Carnets du Business


           

Entretien avec Aymeric Poujol : un regard stratégique sur le conseil en fiscalité




Mercredi 3 Juillet 2013


A la direction du cabinet de conseil en fiscalité EIF depuis 2006, Aymeric Poujol évoque avec nous l’évolution du marché du conseil en droit fiscal. Un terrain moins calme qu’il n’y paraît, si l’on en croit cet expert avisé.



Carnets du Business : Aymeric Poujol, comment le périmètre de votre domaine d’intervention a-t-il évolué ces dernières années ?

Aymeric Poujol
Aymeric Poujol
Aymeric Poujol : Historiquement, EIF proposait des prestations d’optimisation de la taxe professionnelle, qui à l’époque était la taxe locale la plus couteuse pour les entreprises industrielles. J’ai intégré ce cabinet en 2001 et Sandrine Julien , aujourd’hui mon associée, est arrivée quelques années auparavant. Nous avons été recrutés pour développer les activités taxe foncière de la société qui devenait une taxe de plus en plus lourde pour les entreprises. En effet, la décentralisation a fortement accentué les besoins de financement des collectivités et celles-ci ont eu largement recours au levier de la Taxe Foncière jusqu’au point d’en faire un impôt dont la gestion est devenu stratégique pour les entreprises utilisatrices de mètres carrés. Suivant cette évolution du poids de la fscalité locale, l’expertise du foncier d’EIF s’est renforcée continuellement à partir de notre arrivée et la cadence s’est même accélérée lorsque nous avons repris le cabinet à notre compte en 2006.
 
Plus récemment, nous nous sommes lancés sur des prestations s’adressant aux entreprises technologiques. Nous avons créé une nouvelle structure, EIF Innovation, dont l’objet est de conseiller les entreprises innovantes qui prétendent au crédit d'impôt recherche. Cela porte au nombre de trois nos domaines d’expertise.

EIF semble avoir beaucoup changé depuis votre arrivée à sa tête. Pourquoi l’entreprise a-t-elle entrepris de diversifier ainsi son offre ?

Ce choix était en fait une réponse à l’évolution de notre environnement stratégique. Le métier du conseil en fiscalité est directement dépendant de la législation en vigueur. On pourrait penser que la filière est à l’abri de tout bouleversement majeur. C’est en partie vrai, car notre matière première c'est la loi française et malgré les idées reçues on ne la change pas radicalement du jour au lendemain. Mais c'est aussi une idée très approximative de la situation réelle.
 
Quand j’ai pris la direction d’EIF, le cabinet offrait un catalogue d’optimisations reposant sur des niches fiscales assez anciennes. Nous anticipions une évolution importante de la législation et potentiellement la remise en question d’une partie significative de notre activité. Nos analyses se sont révélées justes.
 
Prenons l’exemple de la loi sur la taxe foncière pour les locaux professionnels. Jusqu’à très récemment, cette loi se servait d’un référentiel construit à partir de loyers dont les prix ont été relevés dans les années 1970. Ce référentiel qui était depuis mis à jour régulièrement à l’aide d’un simple coefficient d’actualisation a fini par perdre complètement sa capacité à refléter la réalité du marché immobilier. Pour remédier à cette situation, un énorme travail de collecte de données sur le marché foncier a été réalisé par le gouvernement dans les années 1990 et une ébauche de texte de loi a vu le jour. Celle-ci a été finalement été abandonnée avant son entrée en vigueur par manque de courage politique, face à l’énorme transfert de charge qu’elle engendrait. Le décalage avec la réalité s’est donc encore accentué jusqu’à un nouveau projet de réforme au début de l’année 2013. Mais nous avions eu plusieurs années pour anticiper ces bouleversements du cadre de référence de notre marché.

Comment avez-vous alors opéré votre redéploiement stratégique ?

L’enjeu était de prendre à bras le corps le problème du monoproduit. C’est à cette époque que nous avons lancé notre activité sur le crédit d’impôt recherche. Juste avant d’arriver chez EIF, j’avais d’ailleurs réalisé mon mémoire de fin d’études sur la possibilité de créer un nouveau produit d’optimisation à partir de cette mesure destinée aux entreprises innovantes. J’ai donc repris mes travaux et nous avons développé une offre d’optimisation fiscale pour permettre aux entreprises éligibles de bénéficier au mieux des avantages du CIR.

