Les nouveautés du marchés de l’emploi appellent les modèles managériaux à s’adapter



Lundi 19 Mars 2012


Mobilité, nouvelles technologies et précarisation conjuguées font apparaître de nouvelles formes d’emploi. Le contrat à durée indéterminée constitue toujours le modèle de relation salariale de référence, mais il concerne de moins en moins de travailleurs sur le marché du travail. Par contraste, l’émergence de profils freelance et de travailleurs indépendants est au goût du jour.



S'il constitue toujours la norme en matière d’emploi, le part du contrat à durée indéterminée dans la structure de l’emploi en France n’en reste pas moins décroissante. En effet, comme le confirment les chiffres de l’INSEE, le taux d’emploi en CDI des 15-64 ans est passé de 49,6% de la population en 2003 à 48,7% en 2011. Comme on pouvait l’imaginer, la courbe des emplois en CDI décroche consécutivement à l’année 2008, qui marque le début de la crise financière mondiale.
 
Les difficultés d’accès à un emploi stable se font particulièrement sentir, notamment chez les jeunes, dans la conjoncture actuelle. La réaction des pouvoirs publics n’est pas uniforme. On se souvient par exemple de l’intervention du Président du Conseil italien qui déclarait début février 2012: « un boulot fixe toute la vie c’est monotone et assommant »; et enjoignait et entreprises et les travailleurs à opter pour la « flexisécurité ». Un aveu de faiblesse face à la détresse des demandeurs d’emploi ? Pas si sûr …
 
En Ile-de-France, l’Association Silicon Sentier anime le premier espace de travail collaboratif – dit de « coworking » -  en France. La Cantine accueille ainsi depuis 2008 des travailleurs indépendants du milieu des NTIC et leur permet de travailler tout en partageant des locaux et un rythme de vie commun. La recette fait mouche et attire les travailleurs freelances qui n’hésitent pas à mettre la main à la poche pour venir profiter du réseau de l’association et des facilités matérielles offerte par l’association.
 
Forte des succès de Silicon Sentier et de la demande des travailleurs indépendants, la région Ile-de-France prévoit d’investir 1 million d’euros pour financer la création de ce type de lieu de travail. En France comme en Italie, les pouvoirs publics semblent avoir admis que de nouvelles formes d’emplois encore éloignés du CDI se popularisent. Les espaces collaboratifs deviennent donc progressivement des instruments de la politique publique pour favoriser le développement du travail indépendant.
 
Dans un contexte de crise économique, les travailleurs freelances incarnent l’alternative entre un CDD peu rémunérateur et le chômage pur et simple. En proposant leurs services, le temps d’un projet ou d’une mission, le travailleur freelance s’adapte à la demande réduite des entreprises dont la masse salariale sert de variable d’ajustement pour surmonter les difficultés de la conjoncture. Le travailleur freelance propose de la compétence à la carte et à usage unique.
 
La formule est profitable pour les entreprises, mais aussi pour les freelancers eux-mêmes. En effet, dans un contexte où les profils aujourd’hui valorisés par les recruteurs sont mobiles, autonomes, dotés d’expériences variées et de facultés d’adaptation, le travail en freelance constitue l’occasion notamment pour un jeune diplômé de s’illustrer comme un élément de choix. Une fois encore le travail indépendant semble être une stratégie adaptée à l’ère du temps.
 
Il ne faut toutefois pas s’y tromper : si le travail indépendant offre une grande liberté et une réelle marge de manœuvre dans la prise d’initiative, la précarité n’en reste pas moins essentielle à ce type de statut. Car un travailleur  indépendant qui ne parvient pas à identifier une demande pour son expertise se retrouve de fait instantanément au chômage. Le retour à la case départ n’est donc jamais exclu et toute l’autonomie du monde ne remplace pas la sécurité qu’offrait un CDI aux prédécesseurs du travailleurs indépendants.
 
Par ailleurs, la démocratisation du travail en freelance amène avec des questionnements qui se posent en termes managériaux pour les entreprises. En effet, si le recours aux indépendants permet aux entreprises de disposer des compétences dont elles ont besoin au bon endroit et au bon moment, cela les prive également du lien hiérarchique afférent au contrat de travail. Traditionnellement, le management d’un salarié sous contrat de longue durée s’inscrit dans le cadre d’un rapport hiérarchique et de loyauté. Chez le travailleur indépendant occasionnellement sollicité, l’attachement et le sentiment d’appartenance est au mieux résiduel. De plus, ce collaborateur, à qui l’entreprise n’offre aucune sécurité de l’emploi, n’est pas exactement dans la situation où il pourrait se sentir redevable.
 
Ainsi, privée des leviers affectifs et dans l’incapacité d’exploiter un quelconque sentiment de redevabilité, comment mobiliser efficacement le travailleur indépendant ? In fine, chaque freelance est susceptible d’être appréhendé différemment par l’entreprise et les modèles managériaux classiques pourraient bien s’avérer incapables de s’adapter à la démocratisation de cette forme de travail. L’introduction de rapports individualisés mais aussi vraisemblablement d’une forme de partenariat répété permettrait sans doute de créer – au moyen de l’échange et de la récurrence – le lien social dont est dépourvue la relation de travail minimale entre les entreprises et les travailleurs freelance. Mais de telles perspectives doivent encore être expérimentées.
 
Tant le contexte technologique que le contexte économique et social favorisent aujourd’hui le développement de nouvelles formes d’emploi. Mobiles, délocalisés, les travailleurs indépendants illustrent ces nouvelles pratiques où « travailler » ne rime pas forcément avec « bureau » ni « réseau professionnel » et « comité d’entreprise ». Le travail en freelance paraît s’adapter assez bien aux besoins actuels des entreprises qui hésitent à recruter sur le long terme en période de crise. En dépit des opportunités qu’offre le travail indépendant, il ne faut pas oublier que sa progression est corrélée à celle de la précarité et que son association aux circuits opérationnels classiques des entreprises n’est en rien évidente. Aussi stimulant soit-il sur le plan des performances et de la créativité, le travail indépendant constitue donc un nouveau défi social et managérial.

La Rédaction