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Le pari de l'agriculture durable
Les enjeux démographiques de notre monde exigent bien entendu un minimum de lucidité: il nous faut nourrir une population sans cesse croissante, ce qui induit des problématiques de rendement des terres cultivées - dont 25% sont menacés à terme de désertification! -, tout en considérant les questions de préservation de la santé publique et sans remettre en cause, pour autant, la rentabilité économique des exploitations. Vaste défi, que l'agriculture raisonnée cherche à relever, en cela qu'elle tend à garantir la maîtrise des risques sanitaires et le respect de l'environnement. Elle apparaît comme une alternative fiable à l'agriculture intensive en matière de rendement (rappelons qu'un quart des sols cultivables ont été stérilisés en l'espace d'un siècle par l'agrochimie) et à l'agriculture bio en matière de santé (on ne compte que 3% d'exploitations agricoles bio en France, de loin insuffisantes pour couvrir nos besoins).
Dès lors, se pose la question cruciale de l'organisation des filières dites "naturelles", qui souffre encore d'un déficit de coordination face aux géants de la production agroalimentaire et, par voie de conséquence, de la distribution. Car, digne héritière des réformes initiées il y a 50 ans dans le cadre de la PAC, l'agriculture française est structurellement "adaptée aux gros volumes qui empochent la majorité des subventions", explique Nolwenn Weiler. Le problème qui en découle, c'est que l'ensemble de la chaîne de valeur de la filière s'en trouve affectée. L'auteur rapporte ainsi les péripéties d'un producteur de lait bio en quête d'outillage adapté à son activité raisonnée: "Aujourd’hui, les industries laitières sortent entre 100 et 300 millions de litres à l’année, alors que nous n’en produisons qu’un million. On ne trouve plus de fabricants de petites machines." Pourtant, paradoxe des conditions de marché, l'importation de produits issus de l'agriculture raisonnée et biologique croît sans cesse, preuve que la demande est bien réelle, mais que notre modèle économique n'y est pas adapté.
Structurer l'offre et coordonner la filière
Quelques acteurs français entreprennent en faveur d'une structuration de la filière des produits naturels, depuis l'amont (les producteurs et les négociants) jusqu'à l'aval (les distributeurs). Pour certaines isolées, pour d'autres fédératrices, elles constituent - mises bout à bout - une représentation fidèle et encourageante de ce que pourra devenir demain l'agriculture raisonnée. Créée en 1999, l'association Kokopelli milite en vue de préserver la biodiversité semencière et potagère, et rencontre un franc succès auprès des producteurs et amateurs de variétés anciennes quasiment disparues. Le prestataire All Fresh Logistique, fruit du regroupement de plusieurs entreprises familiales spécialisées dans la distribution maraîchère, accessoirement leader en Ile de France, s'est engagé dans des partenariats de long terme avec des agriculteurs engagés dans des démarches raisonnées (Agriconfiance, Globalcap, etc.). Le groupe InVivo, avec son statut d'union de coopératives, manifeste l'ambition de "structurer les marchés de la collecte et de l'approvisionnement agricoles", dans une logique de pilotage agroenvironnemental destiné à évaluer, piloter et valoriser les bonnes pratiques. Egalement acteurs incontournables de cette coordination: les pôles de compétitivité spécialisés dans l'agroalimentaire, qui fédèrent de nombreuses PME autour des enjeux de l'alimentation durable. Parmi eux, le pôle Vitagora développe un axe intitulé "Alimentation durable au service du bien-être du consommateur". Le pôle Vegepolys ambitionne de "créer des végétaux qui engendrent une consommation plus faible d'intrants et des impacts plus favorables sur la biodiversité, la santé et l'environnement." Et le panorama ne serait pas complet sans citer le Pôle Européen d'Innovation Fruits et Légumes, ou le pôle Céréales Vallée, également engagés dans la R&D au profit d'une agriculture durable.