Je n’avais jamais eu le temps de développer ce produit. Mais, confrontés à la nécessité d’y réfléchir, nous avons rapidement réalisé que nous pouvions proposer une offre intéressante sur le sujet. Afin de lancer cette nouvelle activité, nous avons cherché un fiscaliste expert du crédit d’impôt recherche. Nous l’avons trouvé et nous lui avons proposé le challenge.
 
À l’époque, il travaillait dans une grande structure où ses idées n’étaient pas exploitées. Nous lui avons donné carte blanche. Le projet lui plaisait et il a accepté de nous rejoindre. À l’époque, nous lui avions fixé des objectifs certes assez élevés, mais qu’il a malgré tout triplé. Le produit s’est avéré très rentable et très complémentaire pour l’entreprise ; c’est ainsi que nous avons créé EIF Innovation et que ce collaborateur est devenu associé.

Malgré cet épisode, EIF ne s’est donc pas désengagé de ses marchés de prédilection. Quel a donc finalement été l’effet de cette réforme fiscale sur votre activité ?

Nous avions anticipé les changements importants. En revanche nous avons été surpris de voir que ceux-ci nous ont été extrêmement favorables. Quand Nicolas Sarkozy a annoncé l’entrée en vigueur d’une réforme jugée nécessaire déjà vingt ans  auparavant, cinq départements ont été retenus en tant que départements tests. Le positionnement géographique du portefeuille des actifs de nos clients sur l’ensemble du territoire et l’excellente qualité de nos relations avec les intervenants publics (service des impôts et collectivités locales), nous a permis d’être présents  pour cette phase de test  , et nous avons pu observer les nouveautés de près.
 
En 2013, lorsque la généralisation de l’application de cette loi s’est décidée, nous étions prêts et nous avions déjà la maîtrise de la plupart des nouveautés. Pour cette réactivité dans le changement et notre proximité avec les services centraux et locaux des impôts, nous avons été énormément sollicités par nos clients habituels, mais aussi par de nouveaux clients sur ces questions. Nous avons même dû refuser énormément de missions afin de préserver la qualité de notre conseil. Les professionnels sont venus vers nous pour qu’on les aide à comprendre la nouvelle législation, pour qu’on leur apprenne à remplir les nouvelles déclarations. Ces demandes nous ont donc confirmé notre statut d’interlocuteur de référence dans ce contexte légal nouveau.
 
C’est ce même esprit de proximité et de réactivité qui nous a gouverné à chaque changement législatif sur les taxes de notre périmètre d’intervention. Ainsi en moins de 3 ans c’est l’ensemble des taxes de la fiscalité locale - taxes d’urbanisme, redevance pour création de bureaux, taxe sur les bureaux, CFE et taxe foncière - qui a été réformé ! Un vrai parcours du combattant pour un fiscaliste d’entreprise, mais un vrai défi pour des experts comme nous !

Et en ce qui concerne le CIR ?

Ce produit s’est avéré très porteur pour nous, car il a l’avantage de suivre un cycle complètement différent de nos produits classiques. Nous ne sommes en effet généralement en mesure de conclure et facturer des missions en taxes foncières qu’au bout de 6 mois au mieux, et 18 mois au pire. Pour les missions portant sur le crédit d’impôt, les échéances ne sont comprises qu'entre 3 mois et 6 mois. Par ailleurs, les dossiers en taxe foncière tombent le plus souvent entre septembre et décembre. Côté CIR les demandes sont surtout formulées entre février et avril. Cette diversification nous a donc permis de lisser notre activité et d’améliorer considérablement notre trésorerie.

Aujourd’hui EIF ressemble-t-elle toujours à l’entreprise dans laquelle vous avez fait vos débuts ?

Ces changements profonds des cadres de notre profession nous ont surtout permis d’illustrer notre originalité sur le marché. Nous avions tout misé sur la proximité et la qualité des prestations, car nous étions convaincus que nous finirions par faire ainsi la différence avec les prestataires qui ne voient pas l’intérêt du client ou qui négligent sa satisfaction à long terme. Et nous sommes parvenus à le prouver.
 
Je me souviens d’ailleurs d’un directeur financier de l’un de nos plus gros clients, qui m’a toujours confié: « surtout, ne devenez pas trop gros ». C’est un conseil riche de sens. Car on oublie trop souvent d’expliquer que le succès des grandes entreprises tient pour beaucoup à l’extrême réactivité de petites structures comme la nôtre. Ces petites entreprises s’activent autour des plus grosses, réalisent pour leur compte un travail de proximité fondamental, et emploient des savoir-faire aussi pointus qu’indispensables, permettant ainsi la synergie de l’ensemble. C’est la symbiose de l’oiseau et du crocodile !

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