Les CdB : Nicolas Dmitrieff, pour ceux qui connaissent mal CNIM, votre groupe revendique-t-il un coeur de métier, une philosophie?
Nicolas Dmitrieff, groupe CNIM
Nicolas Dmitrieff : Définir notre coeur de métier est simple: le groupe CNIM est un ensemblier qui imagine et apporte des réponses opérationnelles aux grandes problématiques industrielles, énergétiques et environnementales, souvent parmi les plus complexes qui soient. Nous avons donc, dans un souci de lisibilité de notre positionnement, scindé notre activité en trois branches complémentaires: l'environnement, l'énergie, et innovation et systèmes. Pour ce qui est de notre philosophie, nous travaillons à concilier les enjeux industriels de demain avec ceux de l'écologie humaine: l'Homme interagit avec son environnement, il doit donc parvenir à minimiser son empreinte écologique sans pour autant que cela compromette le progrès, le développement et la croissance économique. Il est impossible, selon moi, de prétendre repenser le modèle de croissance économique sans avoir le réflexe technologique.
Peut-on classer CNIM dans ce qu'on appelle "l'industrie lourde"?
Je dirais plutôt, en l'occurrence, que le groupe CNIM est une entreprise qui met l’innovation au service de projets complexes ou structurants, même s'il est vrai que notre vocation industrielle est évidente. CNIM se positionne, en fait, en trait d'union entre les projets industriels et les technologies de pointe. Nous sommes, historiquement, une équipe de concepteurs-développeurs. A chaque nouvelle problématique technique formulée par nos clients, il nous appartient de transposer en solutions opérationnelles les dernières avancées de la recherche fondamentale et appliquée.
L'innovation, c'est le système nerveux du groupe CNIM?
Résolument! Nous revendiquons aujourd'hui un leadership technologique reconnu dans plusieurs domaines d'activité stratégique, fruit d'un héritage industriel séculaire. Toute notre histoire repose sur l'effort d'innovation et une approche prospective de la stratégie. CNIM est une entreprise agile, capable de se réinventer sans cesse pour se conformer aux défis technologiques à venir. C'est aussi dans cet état d'esprit que nos métiers sont interdépendants, puisque nos trois branches développent des synergies industrielles et technologiques fortes. Ainsi, CNIM peut s'autoalimenter en créativité. C'est aussi notre vision globale des enjeux industriels qui fonde en grande partie la singularité et l'étendue de notre expertise dans les "greentech". Je tiens, cependant, à préciser que l’innovation chez CNIM n’est pas une fin en soi. Elle vise aussi à créer une certaine forme de récurrence en développant des projets qui vont se traduire par la commercialisation de séries ou de prestations en matière de services ou d’exploitation.
D'ailleurs, depuis quelques mois, les politiques de tous bords n’ont qu’un mot à la bouche : "réindustrialisation !" L’industrie est-elle redevenue à la mode ?
Je ne sais pas si elle est redevenue à la mode, mais chacun constate maintenant qu’elle est indispensable et que le déclin de l’industrie entraîne celui du pays tout entier. Après deux décennies de fascination sans partage pour l’immatériel, qu’il soit numérique ou financier, on redécouvre enfin les vertus du concret et du tangible… et donc de l’industrie ! Et bien sûr, je m'en félicite. D’autant que ce nouvel intérêt pour l’industrie ne se limite pas du tout à la sphère politique et médiatique. Il s’agit, je l’espère, d’un mouvement de fond qui travaille en profondeur les sociétés de tous les pays anciennement industrialisés. Et cela ne peut avoir que des conséquences très positives à brève échéance.
A quoi pensez-vous ?
Je suis par exemple persuadé que, dans les années à venir, les étudiants qui font aujourd’hui des écoles d’ingénieur prestigieuses iront moins systématiquement faire carrière dans le secteur financier, et qu’ils reviendront plus volontiers vers l’industrie. Or c’est crucial, car pour gagner la bataille de réindustrialisation, les entreprises ont besoin de leurs compétences et de leurs talents. A la tête de CNIM, j’ai pu le constater : la performance d’une entreprise industrielle, sa productivité, sa compétitivité résultent de l’énergie créatrice des hommes et des femmes qui la rejoignent et s’y investissent. C’est d’ailleurs là un axe prioritaire de notre politique de ressources humaines : recruter les candidats les plus imaginatifs, les plus engagés, à l'ouverture d'esprit débridée.
Quel regard portez-vous sur les politiques dites de réindustrialisation ?