Démocratiser l'information dans la filière naturelle : de l’agriculteur au consommateur
Même s'il apparaît sous les traits du bon sens, le volet "formation et sensibilisation" est pourtant stratégique. D'abord parce qu'il est important de faire savoir aux agriculteurs qu'il existe des circuits non conventionnels permettant de rentabiliser une exploitation "raisonnée". Ensuite, parce que "produire durable" nécessite un minimum d'expertise à l'heure où bon nombre de jeunes agriculteurs sont acquis, faute d'alternative éloquente, à la cause de l'agrochimie. C'est pour y remédier que l'association Farre, qui compte plus de 1000 membres à son actif, a été créée. Conçue sous l'angle d'un réseau d'exploitations adossé à un forum interprofessionnel, elle favorise les échanges d'information entre les chambres d'agriculture, les syndicats, les coopératives, les instituts, les coopératives, et d'une façon générale tous les acteurs qui concourent au développement de la filière.
C'est au consommateur qu'appartient la responsabilité finale d'entretenir cette dynamique entamée par les professionnels du secteur. Mais le déficit de transparence dans l'univers de l'agroalimentaire - en témoigne une énième polémique sur une tentative d'étiquetage de la junk food - s'est confortablement installé dans les moeurs des industriels, et ce, au mépris des attentes que manifeste le consommateur français. A contrario, un consommateur correctement informé sur les qualités nutritionnelles ou pharmacologiques d'un produit, son origine naturelle, ou le caractère responsable de son mode de production plébiscitera la filière à travers ses actes d'achat. Instaurer ce lien de confiance passe alors par une démarche de transparence et d'information, et des standards de qualité élevés.
Mobiliser les acteurs de la filière pour informer le consommateur : un enjeu essentiel sur le marché des compléments alimentaires
Une entreprise du secteur de la phytothérapie, Boutique Nature, avait fait le constat que ce manque de coordination des acteurs avait laissé trop de place à des marques vantant les qualités quasi-ésotériques de mystérieuses gélules et a décidé d’y remédier par une politique d’information objective, quasi-médicale, destinée aux utilisateurs des produits. L’objectif est de mobiliser les différents acteurs de la filière autour d'un objectif de transparence, de sensibilisation et d'échange de l'information tout au long de la chaîne de valorisation des produits. La démarche de Boutique Nature est innovante, en ceci qu'elle consiste à échanger avec ses fournisseurs des données agronomiques et pharmacologiques en vue d'améliorer la qualité des matières premières utilisées. Elle vaut aussi pour le consommateur final, envers lequel l'entreprise revendique un "devoir d'information accru". Boutique Nature diffuse des informations pédagogiques auprès des détaillants en vue de les sensibiliser aux derniers développements d’innovation produit. Les détaillants, en effet, qui sont au contact direct du consommateur ont une fonction de conseil. A ce titre, ils doivent être formés car le marché de la phytothérapie a la spécificité de toucher au domaine de la santé. "En fait, nous essayons de structurer une véritable "chaîne de l'information" dans la filière naturelle, qui fait étonnamment défaut jusqu'alors. Aujourd'hui, l'information circule, depuis l'amont jusqu'à l'aval de la filière ! ", explique Philippe Laratte, le patron de Boutique Nature. Par ailleurs, l’entreprise confie la réalisation de ses gammes à des laboratoires répondant à des normes pharmaceutiques, garantissant ainsi la sécurité et la traçabilité de chacun des lots. Une façon pertinente, en somme, d'assainir le marché de son lot de charlatans: "Dans un marché caractérisé par une profusion de conditionnements, de dosages, de présentations, nous sommes convaincus que cette démarche permettra au plus grand nombre de faire des choix en toute confiance", conclut Philippe Laratte.
Au final, c'est en participant chacun à son niveau à l'émergence d'un grand marché - du côté de l'offre, comme du côté de la demande! - qu'on parviendra à donner à cette filière la place qu'elle mérite, à l'heure où ni les industriels, ni les autorités ne semblent disposés à aller dans un sens pourtant vigoureusement réclamé par les citoyens.
