La stratégie internationale de BlaBlaCar
Il est proposé dans cet article d’étudier la façon dont BlaBlaCar a conduit sa politique de croissance et d’expansion à l’international, en passant d’une start up de l’économie collaborative à un géant mondial du co-voiturage. Initialement positionnée sur le marché européen fragmenté en plusieurs marchés locaux, l’entreprise s’est progressivement étendue à la Russie et aujourd’hui à l’Inde ou encore au Brésil. En dépit de certains obstacles culturels ou réglementaires comme aux Etats-Unis ou en Chine, l’entreprise a su combiner trois stratégies complémentaires en matière d’extension, lui permettant de s’imposer comme un acteur majeur du co-voiturage disposant du plus grand réseau de mobilité participative au monde. Mais cette stratégie présente des risques, et peut conduire à des recadrages importants en termes de priorités d'investissements.
Les trois options stratégiques
En effet, pour entrer sur ses différents marchés, BlaBlaCar combine trois modèles complémentaires en termes de développement, qui lui permettent d'avoir une insertion locale immédiate : « L’Acqui-hire », la « spin off » et le « local recruitement ». Ces modèles peuvent parfois être combinés pour donner lieu à des stratégies hybrides (Guieu, 1994) qui offrent aux décideurs un vaste éventail de possibilités pour le développement de leur organisation (Meier, 2018). Bien souvent, ces choix stratégiques sont à replacer dans une perspective plus large, en intégrant l’environnement des entreprises (situation des marchés et de la concurrence), leurs avantages (compétences) et les risques perçus (effet d’apprentissage et menaces potentielles).
Le premier modèle utilisé concerne « l’Acqui-hire » et relève d’une stratégie de croissance externe avec préservation des équipes locales et apport de moyens complémentaires (politique produit, méthode de gestion, SAV). Il s’agit ici d’acquérir une entreprise locale principalement pour son équipe et son expérience. En achetant une société déjà positionnée sur le marché (site de co-voiturage local), Bla Bla Car dispose d’une équipe locale opérationnelle qui connaît parfaitement le terrain et peut se mobiliser rapidement sur le plan commercial. Elle peut notamment s’appuyer sur un personnel culturellement proche de ses clients potentiels, ayant une bonne compréhension des mentalités, des modes de consommations mais aussi des usages en matière de système de transport. L’intégration d’équipe locale contribue également à avoir une vision plus précise de la concurrence (connaissance du métier et des pratiques locales). Elle permet enfin de miser sur des entrepreneurs convaincus et passionnés qui ont créé eux-mêmes leur entreprise, et qui ont généralement une plus grande tolérance aux risques et à l’incertitude. Pour ce type de configuration, BlaBlaCar accorde souvent aux directeurs des pays cibles, une autonomie importante et des moyens, pour réaliser leur mission dans de bonnes conditions. L’entreprise BlaBlaCar aime privilégier cette option stratégique et continue différentes sociétés locales, à l’instar de Superdojazd en Pologne, de Podorozhniki en Russie, de Rides au Mexique, d’Autohop en Roumanie ou de Jizdomat en République Tchèque et Slovaquie.
Mais le covoiturage étant encore en phase de développement, il arrive qu’il n’y ait pas encore d’acteurs locaux ou que l’acqui-hire soit simplement impossible. Par exemple, dans certains pays, il convient d’abord d’expliquer ce qu'est le covoiturage dans la mesure où il n'y a pas de nom désigné pour qualifier ce type de pratiques.
BlaBlaCar a dès lors recours à un deuxième modèle. Il s’agit de recourir à la stratégie Spin-off qui vise à défrayer une équipe du siège en local, afin de monter entièrement une équipe sur place. Dans ce cas, l’enjeu pour l’entreprise est d’envoyer un personnel qualifié directement sur place, issu des 29 nationalités du groupe, pour appliquer le modèle de développement de l’entreprise, tant sur le plan économique que commercial. La stratégie Spin off relève donc ici d’une politique de croissance interne, qui vise à s’appuyer sur les ressources existantes et d’agir rapidement et efficacement grâce à un personnel qualifié et expérimenté ayant une bonne connaissance du modèle culturel et économique de l’entreprise. La difficulté à s’adapter aux caractéristiques du marché local est ici compensée par l’existence d’une équipe soudée et motivée, ayant une expérience entrepreneuriale et managériale. L’idée est généralement de miser sur des pays culturellement assez proches du modèle d’origine. Bla Bla car a par exemple opté pour cette solution pour l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Enfin, pour son expansion, l’entreprise peut aussi avoir recours à une troisième option, considérée comme la plus dure – « Hard way », avec le recrutement directement (« local recruitment”) dans le pays concerné. Ce type de politique est actuellement pratiqué en Turquie ou en Inde notamment, où les transports sont saturés et les infrastructures de communication sont insuffisantes. Dans ces pays, la classe moyenne est clairement à la recherche de nouveaux moyens de transport. Cette stratégie peut s’avérer pertinente, lorsque le pays considéré dispose d’une main d’œuvre de qualité, à moindre coûts avec des conditions avantageuses en matière de recrutement. Elle peut aussi s’avérer intéressante, lorsque les gouvernements favorisent les recrutements locaux. Des collaborateurs de BlaBlaCar qui ont déjà été impliqués sur des précédents lancements, viennent généralement sur place pour accompagner les nouvelles recrues et partager leur savoir sur les différentes étapes du développement. L’entreprise est généralement accompagnée dans ses démarches par des cabinets de recrutements spécialisés.
