Carnets du Business


           

L’ikéaisation est en marche




Vendredi 23 Décembre 2011


Faire participer le client : Noble co-production ou vulgaire externalisation ?



L’ikéaisation est en marche
Depuis quelques années, les entreprises tendent à impliquer de plus en plus leurs consommateurs dans leurs activités productives et créatives. Elles versent dans la co-production et même la co-création, inspirées entre autre, par le succès de Wikipédia, elles ont compris que leurs clients renfermaient un extraordinaire potentiel. Boeing a sollicité plus de 120.000 passagers dans la conception du Dream Liner. Des exemples ont aussi émergé de la tourmente vécue par l’industrie de la musique enregistrée. L’effondrement des ventes de CD, passées de 50 milliards de dollars par an à moins de 25 milliards, suscite quantité de nouveaux modèles. Avec American Idol aux Etats-Unis ou Star Academy chez nous, c’est le public qui élit ses artistes préférés. Avec des modèles comme MyMajorCompany, il est même devenu possible de faire parrainer des artistes et de financer la production d’un album par leurs admirateurs. Le consommateur est ainsi consacré coproducteur.

Faut-il pour autant s’en réjouir ? Certainement pas. En effet, derrière ce mouvement se cachent parfois des ambitions bien moins nobles. La grande distribution est une belle illustration. Nous emballons sans rechigner nos provisions au supermarché sous l’œil autoritaire de la caissière et agacé des clients impatients qui suivent dans la file ; nous emballons ces commissions dans des sacs à provisions dont les boutiquiers ont su habilement nous transférer la logistique au motif qu’ils seraient devenus plus verts que nous – restent pourtant tous ces conditionnements à l’unité autrement plus nocifs que des sacs papiers ! Evidemment, pas de service à l’auto (comme disent nos frères québécois). Il faut pousser le caddy jusqu’à la voiture. N’oubliez pas non plus de le ramener à son parking – si vous voulez récupérer votre pièce d’un euro. Et voila que maintenant, on nous propose même de faire (jouer à ?) la caissière. Elles vont y perdre leur job – mais, ça leur apprendra à ne pas nous avoir aidé à emballer nos courses ! Je me demande quand ils vont nous demander de passer un coup de wassingue dans les allées du magasin ?

On pourrait me rétorquer que la grande distribution n’est pas le centre focal attracteur des ‘knowlegde workers’ et qu’il ne faut pas du coup s’attendre à des modèles d’une grande finesse. Certes. Mais, les mêmes pratiques contaminent d’autres secteurs d’activité. Le transport aérien est typiquement dans cette logique. En réservant nos vols sur Internet, nous faisons aussi tout un boulot administratif qui est en fait le leur. Même chose à l’aéroport avec les bornes d’enregistrement. On a le sentiment que moins ils en font, mieux ils se portent !

La leçon de ces pratiques, c’est la victoire du modèle Ikea de l’externalisation sur le client. On achète une voiture à 25.000 ou 30.000 euros dont on ruine le plafond pour transporter cette superbe armoire en kit. On attrape un lumbago en remontant le monstre carton dans l’escalier (il ne passe pas dans l’ascenseur). On passe un week-end horrible noyé dans une notice imbuvable et à attraper des ampoules aux mains. On reste avec une pièce entre les mains dont on se demande bien où elle devait aller dans ce puzzle. Et, le plus terrible, c’est que les gens sont contents. Le service au client prend tout de même un sérieux coup dans l’aile.

Dominique Jolly, Professeur à SKEMA Business School



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