Je crois que beaucoup de choses ont déjà été dites sur le sujet. Il faut en être convaincu : pour sauver, maintenir et peut être un jour redévelopper notre secteur industriel, les États comme les entreprises doivent jouer la carte de la recherche et développement. Lorsque le groupe CNIM remporte des marchés en Chine, en Azerbaïdjan, lorsqu’il est pressenti pour participer au développement d’une filière d’énergie renouvelable au Maroc, c’est avant tout à son excellence technologique qu’il le doit.
Face à la mondialisation, le salut passe donc, avant tout par l’innovation ?
Oui, sans aucun doute. Je suis même persuadé que demain la nouvelle hiérarchie des puissances économiques dans le monde résultera avant tout de l’excellence technologique. Du reste, c’est déjà en grande partie le cas. On a beaucoup parlé ces derniers mois de l’écart croissant de performance entre l’Allemagne et la France. Or, l’une des différences entre nos deux pays est celui de l’effort de recherche. Outre-Rhin, l'investissement en R&D est beaucoup plus élevé, notamment dans le privé : de l’ordre de 1,9 % du PIB, contre environ 1,3 % en France. Parmi les vieux pays industriels, ceux qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui font le choix de l’excellence technologique. C’est aussi le cas de la Suède. Entre 1990 et 2008, le poids des dépenses de R&D est ainsi passé de 2,7 à 3,7 % du PIB, soit l'un des plus hauts niveaux dans l'OCDE. Or, la balance commerciale suédoise est restée excédentaire, y compris pendant la récession de 2009. Et de la même façon, les entreprises industrielles qui s’en sortent le mieux, voire très bien, sont celles qui ont soutenu leur effort en matière de R&D.
Et c’est ainsi que vous procédez au sein de CNIM ?
Oui, bien sûr ! Une part très substantielle de nos bénéfices est systématiquement réinvestie dans la R&D. CNIM mise résolument sur l’innovation et vise le leadership technologique. Dans chacune de nos activités, nous veillons à maîtriser - par nos savoir-faire - l’ensemble des technologies que nous mettons en œuvre pour être capable de lancer en permanence des produits innovants, voire des technologies dites "de rupture". Dans le monde des ensembliers, c’est une spécificité à laquelle nous tenons et qui nous distingue de beaucoup de nos concurrents : CNIM maîtrise les procédés opérationnels liés à ses activités de recherche, construit directement les équipements essentiels et développe ses propres technologies. C’est un argument auquel nos clients sont très sensibles, car cela garantit, bien sûr, un haut niveau de fiabilité et leur assure la présence d'un interlocuteur attentif, depuis l'amont jusqu'à la mise en exploitation des grands projets. Enfin, cette excellence est un gage de performance et de dynamisme. En 2011, malgré une conjoncture mondiale morose, nous avons enregistré plus de 1 milliard d’euros de commandes.
Au-delà des efforts financiers consentis, la gestion de l’innovation est aussi une question managériale. Comment l’abordez-vous au sein de CNIM ?
Vous avez raison, l’innovation et la créativité résultent aussi d’un état d’esprit qui s’entretient et se stimule au quotidien. Comment faire ? C’est là une question délicate car, bien sûr, la créativité ne se décrète pas, c'est plutôt une attitude qui se propage. Elle résulte tout à la fois de la culture de l’entreprise et de son mode de management. Au sein de CNIM, nous avons pris le parti de nous appuyer sur la propension naturelle des hommes et des femmes à s’investir dans des projets et à vouloir les faire aboutir. Nous veillons à ne pas décourager les initiatives que prennent au quotidien nos quelques 2600 salariés et à les soutenir. Nos ingénieurs savent que leur énergie créatrice sera relayée par la capacité du groupe à agir et à réagir vite aussitôt qu’un projet s’inscrivant dans sa stratégie est validé. A mon sens, cette capacité à conjuguer l’agilité d’une ETI avec les moyens d’un grand groupe explique l’élan créatif qui caractérise CNIM.
N’êtes-vous pas aussi aidé par la nature des projets que vous menez ?
Il est vrai que CNIM a pris le parti de se développer dans des secteurs d’avenir. Nous développons ainsi des solutions innovantes dans le domaine de l’énergie, de l’environnement et du traitement des déchets. Par ce choix stratégique, nous contribuons donc à apporter des solutions concrètes à des problèmes cruciaux pour notre civilisation. Aussi techniques soient-ils, nos projets sont porteurs de sens pour la société. Ils répondent à de vrais besoins. C’est pourquoi nous pouvons aborder l’avenir avec confiance et même avec enthousiasme ! C’est d’ailleurs là un dernier enseignement à méditer s’agissant d’une politique de réindustrialisation : pour fédérer les énergies et créer un élan collectif, il faut aussi savoir faire rêver, et attribuer un sens à son action.
La centrale solaire Themis, dont CNIM a conçu et réalisé la chaudière, considérée comme une référence en ce domaine (source: Wikipedia / Themis)