Les limites du modèle
Ainsi BlaBlaCar a, depuis ses débuts, misé sur l’international, en privilégiant dans sa démarche l’expansion géographique sur la rentabilité économique. L’objectif de l’entreprise est en effet de penser international dès le début de l’activité, afin d'asseoir une position de leader sur ses différents marchés. Pour ce faire, l’entreprise s’est appuyé sur trois modèles complémentaires en termes de développement – Acqui-hire, spin off, local recruitement, qui ont fortement contribué à l'internationalisation de ses activités.
Mais si cette stratégie a semblé dans un premier temps payante, BlaBlaCar commence à connaître certaines difficultés comme en Inde, en Turquie ou au Mexique (fermeture de bureaux). De même, des territoires hautement stratégiques, comme le sont les marchés américain, chinois ou allemand continuent d'être réfractaires aux sollicitations de l'entreprise, pour des raisons sociétales, culturelles ou réglementaires. Le co-voiturage doit par exemple faire face au rapport particulier des américains à leur voiture (espace d'intimité) et aux contraintes géographiques du pays (dimensionnement), tandis que l'entreprise se heurte en Allemagne à la pratique du paiement en cash qui est préférée à l'application. De même, en Chine, l'entreprise doit prendre en compte les contraintes légales en matière de co-voiturage et la présence sur place d'un concurrent puissant (Didi Chuxing), géant local du transport à la demande.
Autant d'éléments qui amènent l'entreprise à plus de prudence, entre sa volonté d'expansion (stratégie d'internationalisation) et ses contraintes d'adaptation à des culture différentes. Ce dilemme est aujourd'hui d'autant plus présent que l'entreprise doit faire face à une concurrence nationale (bus, cars, TGV low cost...mais également Roulez-Malin ou La Roue Verte) qui l'oblige à repenser sa stratégie de développement.
Face à ces nouveaux défis, Bla Bla Car doit donc réagir, en se recentrant sur certains pays cibles et en misant sur une stratégie de proximité et d'innovation à travers de nouveaux services (location de voiture, trajets courte distance...), pour recréer des avantages distinctifs par rapport à la concurrence. C'est de cette façon que l'entreprise pourra conforter son succès, en proposant une valeur spécifique et durable à ses clients.
Mais si cette stratégie a semblé dans un premier temps payante, BlaBlaCar commence à connaître certaines difficultés comme en Inde, en Turquie ou au Mexique (fermeture de bureaux). De même, des territoires hautement stratégiques, comme le sont les marchés américain, chinois ou allemand continuent d'être réfractaires aux sollicitations de l'entreprise, pour des raisons sociétales, culturelles ou réglementaires. Le co-voiturage doit par exemple faire face au rapport particulier des américains à leur voiture (espace d'intimité) et aux contraintes géographiques du pays (dimensionnement), tandis que l'entreprise se heurte en Allemagne à la pratique du paiement en cash qui est préférée à l'application. De même, en Chine, l'entreprise doit prendre en compte les contraintes légales en matière de co-voiturage et la présence sur place d'un concurrent puissant (Didi Chuxing), géant local du transport à la demande.
Autant d'éléments qui amènent l'entreprise à plus de prudence, entre sa volonté d'expansion (stratégie d'internationalisation) et ses contraintes d'adaptation à des culture différentes. Ce dilemme est aujourd'hui d'autant plus présent que l'entreprise doit faire face à une concurrence nationale (bus, cars, TGV low cost...mais également Roulez-Malin ou La Roue Verte) qui l'oblige à repenser sa stratégie de développement.
Face à ces nouveaux défis, Bla Bla Car doit donc réagir, en se recentrant sur certains pays cibles et en misant sur une stratégie de proximité et d'innovation à travers de nouveaux services (location de voiture, trajets courte distance...), pour recréer des avantages distinctifs par rapport à la concurrence. C'est de cette façon que l'entreprise pourra conforter son succès, en proposant une valeur spécifique et durable à ses clients.
Références
Guieu G. (1994), Hybridité stratégique et apprentissage organisationnel dans les prises de contrôle d'entreprise, thèse de doctorat en sciences de gestion, université Grenoble II, École supérieure des Affaires.
Huet J-M, Les stratégies internationales, Dunod, 2015.
Meier O., Les stratégies de croissance, Dunod, 2009.
Meier O., Diagnostic stratégique, 5ème édition, 2018.