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Entretien avec Thomas Peaucelle: « la conduite du changement est un exercice de prospective »




Mardi 6 Août 2013


Thomas Peaucelle est Directeur général délégué de Cofely Ineo, filiale de GDF Suez. Assigné au pilotage des grandes orientations stratégiques de l’entreprise, il nous explique, à travers les spécificités opérationnelles du groupe, sa vision du changement économique et technologique, et sa façon de le piloter.



Le cœur de métier de Cofely Ineo est difficile à cerner tant il semble toucher à de nombreux domaines, bien que ceux-ci soient complémentaires ou transversaux. Quelles sont les compétences clés de Cofely Ineo ?

Thomas Peaucelle, Directeur général délégué d'Ineo
Thomas Peaucelle, Directeur général délégué d'Ineo
En matière technique et technologique, Cofely Ineo a une longue tradition dans le domaine des installations électriques. Nous avons également développé une expertise dans le domaine du transport et des télécommunications. Notre première spécificité réside dans cette convergence entre les métiers de l’énergie et de l’électricité et ceux du numérique autour de l’informatique et des télécommunications. La seconde est notre capacité à être à la fois installateur et concepteur de systèmes.
 
Ces deux spécificités nous permettent de nous positionner sur les marchés de l’efficacité énergétique mais aussi de tous les systèmes réunissant énergie et numérique . Je pense aux transports, aux infrastructures urbaines, aux « smart grids », aux « smart cities » qui nécessitent également des  compétences de terrain et de systèmes.  L’activité de Cofely Ineo aujourd’hui consiste à développer des solutions faisant appel aux technologies de l’énergie et du numérique, permettant à ses clients de collecter des flux de données, de les traiter et de les utiliser afin d’optimiser leurs systèmes. Mais, plus largement, Cofely Ineo est un état d’esprit. Une entreprise composée de collaborateurs qui sont tous des innovateurs en puissance. J’aime à dire que nous incarnons une interface entre des besoins et des solutions technologiques, et que nous nous définissons par ce que nous sommes plus que par ce que nous faisons.

Vous rassemblez donc en une seule entité des personnes, des cultures d’entreprises et des savoir-faire très différents. Quelles en sont les implications dans le cadre du pilotage de vos projets ?

Comme toutes les entreprises, nous appliquons bien sûr les bonnes vieilles méthodes de la gestion de projet. À la nuance près que nous évitons de nous laisser enfermer dans des protocoles, des procédures ou des cadres trop rigides, certes indispensables mais qui peuvent annihiler la créativité, pour permettre aux collaborateurs de trouver les compétences dont ils ont besoin là où elles se trouvent dans l’entreprise, dans une co-construction permanente.  Cela étant dit, nous maintenons autant que faire se peut les centres de responsabilité au plus près du terrain. C’est un point fondamental, car il en découle la capacité d’initiative de nos équipes. Cette liberté d’action leur permet en retour de faire preuve d’innovation, technologique bien-sûr, mais également commerciale, financière, managériale… bref de faire de Cofely Ineo une organisation souple et réactive.  Notre modèle est donc un modèle entrepreneurial, basé sur la confiance et la responsabilité de tous.
 

Les métiers d’Ineo sont par nature en constante évolution, et vous déclariez récemment adosser de façon systématique votre réflexion en matière de GPEC à une démarche prospective. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

De manière générale, il me semble que la GPEC est quelque chose qui réclame une attention constante. Elle répond à un besoin de société, et correspond à l’effort d’adaptation d’une entreprise aux attentes de ses collaborateurs. Or aujourd’hui, tout évolue très vite en matière de compétences, d’apprentissage et de formation. Les carrières ne sont plus linéaires. Cofely Ineo peut en dire quelque chose puisque la multiplicité de ses cœurs de métiers lui impose de faire évoluer ses collaborateurs en permanence.
 
Mais surtout, les salariés, à commencer par les plus jeunes, réclament ce type de politique. Pour eux, la GPEC est un instrument qui leur permet de se projeter dans l’avenir. L’intérêt de la prospective dans cette démarche est d’identifier les domaines de connaissance auxquels il est intéressant de former des personnes aujourd’hui pour répondre au besoin de demain. En consacrant un peu de temps à la réflexion et à l’anticipation, l’on rend un service bien meilleur à son entreprise et à ses clients. En quelque sorte la GPEC est à double sens : prévoir l’évolution des compétences requises par les collaborateurs et adapter l’entreprise à l’évolution de ses salariés : le jeune ingénieur de 2013 est différent de celui que j’étais lorsque j’ai commencé ma vie professionnelle.

On parle beaucoup de l’installation de la fibre optique dans les pays émergents et PVD, et de leur accès aux futurs réseaux de communication. Comment vous positionnez-vous à ce sujet ?

Je distingue trois grands enjeux. On observe tout d’abord des besoins énergétiques croissants dans ces pays. On constate également que les populations de ces États aspirent à vivre selon les standards qui sont ceux des pays développés. On se rend enfin compte que ces pays émergents passent parfois des caps technologiques beaucoup plus vite que nous.  Dans certains pays d’Afrique par exemple, on n’a pas connu le téléphone fixe. Le mobile s’est tout de suite imposé comme la technologie de référence en matière de téléphonie. Ce phénomène a des conséquences sur l’urbanisation et le développement des métropoles dans les pays en développement. À l’inverse, en Europe, l’intégration des technologies dans nos villes anciennes et historiques est beaucoup plus compliquée.
 