Les enjeux démographiques de notre monde exigent bien entendu un minimum de lucidité: il nous faut nourrir une population sans cesse croissante, ce qui induit des problématiques de rendement des terres cultivées - dont 25% sont menacés à terme de désertification! -, tout en considérant les questions de préservation de la santé publique et sans remettre en cause, pour autant, la rentabilité économique des exploitations. Vaste défi, que l'agriculture raisonnée cherche à relever, en cela qu'elle tend à garantir la maîtrise des risques sanitaires et le respect de l'environnement. Elle apparaît comme une alternative fiable à l'agriculture intensive en matière de rendement (rappelons qu'un quart des sols cultivables ont été stérilisés en l'espace d'un siècle par l'agrochimie) et à l'agriculture bio en matière de santé (on ne compte que 3% d'exploitations agricoles bio en France, de loin insuffisantes pour couvrir nos besoins).
Dès lors, se pose la question cruciale de l'organisation des filières dites "naturelles", qui souffre encore d'un déficit de coordination face aux géants de la production agroalimentaire et, par voie de conséquence, de la distribution. Car, digne héritière des réformes initiées il y a 50 ans dans le cadre de la PAC, l'agriculture française est structurellement "adaptée aux gros volumes qui empochent la majorité des subventions", explique Nolwenn Weiler. Le problème qui en découle, c'est que l'ensemble de la chaîne de valeur de la filière s'en trouve affectée. L'auteur rapporte ainsi les péripéties d'un producteur de lait bio en quête d'outillage adapté à son activité raisonnée: "Aujourd’hui, les industries laitières sortent entre 100 et 300 millions de litres à l’année, alors que nous n’en produisons qu’un million. On ne trouve plus de fabricants de petites machines." Pourtant, paradoxe des conditions de marché, l'importation de produits issus de l'agriculture raisonnée et biologique croît sans cesse, preuve que la demande est bien réelle, mais que notre modèle économique n'y est pas adapté.
Structurer l'offre et coordonner la filière
Quelques acteurs français entreprennent en faveur d'une structuration de la filière des produits naturels, depuis l'amont (les producteurs et les négociants) jusqu'à l'aval (les distributeurs). Pour certaines isolées, pour d'autres fédératrices, elles constituent - mises bout à bout - une représentation fidèle et encourageante de ce que pourra devenir demain l'agriculture raisonnée. Créée en 1999, l'association Kokopelli milite en vue de préserver la biodiversité semencière et potagère, et rencontre un franc succès auprès des producteurs et amateurs de variétés anciennes quasiment disparues. Le prestataire All Fresh Logistique, fruit du regroupement de plusieurs entreprises familiales spécialisées dans la distribution maraîchère, accessoirement leader en Ile de France, s'est engagé dans des partenariats de long terme avec des agriculteurs engagés dans des démarches raisonnées (Agriconfiance, Globalcap, etc.). Le groupe InVivo, avec son statut d'union de coopératives, manifeste l'ambition de "structurer les marchés de la collecte et de l'approvisionnement agricoles", dans une logique de pilotage agroenvironnemental destiné à évaluer, piloter et valoriser les bonnes pratiques. Egalement acteurs incontournables de cette coordination: les pôles de compétitivité spécialisés dans l'agroalimentaire, qui fédèrent de nombreuses PME autour des enjeux de l'alimentation durable. Parmi eux, le pôle Vitagora développe un axe intitulé "Alimentation durable au service du bien-être du consommateur". Le pôle Vegepolys ambitionne de "créer des végétaux qui engendrent une consommation plus faible d'intrants et des impacts plus favorables sur la biodiversité, la santé et l'environnement." Et le panorama ne serait pas complet sans citer le Pôle Européen d'Innovation Fruits et Légumes, ou le pôle Céréales Vallée, également engagés dans la R&D au profit d'une agriculture durable.
