Rencontre avec Christophe Thevenot , administrateur judiciaire



Vendredi 3 Aout 2012


Christophe Thevenot est administrateur judiciaire à Paris. Ancien Président de l’Association syndicale professionnelle des administrateurs judiciaires (ASPAJ), il est également fondateur et associé du cabinet Thevenot Perdereau Manière. Fort de plus de quinze ans d’expérience dans son domaine, Christophe Thevenot revient avec nous sur les exigences d'un métier consacré au soutien des entreprises en difficulté, et la posture très singulière qu'elles impliquent.



Les CdB: le consensus est-il l’unique mode de résolution des affaires dont l’administrateur judiciaire a la charge ?

Christophe Thevenot, administrateur judiciaire
Christophe Thevenot: Pour vous répondre il convient d’expliquer brièvement les deux fonctions principales d’un administrateur judiciaire. Dans les procédures de redressement judiciaire et de sauvegarde, il assiste l’entreprise et ses dirigeants dans la gestion quotidienne, avec plus d’implication et de pouvoirs en redressement judiciaire qu’en sauvegarde et il construit avec l’équipe dirigeante le plan de redressement qu’il présentera, et soutiendra la plupart du temps, auprès du tribunal pour que celui-ci l’adopte.  Dans les procédures de prévention, dites procédures amiables dans notre jargon, l’administrateur judiciaire alors désigné mandataire ad hoc ou conciliateur est en charge du processus de négociation entre les parties. A la fois médiateur et négociateur il doit, autant que possible, établir et adapter au fil des négociations les conditions amenant les parties à conclure un accord amiable.
 
Il est donc certain que le consensus est l’unique mode de résolution des affaires amiables, alors que s’il est recherché dans les procédures collectives, voire hautement souhaitable dans les procédures de sauvegarde dans lesquelles, rappelons-le, l’entreprise se place alors qu’elle n’est pas en cessation des paiement mais anticipe des difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter, son absence conduit le tribunal à prendre une décision qui s’imposera aux parties.

Quels objectifs gardez-vous systématiquement en tête lorsque vous prenez en charge une affaire ?

Ce sont ceux que la loi nous assigne : l’intérêt de l’entreprise avant tout, c’est-à-dire la poursuite de son activité dans des conditions rentables, assurant à l’ensemble de son environnement (clients, fournisseurs, salariés…) la continuité de leur propre activité économique. L’intérêt de  l’entreprise est distinct de celui de son dirigeant et de celui de ses actionnaires, mais cela n’interdit pas qu’ils soient alignés, au contraire.

Être pragmatique, quand on est administrateur judiciaire, est-ce parfois savoir renoncer lorsque vous sentez qu'une tentative de conciliation est vouée à l'échec ?

Oui, lorsqu’on estime avoir tout essayé dans le délai qui permettait un accord amiable, il faut prendre acte de ce que les intérêts des parties ne convergent pas et en tirer les conséquences.

Parlez-nous du dossier emblématique "Cœur Défense". Il semble marqué d'une pierre blanche dans votre parcours.

Il est toujours en cours et peut encore nous réserver des surprises…! A ce jour c’est un dossier qui a fait couler beaucoup d’encre dans les milieus financiers et juridiques, avec certaines positions à l’image du caractère exceptionnel de cet immeuble puisque c’est le plus grand immeuble de bureaux d’europe (180.000m2), la plus importante transaction immobilière jamais réalisée avec un prix de 2,2 milliards d’euros en 2007 et la plus importante opération de titrisation montée à l’époque portant sur 1,65 milliards d’euros. Avec de tels enjeux, une simple rupture de covenant en raison de la défaillance de Lehman brothers le 15 septembre 2008 qui aurait du mener à une négociation amiable, a fait naître des appetits entre les deux acteurs principaux de ce dossier à l’époque qu’étaient les équipes de Lehman et celles de Goldman Sachs…

Tout ce qu’on a pu dire ou lire ensuite sur la légitimité de la procédure de sauvegarde mise en oeuvre, le respect des contrats, la morale des affaires n’ont été que prétextes pour servir les intérêts, très factuels ceux-ci et légitimes à mes yeux, de chacune des parties. Le temps aidant, il n’est pas impossible qu’un accord amiable émerge enfin, ce à quoi j’œuvre et appelle de mes vœux depuis le début de cette affaire.

Y'a-t-il des principes immuables de gouvernance dans les dossiers que vous traitez, notamment dans votre relation avec le management des entreprises ?

Ce qui caractérise notre fonction, c’est notre indépendance. Elle résulte d’un statut dont certains de nos voisins européens aimeraient disposer, en Allemagne notamment, puisqu’il interdit aux administrateurs judiciaires d’exercer une autre activité, à l‘exception de celle d’avocat ce que personnellement je ne suis pas. D’ailleurs, très peu d’administrateurs judiciaires sont inscrit à un barreau et, en tout état de cause, seuls un ou deux exercent réellement comme avocat. Ainsi nous travaillons avec le management des entreprises et leurs actionnaires avec le recul et la liberté nécessaires à l’élaboration de solutions raisonnables, ce qui n’interdit pas d’être ambitieux, dans l’intérêt de l’entreprise comme je l’ai indiqué précedemment.

Lorsque l’on nous présente une stratégie et un business plan, il faut se poser des questions simples : cela a-t-il un sens ? Les hypothèses sont-elles réalistes, documentées ? Le plan est-il cohérent ? Le plus souvent les équipes dirigeantes savent ce qu’il faut faire pour reconstruire de la rentabilité dans l’entreprise, à nous de les amener à se poser plusieurs fois les questions relatives aux moyens à mettre en œuvre, aux décisions à prendre, en leur faisant valoir un angle différent. Vous le voyez, ces échanges sont loin de l’image répandue, heureusement ancienne et qui disparaît petit à petit, selon laquelle l’administrateur prendrait sans ménagement la place du dirigeant ! Elle est d’autant plus infondée qu’à long terme c’est bien le dirigeant qui appliquera la stratégie, pas nous.

La Rédaction