Compte tenu de ces différentes tendances, il ne me semble pas impossible qu’à l’avenir, les technologies se déploient d’abord dans les pays émergents et n’arrivent chez nous que dans un second temps. Les grands chantiers technologiques dans lesquels se lancent les pays en voie de développement aujourd’hui constituent à mon sens un premier pas vers cette nouvelle configuration qui ferait de ces pays des laboratoires technologiques, et des pays développés d’aujourd’hui des marchés technologiques ou les questions d’adaptation seraient devenus prépondérantes. Cela est particulièrement vrai par exemple en regardant certains chantiers d’urbanisation en Chine.

Vous avez, de par votre spécialité et vos métiers, une véritable vision « réseau » de nos sociétés et de nos villes. Quelles sont les problématiques que votre entreprise en particulier et nos sociétés en général affronteront à l’avenir concernant les réseaux urbains au sens large (transport, énergie, communications, smart grids…) ?

J’en vois deux : la densification de la population et le maintien de la fluidité du trafic sur ces réseaux. Ces problématiques sont indissociables. Le numérique et les technologies intelligentes y apportent des solutions, on l’a vu. On commence d’ailleurs à les trouver un peu partout en France. À Angoulême par exemple, Cofely Ineo a contribué à la mise en place d’un système d’autopartage. Il s’agit d’une réponse apportée au problème de la saturation du réseau routier et le fait qu’une ville de taille moyenne se dote de ce type d’équipement n’est pas anodin.
 
La demande pour ces solutions va croissant notamment à cause des pouvoirs publics qui se rendent compte que c’est un enjeu d’attractivité territoriale majeur. Mais ils ne sont pas les seuls acteurs impliqués ici. Les entreprises aussi partent à la recherche de réponses techniques, car elles y voient une source d’amélioration de la qualité de leur offre, un moyen de faire d’économies, et parfois même une manière de cultiver l’image d’une certaine responsabilité.  Les questions liées aux réseaux affectent la plupart des acteurs socio-économiques aujourd’hui. Et les réponses à ces questions ne sont jamais prises isolément. Elles sont le résultat de la confrontation des besoins et des capacités de tous les acteurs de la société.

Ineo a connu une forte croissance depuis 2008, et semble avoir conquis une nouvelle image. Est-ce le fruit d’une une stratégie de croissance externe ou d’une croissance organique? Quels sont les avantages et les synergies que vous escomptez à travers cette dynamique ?

Cofely Ineo a été fondée en 2001. Depuis la stratégie de l’entreprise a surtout procédé de la croissance interne. À la marge, nous avons également procédé à quelques opérations de croissance externe, à l’occasion desquelles nous avons intégré des start-ups. Intégrer ces entreprises nous a permis de faire sauter certains verrous technologiques, notamment dans le champ des télécoms et de l’informatique. Aujourd’hui l’ensemble des éléments des unités de l’entreprise se développe de façon autonome, mais harmonieuse dans le cadre de notre stratégie générale.
 
En 2001, lorsque Cofely Ineo a fédéré plusieurs dizaines d’entreprises spécialisées dans le génie électrique, nous réalisions un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros. Cofely Ineo réalise aujourd’hui 2,3 milliards d’euros de CA et lorsque l’on décompose ce chiffre on se rend compte que le profil de l’entreprise s’est consolidé assez naturellement. Nos activités de services traditionnels se sont en effet développées moins vite que nos activités liées aux infrastructures et aux systèmes. Le paysage économique français étant depuis quelques années assez impactées par divers plans de développement d’infrastructure urbain et notamment de transport, il n’est donc pas surprenant que la croissance de l’entreprise s’en soit trouvée impactée.

Vous citez volontiers Jules Verne. Quelles sont vos autres sources d’inspiration, celles qui vous ont conféré cette sensibilité à la prospective et à l’art de la stratégie ?

Ce qui m’intéresse et me passionne à titre personnel, c’est le fait d’arriver à mettre en connexion des sujets, des disciplines, des savoirs faires extrêmement divers. Je cite souvent également Léonard de Vinci, car il résume selon moi cet esprit : artiste accompli, il n’en reste pas moins un très grand scientifique dont la portée des travaux retentit encore aujourd’hui. Jules Verne, que vous mentionnez, est également représentatif de ce type de profil d’homme curieux qui met aux services de projets très variés les technologies à la pointe de son époque. Ces personnages m’inspirent effectivement, car leurs idées étaient extrêmement novatrices et en avance sur leur temps. Je ne crois pas que cela tienne du hasard et je l’attribue à la grande ouverture d’esprit de ces personnages. C’est d’ailleurs pour cela que je souhaiterais que cette pensée systémique, transversale, pluridisciplinaire, soit mieux représentée dans la culture française aujourd’hui. Aux États-Unis, on peut étudier la psychologie une année, faire du management l’année suivante et quand même avoir un diplôme et un vrai passeport pour l’emploi. Je souhaiterais qu’il en soit de même chez nous.
 
Plus largement, cette pluridisciplinarité est à mon sens une nécessité technique et intellectuelle. De plus en plus, les domaines de recherches s’irriguent mutuellement. Les nanotechnologies s’appuient sur les conclusions de la biologie moléculaire et des sciences du vivant. La neurologie fait de même avec la psychologie et rencontre des succès remarquables. Je plaide donc pour que nos écoles d’ingénieur permettent par exemple d’étudier les sciences, mais aussi de philosophie des sciences. Il s’agit de permettre aux experts de savoir d’où viennent leur matière, et leurs connaissances.  Finalement, nous sommes plus des développeurs des usages des nouvelles technologies, que des développeurs de technologie pour la technologie.

La Rédaction




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