La crise de mai 2013 s’explique avant tout par le caractère imprévisible et provocateur de Mike Jeffries, PDG de la marque depuis 1992. Jusqu’en 2013, Abercrombie & Fitch connaît un essor effréné et s’exporte à travers le monde entier, jusqu’à ouvrir en 2011 une boutique sur les Champs-Elysées. La marque, qui depuis l’arrivée de Mike Jeffries cherche à tout prix à se forger une image « jeune » et « cool », n’a pas peur de multiplier les scandales. Mike Jeffries, pourtant à la tête de l’une des entreprises de prêt-à-porter les plus influentes au monde, multiplie les provocations. Dès le début des années 2000, la compagnie est accusée, entre autres, de promouvoir la sexualisation précoce des jeunes filles en vendant des strings en taille dix ans et des hauts de bikinis rembourrés en taille sept ans. Abercrombie & Fitch est aussi vivement critiquée pour avoir inventé la taille XXXS au rayon adulte, et pour avoir eu une politique de recrutement discriminatoire, favorisant les jeunes gens minces, beaux et trop souvent blancs (amende de 50 millions de dollars en 2005).
A chaque scandale, Mike Jeffries assume ses propos et joue sur l’image d’une marque exclusive pour adolescents « cools » et riches. Lorsqu’on l’interroge en 2011 sur son refus de livrer les invendus à des œuvres de charité, Mike Jeffries répond « Abercrombie ne veut pas donner l'image qu'une personne pauvre peut porter ses affaires. Seules les personnes d'une certaine stature peuvent acquérir et porter les vêtements de la marque ». Même en période de crise, la stratégie de communication d’Abercrombie reste claire : ne pas hésiter à faire des déclarations provocatrices tant que la marque fait parler d’elle, et surtout garder cette idée d’exclusivité. En 2006, Mike Jeffries communique clairement la stratégie de la marque dans une interview au magazine Salon : "dans chaque école il y a des enfants cools et populaires et d'autres qui ne sont pas si cools que ça. Franchement, nous nous adressons aux enfants cools qui ont une attitude super et qui ont plein d'amis. Plein de gens ne rentrent pas dans ce cadre et ne pourront pas y rentrer. Sommes-nous exclusifs ? Complètement."
Comment une énième décision politiquement incorrecte a-t-elle pu faire chuter la marque de manière si significative ?
La décision de retirer les tailles XL et XXL des rayons féminins d’Abercrombie & Fitch n’est pas le premier scandale de la marque, mais c’est indéniablement celui qui lui portera le plus gros préjudice. Le magazine Business Insider révèle dans un article de mai 2013 que la marque ne constitue plus de stock de vêtements féminins XL et XXL (exception faite pour les soutien-gorge de grande taille) et exhume dans le même article des propos discriminatoires de Mike Jeffries, prononcés en 2006 et qui étaient à l’époque passés inaperçus. En magasins, la gamme des hauts féminins Abercrombie ne dépasse plus le 40, et les bas le 42. Les propos de Mike Jeffries - « On n’engage que des gens beaux en magasins. Les gens beaux attirent les gens beaux et nous ne voulons vendre qu’aux gens beaux et cool. Les autres on n’en veut pas. » - ont alors un écho phénoménal.
Une pétition est lancée le 9 mai sur le site Internet Change.org et recueille en quelques semaines plus de 80 000 signatures. Abercrombie & Fitch fait alors face à une vague de critiques et de boycotts. Les résultats chutent d’un coup : alors qu’ils avaient avait collecté 17,1 millions de dollars au deuxième trimestre de l’année précédente, Abercrombie & Fitch enregistre seulement un bénéfice de 11, 4 millions de dollars sur la même période. La sanction se fait également rapidement sentir à la Bourse, où le cours de l’action recule brutalement de 18%.
Face à cette crise particulièrement grave, Mike Jeffries apparaît impuissant et refuse d’abord de communiquer. La seule communication d’Abercrombie & Fitch passe par la page Facebook de la marque, quelques jours après les révélations. Le but est de tenter d’excuser les propos tenus par Mike Jeffries en 2006. Il est écrit au nom du PDG : « je regrette que mes mots aient été interprétés de façon à offenser une partie de la population » mais aussi « A&F est une marque ambitieuse, qui comme la plupart des marques cible son marketing sur un segment particulier de consommateurs » et enfin simplement « nous sommes totalement opposés à toute forme de discrimination ». Cette déclaration impersonnelle et peu convaincante est loin de suffire pour redorer l’image de la marque.
