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34 milliards pour l'industrie : où va l'argent ?




Vendredi 22 Novembre 2024


Chaque année, l'État français mobilise 34 milliards d'euros pour soutenir son industrie, un effort financier qui devrait, en théorie, renforcer la compétitivité et enrayer la désindustrialisation. Pourtant, la réalité des résultats est loin d'être à la hauteur de cet investissement massif. La dispersion des fonds, leur captation par des rentes fiscales et des projets peu performants, et l'absence de stratégie claire soulignent une politique industrielle mal orientée, inefficace, et dispendieuse pour les contribuables. Challenges a pu consulter un rapport de la Cour des comptes qui analyse sans concessions l’efficacité des dépenses publiques en faveur de l’industrie.



Un investissement colossal, mais dispersé

Depuis 2012, les efforts budgétaires de l'État en faveur de l'industrie ont connu une progression spectaculaire, souligne Challenges. Entre 2020 et 2022, ces dépenses ont bondi à 34,7 milliards d'euros par an, contre 21,7 milliards annuels en moyenne entre 2012 et 2019, soit une augmentation de 57 %. Sur une décennie, ce sont ainsi près de 277,7 milliards d’euros qui ont été injectés dans l’économie industrielle. Ces montants comprennent des subventions, des exonérations fiscales, des prêts bonifiés, ainsi que des prises de participation par des acteurs publics tels que l'Agence des participations de l'État (APE) et Bpifrance.

Pourtant, ces financements souffrent d’un manque de coordination. Plusieurs entités interviennent sans véritable centralisation : APE, Bpifrance, Ademe ou encore les collectivités locales, souvent dans des logiques redondantes. Ainsi, l'APE et Bpifrance se partagent des participations dans certaines entreprises comme Orange, un modèle peu optimal dénoncé par la Cour des comptes.

La dispersion des moyens est encore plus visible dans le cadre du programme France 2030, lancé en 2021, où les fonds sont répartis sur 40 priorités stratégiques, contre une vingtaine recommandée. Cet éclatement réduit l’impact potentiel des investissements et limite la capacité à soutenir des filières structurantes.

Une politique au service de rentes fiscales

Une grande partie des dépenses publiques bénéficie à des dispositifs qui favorisent des rentes plutôt que des dynamiques de transformation industrielle. Les niches fiscales et exonérations de cotisations sociales représentent entre 50 % et 66 % des enveloppes consacrées à l’industrie, mais elles ne bénéficient pas équitablement à l’ensemble des acteurs. Les grandes entreprises captent ainsi 60 % du crédit impôt recherche, un levier fiscal pourtant destiné à stimuler l’innovation. Les PME, moteur essentiel du tissu industriel français, restent sous-représentées dans ces mécanismes.

De plus, les Programmes d’investissement d’avenir (PIA), qui ont mobilisé 77 milliards d’euros depuis 2010, n'ont pas permis de générer les résultats escomptés. Les projets visant la réindustrialisation et la relocalisation ont eu un impact marginal, souvent dilués dans des projets moins prioritaires. La bataille pour attirer Tesla ou TSMC, qui ont préféré s'implanter en Allemagne, met en lumière l'incapacité française à capitaliser sur ces investissements.

Des priorités mal alignées sur les besoins de l'industrie

Les mécanismes d’évaluation et de suivi des investissements restent largement insuffisants. Contrairement au modèle américain de la DARPA, qui peut stopper net des financements inefficaces, la France peine à mettre fin aux projets non performants. Cette absence de réactivité contribue à dilapider des ressources précieuses, tout en ralentissant la transition industrielle.

Enfin, les résultats concrets sur le terrain sont faibles. Depuis 2000, la France n’a recréé que 10 % des emplois industriels perdus, signe que les politiques de relocalisation restent largement symboliques. À cela s’ajoute une faible contribution des projets innovants de rupture dans des domaines comme la recherche spatiale ou sous-marine, où les investissements manquent d’impact tangible.

François Lapierre




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