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Cyberpunk 2077 : Un désastre pour un studio unique




Mardi 6 Avril 2021


Le studio de développement CD Project Red s’était démarqué ces dernières années par la proximité de celui-ci avec les communautés de joueurs. Alors que les systèmes de microtransactions et les DLC deviennent une norme dans la transition des jeux vidéo vers le modèle de « Gaming as a service », CDPR jouissait d’une position privilégiée, reconnu pour son intégrité et ses pratiques pro-joueurs et non pro-profits. Cette réputation, construite notamment sur le succès planétaire de la série « The Witcher », adaptée du roman polonais éponyme, s’est effondrée le 10 décembre 2020.



Cyberpunk 2077 était très certainement le jeu le plus attendu de la décennie 2010. Annoncé en 2012, l’engouement a explosé en 2018 lors de la sortie des premières bandes-annonces et l’annonce du rôle du très célèbre acteur Keanu Reeves dans le jeu. Les 5 bandes-annonces du jeu cumulent plus de 100 millions de vues sur YouTube, un résultat sans autre précédents que la sortie du jeu Grand Theft Auto V en 2013, le deuxième jeu le plus vendu de tous les temps. Il ne serait pas exagéré de dire que les attentes pour ce jeu étaient tout aussi élevées (si ce n’est plus), que pour la sortie de GTA V. Cependant, Rockstar Games a le double de l’effectif de CDPR, et a mis deux fois plus de temps pour développer ce jeu que CDPR pour Cyberpunk. Et ceci explique en grande partie la différence entre un jeu qui a fait grimper le nombre d’arrêts maladies aux Etats-Unis le jour de sa sortie, et celui qui a fait chuter de 40% le cours de l’action de son studio de développement.
 
Cyberpunk 2077 est devenu le jeu le plus précommandé de tous les temps, avec 8 millions de précommandes. Ce qui représente 480 millions de dollars dépensés par les clients avant la sortie du jeu, pour pouvoir y accéder le jour J. Cet engouement pour jouer au jeu le jour de sa sortie vient notamment de l’ensemble des promesses faites par CDPR à travers les trailers du jeu. Le trailer de l’E3 2018 suivie de la vidéo de 40 minutes de gameplay montrait un jeu au potentiel révolutionnaire. Les mécaniques de gameplay montrées dans ces trailers étaient exceptionnelles, et les promesses de l’arbre des possibilités du jeu semblaient infaisables. Cependant, The Witcher 3, précédent jeu de CDPR, avait déjà imposé un nouveau standard dans la création d’un monde où les choix du joueur sont essentiels et déterminent son évolution. Par exemple, il était dit explicitement dans la bande annonce de 2018 que chacun des Personnages Non-Joueurs (PNJ) du monde de Cyberpunk aurait une intelligence artificielle développée et mènerait une routine quotidienne, renforçant fortement l’immersion du joueur. Si CDPR avait réussi à développer le jeu qui a été promis à travers ses promotions, il aurait très certainement constitué une nouvelle référence dans le monde du jeu vidéo. Cyberpunk est bien devenu une référence, mais à l’opposé de ce que les développeurs, les éditeurs, les investisseurs et les joueurs espéraient.
 
Le jour de la sortie de Cyberpunk 2077 était particulier. Les principaux sites de critiques de jeux vidéo s’empressent de donner des notes presque parfaites à Cyberpunk. A sa sortie, le jeu atteint le record de joueurs concurrents sur la plateforme Steam avec plus d’un million de joueurs (contre 15 000 joueurs par jour en mars 2021, soit 10 fois moins que GTA V qui parvient à atteindre plus de 100 000 joueurs en 2021 alors que le jeu date de 2013). Au jour de sortie, CDPR avait déjà réalisé un profit avec Cyberpunk 2077. Ces statistiques records ont cependant très vite été contrastées par le retour de flamme qui a suivi.
 
“A delayed game is eventually good, but a rushed game is forever bad.”
-Shigeru Miyamoto, co-créateur des franchises Mario Brothers et The Legend Of Zelda
 
Le jeu a été retardé à multiple reprise, et est finalement sorti en parallèle de la nouvelle génération de console, tout en étant développé pour la 8e génération : la Xbox One de Microsoft et la Playstation 4 de Sony. Les développeurs assuraient avant la sortie que le jeu fonctionnait très bien sur ces supports datant de 2013, mais n’ont cependant pas rendu de version PS4 et Xbox One disponibles à la presse. Puis, les créateurs de contenu avant la sortie du jeu ne pouvaient tester que les versions PC. Vu la puissance requise par un jeu qui doit afficher de très nombreux éléments en même temps avec une très haute qualité, beaucoup était dubitatif quant à la capacité des consoles de la 8e génération à faire tourner correctement Cyberpunk 2077. Et la sortie du jeu sur console a confirmé cette crainte.
 