Finalement abattu par des résultats décevants et victime d’une communication plus que maladroite, Mike Jeffries démissionne en décembre 2014, et abandonne l’empire qu’il avait construit. Depuis son départ, les nouveaux PDG s’emploient à mettre en place une communication qui vise à effacer les erreurs d’Abercrombie pour lui donner une nouvelle image plus ouverte et inclusive. Depuis 2015, les résultats sont en hausse, mais de manière bien plus significative sur l’enseigne Hollister que sur les produits portant explicitement le nom Abercromnie & Fitch. A croire que la crise de 2013 a quasiment tué la marque d’influence mondiale que nous connaissions dans les années 2000.
Les leçons d’une gestion de crise chaotique :
Abercrombie & Fitch avait construit son image de marque sur le scandale et sur la provocation. C’est ironiquement un nouveau scandale qui a précipité sa chute et la démission de son PDG. Jusqu’à cette date, Abercrombie & Fitch surfait sur les déclarations provocantes de Mike Jeffries pour faire parler et valoriser les clients les plus fidèles autour d’une idée d’exclusivité. Mais les stratégies de communication ne peuvent pas fonctionner éternellement.
Dans ce cas précis, le jeu de Mike Jeffries de ne jamais se censurer pour provoquer des crises à rebond positif, a fini par se retourner contre lui. La crise de mai 2013 n’est pas uniquement due au retrait des tailles XL et XXL aux rayons féminins, mais aussi et surtout au choc pour les consommateurs de redécouvrir les propos discriminatoires que Mike Jeffries tenait en 2006, à un moment où ils n’avaient pourtant pas choqué. La recherche d’éthique étant devenu un facteur déterminant dans le choix de leurs achats, ces propos n’étaient plus acceptables par les consommateurs.
C’est donc des propos tenus au moment même où la marque se forgeait son image et sa renommée mondiale qui ont précipité sa dégringolade. Mais comment communiquer lorsque le PDG lui-même est la cause d’une crise aussi grave ? Car c’est en général le rôle du PDG de communiquer sur une crise pour rassurer les consommateurs, ou pour éteindre un scandale. En 2013, Abercrombie & Fitch semblait coincée : l’esprit même de son PDG ne pouvait plus correspondre aux attentes du consommateur. L’absence de communication, ou plutôt la communication maladroite et peu convaincante de ce dernier, n’a fait qu’envenimer la situation. Dans ce cas précis, la seule solution de sortie de crise était peut-être le changement de PDG, et une communication claire autour de la redéfinition de l’image de marque.
A chaque scandale, Mike Jeffries assume ses propos et joue sur l’image d’une marque exclusive pour adolescents « cools » et riches. Lorsqu’on l’interroge en 2011 sur son refus de livrer les invendus à des œuvres de charité, Mike Jeffries répond « Abercrombie ne veut pas donner l'image qu'une personne pauvre peut porter ses affaires. Seules les personnes d'une certaine stature peuvent acquérir et porter les vêtements de la marque ». Même en période de crise, la stratégie de communication d’Abercrombie reste claire : ne pas hésiter à faire des déclarations provocatrices tant que la marque fait parler d’elle, et surtout garder cette idée d’exclusivité. En 2006, Mike Jeffries communique clairement la stratégie de la marque dans une interview au magazine Salon : "dans chaque école il y a des enfants cools et populaires et d'autres qui ne sont pas si cools que ça. Franchement, nous nous adressons aux enfants cools qui ont une attitude super et qui ont plein d'amis. Plein de gens ne rentrent pas dans ce cadre et ne pourront pas y rentrer. Sommes-nous exclusifs ? Complètement."
Comment une énième décision politiquement incorrecte a-t-elle pu faire chuter la marque de manière si significative ?
