Dans votre ouvrage, vous annoncez la fin d'un mode de croissance fondé sur le paradigme du "tout pétrole". Quels en sont les signes précurseurs ?
Notre économie repose sur un recours constant au pétrole (transport, agriculture, chimie etc.). Or les réserves en pétrole s'épuisent, son extraction est de plus en plus onéreuse, et la demande énergétique mondiale ne cesse de croître. Le prix du baril est inéluctablement amené à augmenter. Parallèlement, la prise de conscience de l'urgence climatique rend impérieuse la recherche de voies permettant de décarboner l'économie (1). La convergence de ces phénomènes indique sans ambiguïté l'obsolescence du paradigme du tout pétrole.
Comment pourrait être remplacé le pétrole ?
Un bouquet d'alternatives au pétrole est envisageable. Elles co-existeront en fonction de leur pertinence dans un contexte donné d'utilisation (éolien, hydrogène, nucléaire etc.). Parmi celles-ci, le recours à la biomasse végétale est une piste clé à la fois dans le secteur de l'énergie (agrocombustibles, agrocarburants de 1ère et surtout de 2ème et 3ème générations) et dans celui de la chimie du carbone. Le végétal constitue d'ailleurs une des rares pistes de substitution dans ce secteur. A l'instar du concept de raffinerie pétrolière, qui recourt à du pétrole brut pour produire des carburants et des produits dérivés, celui de raffinerie végétale ou bioraffinerie (2) tend à fractionner puis transformer l'ensemble des constituants de la plante. Il illustre le possible passage d'un modèle industriel qui peut être qualifié de linéaire, car reposant sur une exploitation de ressources non renouvelées, à un modèle circulaire, dans lequel la notion de déchet est remplacée par celle de co-produit.
Les alternatives végétales sont-elles systématiquement plus vertes que le pétrole ?
Ces alternatives présentent l'avantage d'être disponibles à relativement court terme. Mais au-delà de l'enthousiasme suscité, l'analyse complète de leur cycle de vie est parfois surprenante. Le bilan des émissions de gaz à effet de serre et l'efficacité énergétique sont par définition fortement dépendants de leur contexte de production (phases de culture et de transformation). Il faut donc veiller à ce que la quantité d'énergie nécessaire pour leur production soit bien inférieure à celle qui est finalement restituée et que les émissions de gaz à effet de serre générées restent inférieures à celles des carburants fossiles ! A cela s'ajoute que le choix des matières premières doit également être fait de manière à limiter la concurrence qui peut être instaurée avec une utilisation des sols pour des cultures alimentaires. Alors que les agrocarburants de première génération étaient essentiellement produits à partir des organes de réserve de plantes cultivées, il est désormais possible de valoriser les composés cellulosiques des végétaux (y compris de ceux qui ne sont pas destinés à des usages alimentaires) ou encore les co-produits végétaux de diverses industries (filières bois, agroalimentaires etc). Ces nouvelles valorisations s'annoncent particulièrement prometteuses.
Parallèlement à cela, les alternatives végétales pourraient également contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre permise par une forme de "relocalisation" de l'économie (3): le concept de bioraffinerie repose précisément sur la concentration géographique de ses opérateurs à proximité des lieux de production des matières premières.
Dans quels secteurs les solutions végétales s'annoncent-t-elles les plus prometteuses ?
Les agrocarburants font aujourd'hui l'objet des principaux développements. Parallèlement à l'augmentation du prix du baril et au développement des diverses sources d'énergie renouvelables, les opportunités de marché pour les alternatives végétales au pétrole ne se cantonneront assez rapidement plus au secteur énergétique. Leur application en particulier dans les domaines de la chimie (tensioactifs, substrats de base de la chimie organique…) et des matériaux (construction, carrosserie automobile...) devraient sortir des niches généralement techniques et à forte valeur ajoutée et se généraliser.
Est-ce que les industriels ont finalement intérêt à anticiper cette transition dès maintenant ?
Même si la date du peak oil (4) n'est pas connue avec précision et si l'ampleur précise du changement climatique fait encore l'objet de débat, les industriels ont tout intérêt à s'y préparer. D'une part parce que l'ensemble de leurs stakeholders le leur demande. Et d'autre part parce que c'est sans ambiguïté leur intérêt. Au-delà d'une stratégie de gestion des risques (augmentation du prix du pétrole dès la sortie de la crise, durcissement des réglementations environnementales, gestion du capital de réputation etc.), cette transition offre de réelles opportunités de marché et d'innovation. Les filières végétales font d'ailleurs partie des filières stratégiques identifiées par le Ministère de l'Ecologie pour une croissance verte (5).
Notes:
(1) La combustion du pétrole, mais aussi du charbon et du gaz, s'accompagne d'émission de gaz à effet de serre. Ces derniers, en s'accumulant dans l'atmosphère, amplifie l'effet de serre et donc le réchauffement climatique.