Overpromise, Sell, Underdeliver
 
Le jeu ne fonctionnait tout simplement pas sur console. CDPR a pris les pré-commandes des versions consoles du jeu, a refusé de montrer ce à quoi ressemblait le jeu sur console et maintient que lors de leurs tests, ils n’avaient pas vu les problèmes que l’ensemble des joueurs consoles ont découverts. Le jeu a été retiré du Playstation Store, et CDPR a finalement accepté de rembourser le jeu aux joueurs consoles. Les versions consoles du jeu ont mené à plusieurs attaques en justice, notamment pour publicité mensongère.
 
La version PC du jeu, qui est la seule jouable aujourd’hui, pose également de très nombreux problèmes. Le jeu n’était pas fini : les bugs s’accumulent pour l’ensemble des joueurs, une partie du monde est tout simplement vide, et l’essentiel des promesses révolutionnaires que les trailers du jeu avaient explicitement faites n’apparaissent pas dans la version finale du jeu. La quantité astronomique de bugs, et particulièrement leur récurrence pour de nombreux joueurs, suffisaient à montrer que le jeu nécessitait encore plusieurs mois de développement. Mais ces bugs masquent l’ensemble des fausses promesses faites par CDPR dans le contenu du jeu. Pour reprendre l’exemple des PNJ, une routine individuelle a été remplacée par un copié-collé de l’intelligence artificielle simpliste des PNJ de The Witcher. De nombreux sites internet et vidéos recensent l’ensemble des fausses promesses faites par CDPR entre les trailers et le produit fini, qui se comptent en dizaine. Dans l’ensemble, une très grande partie du contenu a été retirée. La différence entre ce que Cyberpunk 2077 aurait pu être et ce qu’il est montre l’écart entre les ambitions et les capacités du studio. Les critiques généralistes ont été bonnes, mais les critiques des utilisateurs sont très faibles. De nombreuses vidéos qui comptent plusieurs millions de vues pour certaines d’entre elles montrent l’ensemble des problèmes de Cyberpunk 2077, au point que celles-ci sont majoritaires par rapport aux contenus proposés par des joueurs appréciant le jeu.
 
CDPR s’était démarqué par ses bonnes pratiques, à la fois concernant les joueurs mais également ses développeurs. De très nombreux studios sont critiqués pour la façon dont ils traitent leurs employés, d’où est né le terme de « crunch » : des deadlines quasi-impossibles à tenir imposées aux développeurs par les profils non-techniques d’une entreprise. CDPR mettait en avant leur refus d’imposer cela à leurs équipes, mais plusieurs développeurs ont dit y avoir été soumis dans le cadre de la sortie de Cyberpunk 2077.
 
L’exposition d’un tissu de mensonges.
 
Selon certains développeurs, le trailer de 2018 n’était qu’une fausse démo du jeu, car le développement du jeu n’avait réellement commencé qu’en 2016 pour une sortie en 2020. En gardant GTA V pour référence, CDPR avait pour ambition de créer un jeu plus complexe, plus beau et plus réaliste que celui de Rockstar Games, avec deux fois moins de temps, moins de deux fois l’effectif de Rockstar et une expérience moindre dans ce domaine. Pour les développeurs qui ont témoigné, c’était un pari impossible. Malgré cela, le studio a sorti un jeu promis comme révolutionnaire ; tout en en retirant une très grande partie du contenu affiché dans les trailers, sans prendre le temps de le tester correctement en y laissant plusieurs centaines de bugs communs recensés, qui n’est jouable que sur une plateforme sur les 3 sur lesquelles il est sorti et en mentant en disant que les employés ne seraient pas soumis au crunch. C’est l’ensemble de ces mensonges rapidement découverts par la communauté qui ont forcé les dirigeants de l’entreprise à publiquement s’excuser, et qui ont très certainement brisé la confiance que le studio avait mis plusieurs années à établir avec les joueurs, en plus de la courbe de l’action de l’entreprise.





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