La décision de retirer les tailles XL et XXL des rayons féminins d’Abercrombie & Fitch n’est pas le premier scandale de la marque, mais c’est indéniablement celui qui lui portera le plus gros préjudice. Le magazine Business Insider révèle dans un article de mai 2013 que la marque ne constitue plus de stock de vêtements féminins XL et XXL (exception faite pour les soutien-gorge de grande taille) et exhume dans le même article des propos discriminatoires de Mike Jeffries, prononcés en 2006 et qui étaient à l’époque passés inaperçus. En magasins, la gamme des hauts féminins Abercrombie ne dépasse plus le 40, et les bas le 42. Les propos de Mike Jeffries - « On n’engage que des gens beaux en magasins. Les gens beaux attirent les gens beaux et nous ne voulons vendre qu’aux gens beaux et cool. Les autres on n’en veut pas. » - ont alors un écho phénoménal.
Une pétition est lancée le 9 mai sur le site Internet Change.org et recueille en quelques semaines plus de 80 000 signatures. Abercrombie & Fitch fait alors face à une vague de critiques et de boycotts. Les résultats chutent d’un coup : alors qu’ils avaient avait collecté 17,1 millions de dollars au deuxième trimestre de l’année précédente, Abercrombie & Fitch enregistre seulement un bénéfice de 11, 4 millions de dollars sur la même période. La sanction se fait également rapidement sentir à la Bourse, où le cours de l’action recule brutalement de 18%.
Face à cette crise particulièrement grave, Mike Jeffries apparaît impuissant et refuse d’abord de communiquer. La seule communication d’Abercrombie & Fitch passe par la page Facebook de la marque, quelques jours après les révélations. Le but est de tenter d’excuser les propos tenus par Mike Jeffries en 2006. Il est écrit au nom du PDG : « je regrette que mes mots aient été interprétés de façon à offenser une partie de la population » mais aussi « A&F est une marque ambitieuse, qui comme la plupart des marques cible son marketing sur un segment particulier de consommateurs » et enfin simplement « nous sommes totalement opposés à toute forme de discrimination ». Cette déclaration impersonnelle et peu convaincante est loin de suffire pour redorer l’image de la marque.
Finalement abattu par des résultats décevants et victime d’une communication plus que maladroite, Mike Jeffries démissionne en décembre 2014, et abandonne l’empire qu’il avait construit. Depuis son départ, les nouveaux PDG s’emploient à mettre en place une communication qui vise à effacer les erreurs d’Abercrombie pour lui donner une nouvelle image plus ouverte et inclusive. Depuis 2015, les résultats sont en hausse, mais de manière bien plus significative sur l’enseigne Hollister que sur les produits portant explicitement le nom Abercromnie & Fitch. A croire que la crise de 2013 a quasiment tué la marque d’influence mondiale que nous connaissions dans les années 2000.
Les leçons d’une gestion de crise chaotique :
Abercrombie & Fitch avait construit son image de marque sur le scandale et sur la provocation. C’est ironiquement un nouveau scandale qui a précipité sa chute et la démission de son PDG. Jusqu’à cette date, Abercrombie & Fitch surfait sur les déclarations provocantes de Mike Jeffries pour faire parler et valoriser les clients les plus fidèles autour d’une idée d’exclusivité. Mais les stratégies de communication ne peuvent pas fonctionner éternellement.
Dans ce cas précis, le jeu de Mike Jeffries de ne jamais se censurer pour provoquer des crises à rebond positif, a fini par se retourner contre lui. La crise de mai 2013 n’est pas uniquement due au retrait des tailles XL et XXL aux rayons féminins, mais aussi et surtout au choc pour les consommateurs de redécouvrir les propos discriminatoires que Mike Jeffries tenait en 2006, à un moment où ils n’avaient pourtant pas choqué. La recherche d’éthique étant devenu un facteur déterminant dans le choix de leurs achats, ces propos n’étaient plus acceptables par les consommateurs.
C’est donc des propos tenus au moment même où la marque se forgeait son image et sa renommée mondiale qui ont précipité sa dégringolade. Mais comment communiquer lorsque le PDG lui-même est la cause d’une crise aussi grave ? Car c’est en général le rôle du PDG de communiquer sur une crise pour rassurer les consommateurs, ou pour éteindre un scandale. En 2013, Abercrombie & Fitch semblait coincée : l’esprit même de son PDG ne pouvait plus correspondre aux attentes du consommateur. L’absence de communication, ou plutôt la communication maladroite et peu convaincante de ce dernier, n’a fait qu’envenimer la situation. Dans ce cas précis, la seule solution de sortie de crise était peut-être le changement de PDG, et une communication claire autour de la redéfinition de l’image de marque.