(2) Présentation du concept dans le schéma du pôle Industries Agro-Ressources à l'adresse http://www.iar-pole.com/fr/illust/process_raf_vegetale.gif
(3) Et ce dans un contexte où une préférence marquée pour des produits à tendance "low cost" favorise la délocalisation de productions et par conséquent aussi de pollution. Plus de la moitié de la croissance des émissions de la Chine entre 2002 et 2005 serait ainsi due à la production de produits manufacturés destinés à l'exportation. La Chine propose d'ailleurs dans le cadre de Copenhague que les émissions de carbone ne soient pas comptabilisées sur les lieux de production mais de consommation.
(4) Date à partir de laquelle la moitié des réserves pétrolières aura été consommée et où la production commencera à décroître.
(5) Commissariat général au développement durable, Etude "Filières vertes" : les filières industrielles stratégiques de la croissance verte, octobre 2009, téléchargeable à l'adresse suivante.
Notre économie repose sur un recours constant au pétrole (transport, agriculture, chimie etc.). Or les réserves en pétrole s'épuisent, son extraction est de plus en plus onéreuse, et la demande énergétique mondiale ne cesse de croître. Le prix du baril est inéluctablement amené à augmenter. Parallèlement, la prise de conscience de l'urgence climatique rend impérieuse la recherche de voies permettant de décarboner l'économie (1). La convergence de ces phénomènes indique sans ambiguïté l'obsolescence du paradigme du tout pétrole.
Comment pourrait être remplacé le pétrole ?
Un bouquet d'alternatives au pétrole est envisageable. Elles co-existeront en fonction de leur pertinence dans un contexte donné d'utilisation (éolien, hydrogène, nucléaire etc.). Parmi celles-ci, le recours à la biomasse végétale est une piste clé à la fois dans le secteur de l'énergie (agrocombustibles, agrocarburants de 1ère et surtout de 2ème et 3ème générations) et dans celui de la chimie du carbone. Le végétal constitue d'ailleurs une des rares pistes de substitution dans ce secteur. A l'instar du concept de raffinerie pétrolière, qui recourt à du pétrole brut pour produire des carburants et des produits dérivés, celui de raffinerie végétale ou bioraffinerie (2) tend à fractionner puis transformer l'ensemble des constituants de la plante. Il illustre le possible passage d'un modèle industriel qui peut être qualifié de linéaire, car reposant sur une exploitation de ressources non renouvelées, à un modèle circulaire, dans lequel la notion de déchet est remplacée par celle de co-produit.
Les alternatives végétales sont-elles systématiquement plus vertes que le pétrole ?
Ces alternatives présentent l'avantage d'être disponibles à relativement court terme. Mais au-delà de l'enthousiasme suscité, l'analyse complète de leur cycle de vie est parfois surprenante. Le bilan des émissions de gaz à effet de serre et l'efficacité énergétique sont par définition fortement dépendants de leur contexte de production (phases de culture et de transformation). Il faut donc veiller à ce que la quantité d'énergie nécessaire pour leur production soit bien inférieure à celle qui est finalement restituée et que les émissions de gaz à effet de serre générées restent inférieures à celles des carburants fossiles ! A cela s'ajoute que le choix des matières premières doit également être fait de manière à limiter la concurrence qui peut être instaurée avec une utilisation des sols pour des cultures alimentaires. Alors que les agrocarburants de première génération étaient essentiellement produits à partir des organes de réserve de plantes cultivées, il est désormais possible de valoriser les composés cellulosiques des végétaux (y compris de ceux qui ne sont pas destinés à des usages alimentaires) ou encore les co-produits végétaux de diverses industries (filières bois, agroalimentaires etc). Ces nouvelles valorisations s'annoncent particulièrement prometteuses.
Parallèlement à cela, les alternatives végétales pourraient également contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre permise par une forme de "relocalisation" de l'économie (3): le concept de bioraffinerie repose précisément sur la concentration géographique de ses opérateurs à proximité des lieux de production des matières premières.
Dans quels secteurs les solutions végétales s'annoncent-t-elles les plus prometteuses ?
Les agrocarburants font aujourd'hui l'objet des principaux développements. Parallèlement à l'augmentation du prix du baril et au développement des diverses sources d'énergie renouvelables, les opportunités de marché pour les alternatives végétales au pétrole ne se cantonneront assez rapidement plus au secteur énergétique. Leur application en particulier dans les domaines de la chimie (tensioactifs, substrats de base de la chimie organique…) et des matériaux (construction, carrosserie automobile...) devraient sortir des niches généralement techniques et à forte valeur ajoutée et se généraliser.
Est-ce que les industriels ont finalement intérêt à anticiper cette transition dès maintenant ?