Démocratiser l'information dans la filière naturelle : de l’agriculteur au consommateur
Même s'il apparaît sous les traits du bon sens, le volet "formation et sensibilisation" est pourtant stratégique. D'abord parce qu'il est important de faire savoir aux agriculteurs qu'il existe des circuits non conventionnels permettant de rentabiliser une exploitation "raisonnée". Ensuite, parce que "produire durable" nécessite un minimum d'expertise à l'heure où bon nombre de jeunes agriculteurs sont acquis, faute d'alternative éloquente, à la cause de l'agrochimie. C'est pour y remédier que l'association Farre, qui compte plus de 1000 membres à son actif, a été créée. Conçue sous l'angle d'un réseau d'exploitations adossé à un forum interprofessionnel, elle favorise les échanges d'information entre les chambres d'agriculture, les syndicats, les coopératives, les instituts, les coopératives, et d'une façon générale tous les acteurs qui concourent au développement de la filière.
C'est au consommateur qu'appartient la responsabilité finale d'entretenir cette dynamique entamée par les professionnels du secteur. Mais le déficit de transparence dans l'univers de l'agroalimentaire - en témoigne une énième polémique sur une tentative d'étiquetage de la junk food - s'est confortablement installé dans les moeurs des industriels, et ce, au mépris des attentes que manifeste le consommateur français. A contrario, un consommateur correctement informé sur les qualités nutritionnelles ou pharmacologiques d'un produit, son origine naturelle, ou le caractère responsable de son mode de production plébiscitera la filière à travers ses actes d'achat. Instaurer ce lien de confiance passe alors par une démarche de transparence et d'information, et des standards de qualité élevés.
Mobiliser les acteurs de la filière pour informer le consommateur : un enjeu essentiel sur le marché des compléments alimentaires
Une entreprise du secteur de la phytothérapie, Boutique Nature, avait fait le constat que ce manque de coordination des acteurs avait laissé trop de place à des marques vantant les qualités quasi-ésotériques de mystérieuses gélules et a décidé d’y remédier par une politique d’information objective, quasi-médicale, destinée aux utilisateurs des produits. L’objectif est de mobiliser les différents acteurs de la filière autour d'un objectif de transparence, de sensibilisation et d'échange de l'information tout au long de la chaîne de valorisation des produits. La démarche de Boutique Nature est innovante, en ceci qu'elle consiste à échanger avec ses fournisseurs des données agronomiques et pharmacologiques en vue d'améliorer la qualité des matières premières utilisées. Elle vaut aussi pour le consommateur final, envers lequel l'entreprise revendique un "devoir d'information accru". Boutique Nature diffuse des informations pédagogiques auprès des détaillants en vue de les sensibiliser aux derniers développements d’innovation produit. Les détaillants, en effet, qui sont au contact direct du consommateur ont une fonction de conseil. A ce titre, ils doivent être formés car le marché de la phytothérapie a la spécificité de toucher au domaine de la santé. "En fait, nous essayons de structurer une véritable "chaîne de l'information" dans la filière naturelle, qui fait étonnamment défaut jusqu'alors. Aujourd'hui, l'information circule, depuis l'amont jusqu'à l'aval de la filière ! ", explique Philippe Laratte, le patron de Boutique Nature. Par ailleurs, l’entreprise confie la réalisation de ses gammes à des laboratoires répondant à des normes pharmaceutiques, garantissant ainsi la sécurité et la traçabilité de chacun des lots. Une façon pertinente, en somme, d'assainir le marché de son lot de charlatans: "Dans un marché caractérisé par une profusion de conditionnements, de dosages, de présentations, nous sommes convaincus que cette démarche permettra au plus grand nombre de faire des choix en toute confiance", conclut Philippe Laratte.
Au final, c'est en participant chacun à son niveau à l'émergence d'un grand marché - du côté de l'offre, comme du côté de la demande! - qu'on parviendra à donner à cette filière la place qu'elle mérite, à l'heure où ni les industriels, ni les autorités ne semblent disposés à aller dans un sens pourtant vigoureusement réclamé par les citoyens.