Les industries de défense et le développement de produits sur fonds propres

Réussir à innover en dehors du carcan d’un cahier des charges



Mardi 6 Aout 2013


Dans le domaine industriel, les engins militaires font partie des produits les plus complexes à élaborer, du fait de contraintes de fabrication et d’usages inconnues dans les normes civiles. Obéir à un cahier des charges parfois trop ambitieux est une contrainte à laquelle se plient malgré tout bien volontiers les entreprises, car cela leur permet de faire financer la recherche et développement. Mais c’est surtout parmi les produits réalisés sur fonds propres que l’on trouve le plus d’innovations.



Les recettes du succès des produits militaires

Le CRAB, de Panhard
Il y a deux possibilités pour gagner des marchés dans le domaine de l’armement : soit vous proposez exactement le produit qu’attend le client en répondant très précisément à son cahier des charges, soit vous proposez un produit novateur, proposant des solutions que l’acheteur n’avait pas imaginé. A ces contraintes d’ordre techniques s’ajoutent naturellement des considérations politiques et diplomatiques, car les marchés de l’armement ne sont pas des marchés ordinaires. Mais cet aspect n’est pas le plus important pour un industriel, bien plus préoccupé par le fait de vaincre la réticence des opérationnels pour l’innovation et la technologie. Car pour le militaire, technologie rime avec complexité, qui ne rime pas avec fiabilité, malgré les apparences. L’essence de l’innovation pour les produits militaires repose sur ces quelques critères : facilité d’utilisation, fiabilité, efficacité. Le best-seller devra réunir ces trois conditions.

Loin de la complexité du cahier des charges d’un hélicoptère NH-90, commandé par 14 pays dans 23 versions différentes, la réalisation d’un produit sur fonds propres permet de proposer un seul produit, généralement « toutes options », à partir de laquelle seront éventuellement déclinées des sous-versions. Pour l’industriel, l’avantage réside dans la proposition d’un produit qu’il maîtrise parfaitement et dont il est capable de garantir le coût et les capacités. Hors des cahiers des charges généralement très stricts sur ce point, cela lui permet de prendre quelques risques et de proposer parfois de véritables ruptures technologiques.

A l’inverse, cela évite par exemple de se rendre compte après des années de recherches et des milliards investis que l’on n’est pas capable de réaliser le produit souhaité au prix convenu, comme dans le cas du F-35. Pour les militaires, cela signifie économiser le temps et l’argent de la R&D, sachant que les industriels conçoivent rarement un produit très éloignés des attentes des militaires, sauf exception notable des démonstrateurs technologiques. Le CRAB de Panhard, présenté pour la première fois au public lors du salon Eurosatory 2012, entre dans cette dernière catégorie : image de marque, symbole de savoir-faire, le CRAB préfigure les besoins de demain en véhicule de reconnaissance armé à haute mobilité. Néanmoins il n’est pas sûr que le contexte budgétaire actuel permette d’aller plus loin que le prototype.

Le bon produit, au bon moment

Le L-CAT, développé par CNIM
Sur les marchés de l’armement, tout est aussi affaire de timing. En développant le CAESAR sur fonds propres au début des années 1990, Nexter Systems, alors GIAT industries, anticipe sur le besoin de remplacement des automoteurs d’artillerie AUF1 vieillissants, et sur la demande pour un produit plus souple d’emploi que le canon tracté TRF1. Le résultat est un produit innovant, facile d’emploi et économe à l’usage, et qui sera particulièrement le bienvenu dans le contexte des opérations extérieures de l’armée française.

Avec le Landing Catamaran, ou L-CAT, la société CNIM fait également partie de ces industries diversifiées qui ont su proposer aux opérationnels le produit qu’il leur fallait au moment où le besoin se faisait sentir. Depuis les années 1990, la France a considérablement renouvelé sa flotte amphibie, conséquence directe de la multiplication des opérations outre-mer. Des transports de chalands de débarquement (TCD) de la classe Foudre, on en est arrivé aujourd’hui aux bâtiments de projection et de commandement (BPC). Mais ces navires ne sont qu’une moitié de l’équation amphibie, l’autre étant composée de la batellerie nécessaire à la mise à terre des hommes et du matériel. Or sur ce point, la France utilise des matériels vieux de plusieurs décennies et dont les designs de coque remontent à la seconde guerre mondiale.

Avec le L-CAT, rebaptisé engin de débarquement amphibie rapide (EDA-R) par la Marine nationale, les BPC sont désormais équipés d’une batellerie à la pointe de l’innovation. Doté d’une plate-forme centrale qui s’élève en fonction de la manœuvre, le L-CAT peut aussi bien se comporter en catamaran dans les phases de transit en pleine mer, ou en navire à fond plat lors des phases de débarquement-embarquement. Doté d’une coque en aluminium, le L-CAT est l’exemple de ces solutions innovantes que les industriels peuvent proposer pour peu qu’ils ne soient pas bridés par les opérationnels. A la fois simple d’emploi, efficace dans les missions qui lui sont confiées et économiques à l’achat comme à l’usage, le L-CAT avait tout pour réussir sur un marché pourtant étroit et soumis à la rude concurrence américaine. Ces derniers ont d’ailleurs pu apprécier les qualités de l’engin lors de manœuvres amphibies conjointes : ils ont été fort impressionnés et ont même envisagé un temps de se porter acquéreur.

A l’évidence, les industriels sont capables de proposer des produits innovants, aux coûts et à la technologie maitrisés et répondant à un besoin parfois très spécifique. Dans le contexte de budgets de défense contraints,  et hors du cadre rigide des cahiers des charges parfois irréalistes, peuvent toutefois émerger des solutions pragmatiques et pratiques qui satisferont opérationnels et responsables des crédits d’équipements. Nombre d’industriels ont déjà prouvé qu’ils peuvent faire mieux et moins cher avec moins de contraintes, pour autant que les armées formulent un besoin et soutiennent d’une manière ou d’une autre l’industrie nationale.

Maxime Medel