Même si la date du peak oil (4) n'est pas connue avec précision et si l'ampleur précise du changement climatique fait encore l'objet de débat, les industriels ont tout intérêt à s'y préparer. D'une part parce que l'ensemble de leurs stakeholders le leur demande. Et d'autre part parce que c'est sans ambiguïté leur intérêt. Au-delà d'une stratégie de gestion des risques (augmentation du prix du pétrole dès la sortie de la crise, durcissement des réglementations environnementales, gestion du capital de réputation etc.), cette transition offre de réelles opportunités de marché et d'innovation. Les filières végétales font d'ailleurs partie des filières stratégiques identifiées par le Ministère de l'Ecologie pour une croissance verte (5).
Notes:
(1) La combustion du pétrole, mais aussi du charbon et du gaz, s'accompagne d'émission de gaz à effet de serre. Ces derniers, en s'accumulant dans l'atmosphère, amplifie l'effet de serre et donc le réchauffement climatique.
(2) Présentation du concept dans le schéma du pôle Industries Agro-Ressources à l'adresse http://www.iar-pole.com/fr/illust/process_raf_vegetale.gif
(3) Et ce dans un contexte où une préférence marquée pour des produits à tendance "low cost" favorise la délocalisation de productions et par conséquent aussi de pollution. Plus de la moitié de la croissance des émissions de la Chine entre 2002 et 2005 serait ainsi due à la production de produits manufacturés destinés à l'exportation. La Chine propose d'ailleurs dans le cadre de Copenhague que les émissions de carbone ne soient pas comptabilisées sur les lieux de production mais de consommation.
(4) Date à partir de laquelle la moitié des réserves pétrolières aura été consommée et où la production commencera à décroître.
(5) Commissariat général au développement durable, Etude "Filières vertes" : les filières industrielles stratégiques de la croissance verte, octobre 2009, téléchargeable à l'adresse suivante.
Notre avis
Lorsqu’un ingénieur agronome rencontre un spécialiste reconnu des relations publiques, l’émulation aboutit à produire un ouvrage constructif, didactique, et étonnamment documenté. Il est en effet le fruit d’une volonté de traiter le développement durable en grande partie sous un autre jour : celui de la stratégie économique. Car les « early adopters » des technologies vertes et autres parangons de l’écologie industrielle construisent dès aujourd’hui, bien plus qu’un avantage concurrentiel, une véritable capacité distinctive. Les auteurs y abordent le modèle d’entreprise de demain, tant sous l’angle productif que sous l’angle des nouvelles exigences sociétales. En cette période de transition énergétique, ce livre finira de convaincre le citoyen, inspirera indéniablement nos décideurs politiques au lendemain de l’échec de Copenhague, et stimulera résolument les plus entrepreneurs d’entre vous. Enfin, il réconciliera ceux que le développement durable ennuie - ou agace - avec la question écologique. On croyait l’écologie et le business conciliables avec un peu de bonne volonté. Au gré de la lecture de cet ouvrage, on change d’avis. A n’en plus douter, ils sont en fait inséparables ! Un exposé incontournable pour les leaders de demain, en somme…
Lorsqu’un ingénieur agronome rencontre un spécialiste reconnu des relations publiques, l’émulation aboutit à produire un ouvrage constructif, didactique, et étonnamment documenté. Il est en effet le fruit d’une volonté de traiter le développement durable en grande partie sous un autre jour : celui de la stratégie économique. Car les « early adopters » des technologies vertes et autres parangons de l’écologie industrielle construisent dès aujourd’hui, bien plus qu’un avantage concurrentiel, une véritable capacité distinctive. Les auteurs y abordent le modèle d’entreprise de demain, tant sous l’angle productif que sous l’angle des nouvelles exigences sociétales. En cette période de transition énergétique, ce livre finira de convaincre le citoyen, inspirera indéniablement nos décideurs politiques au lendemain de l’échec de Copenhague, et stimulera résolument les plus entrepreneurs d’entre vous. Enfin, il réconciliera ceux que le développement durable ennuie - ou agace - avec la question écologique. On croyait l’écologie et le business conciliables avec un peu de bonne volonté. Au gré de la lecture de cet ouvrage, on change d’avis. A n’en plus douter, ils sont en fait inséparables ! Un exposé incontournable pour les leaders de demain, en somme…
Publics visés : étudiants, dirigeants, collectivités, enseignants-chercheurs, consultants, professionnels du marketing et des RP.
Elise Rebut est ingénieur agronome. Ludovic François est Professeur à
HEC, spécialiste des relations entre l’entreprise et la société civile.
Références de l'ouvrage:
Ludovic François, Elise Rebut, Après le pétrole: la nouvelle économie écologique, Ed. Ellipses, 2010
Elise Rebut est ingénieur agronome. Ludovic François est Professeur à
HEC, spécialiste des relations entre l’entreprise et la société civile.
Références de l'ouvrage:
Ludovic François, Elise Rebut, Après le pétrole: la nouvelle économie écologique, Ed. Ellipses, 2010