ce qui permettait de ne pas soustraire des pièces bien utiles aux transactions. Ces billets n’étaient en revanche pas encore utilisés dans le commerce. Mais ils permirent certainement d’installer dans les mentalités l’idée que les échanges pouvaient être grandement facilités par le recours à une monnaie symbolique.
Il semble que les premiers billets furent émis par des marchands, ce qui confirme leur parenté avec les anciennes lettres de change ou reconnaissances de dettes. « À la fin du VIIIe siècle, les grands commerçants prirent l'habitude de confier leur monnaie, contre un bon, aux divers représentants du pouvoir impérial. Les bons ainsi utilisés, véritables lettres change, appelés « monnaie volante » (feiqian) ou bien « change commode » (bianhuan), furent en définitive émis par trois administrations contrôlées par les mandarins : le ministère des Finances, le Bureau des revenus publics et le Commissariat du sel et du fer. Au même moment, l'imprimerie faisait son apparition, facilitant à son tour la circulation des idées et des biens », explique Michel Bruguière, ancien élève de l'École normale supérieure, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (3).
À cette époque, l’un des principaux soucis des autorités consiste à lutter contre les faussaires. Les techniques permettant l’inviolabilité étant moins élaborées que de nos jours, le principal moyen mis en œuvre consiste à dissuader les faux-monnayeurs de commettre leurs forfaits en leur promettant des sanctions exemplaires. Un billet chinois du XVIe siècle porte ainsi l’inscription suivante : « Le billet de la Grande Dynastie Ming circule et est utilisé avec les monnaies de cuivre. Les faussaires auront la tête tranchée et ceux dont les informations auront permis l’arrestation (des faussaires) seront récompensés par deux cent cinquante liang d’argent, ils recevront en plus les biens du coupable (4). »
Hélas pour l’Empire du Milieu, un péril bien plus redoutable que les faussaires eut raison de cette belle organisation : le manque de rigueur budgétaire. Les billets mis en circulation à partir de 1380 étaient libellés en « guan », chaque guan représentant initialement 1000 pièces de cuivres. Mais en raison d’une trop grande émission de billets, leur valeur s’est rapidement effondrée. En 1535, un guan ne valait plus que 0,28 pièce de cuivre !
Comme le souligne Michel Bruguière, « au XIIe siècle, avec une forte avance sur l'Occident, l'État chinois avait ainsi découvert les avantages de la planche à billets ; il ne devait pas tarder à découvrir son corollaire, l'inflation ruineuse ». Consécutivement à cette mauvaise politique monétaire, le système financier avancé mis en place par les Chinois ne cessa de se dégrader, les riches commerçants préférant recourir dans leurs échanges à des monnaies étrangères telles que, par exemple, le dollar espagnol puis mexicain. Dès lors s’en était fait de l’unité monétaire de l’Empire, différentes monnaies circulant selon que l’on se trouvait ou non dans des régions propices au commerce international, comme les zones côtières.
Il faudra donc attendre 1949 et la proclamation de la République populaire de Chine pour que le pays retrouve une véritable unité monétaire. Depuis lors, comme on l’imagine, l’État contrôle totalement l’émission de monnaie et prescrit souverainement le taux de change du yuan, ce qui ne va pas sans causer quelques tensions avec ses partenaires commerciaux occidentaux, l’Europe et les États-Unis accusant régulièrement la Chine de sous-évaluer la valeur de sa monnaie de façon à doper ses exportations. Alors que sous l’Empire, la dévaluation de la monnaie chinoise était un problème chinois, sa sous-évaluation est désormais le problème de l’Occident…
(1) « Le billet, une invention chinoise? », par Coralie Boeykens, Site Internet du musée de la Banque nationale de Belgique, 5 septembre 2007.
(2) « Histoire de la monnaie », in Enclopædia Universalis, www.universalis.fr.
(3) « Histoire de la monnaie », par Michel Bruguière in Enclopædia Universalis, www.universalis.fr
(4) « Le billet, une invention chinoise? », par Coralie Boeykens, op. cit.