Le paradoxe d'Internet



Jeudi 24 Octobre 2013


L’Observatoire Géostratégique de l’Information est une revue de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) publiée sous la direction de François-Bernard Huyghe. Le numéro d’octobre 2013(1) se consacre au caractère paradoxal d’internet. La toile y est décrite tantôt comme espace de grandes opportunités, faisant progresser la démocratie, tantôt comme un monde surveillé et très mal connu.



Une architecture complexe

Après s’être intéressé à la communication de crise et à ses nouveaux paradigmes, la revue de l’IRIS dresse un bref état des lieux de la complexité d’internet, qui apparait volontiers comme un véritable champ de bataille : djihadistes, hackers de tous poils, NSA, et au milieu, l’utilisateur lambda. Cette lecture est l’occasion de s’interroger sur la transformation d’internet en lieu de tous les possibles. « L’Architecture d’internet », elle-même, comme l’explique Kavé Salamatian, est ainsi largement inspirée de l’idéologie libertaire américaine des années 70, période où elle a commencé à être pensée. Internet semble ainsi s’articuler dans une structure complexe, faite de multiples couches interagissant les unes avec les autres, ce qui explique largement sa croissance exponentielle. La flexibilité d’internet est à la fois à l’origine de l’innovation et de ses dérives, dans la mesure où il existe une certaine opacité. Devant la complexité des problématiques exposées, des postures originales sont exposées, comme celle de tout simplement assumer et accepter le risque de surveillance de nos informations privées, ou plus globalement le risque de cyberconflit.

Des enjeux géopolitiques prégnants

Mais pour l’Observatoire Géostratégique, les conséquences d’une remise en cause du monopole américain et la menace d’un éventuel processus de balkanisation d’internet seraient grandes. Jusqu’ici, l’espace, même virtuel, que constitue le web, est demeuré une chasse gardée des autorités et des services américains. Or, la fin, dans une certaine mesure, de ce monopole total, semble annoncée : après l’affaire Snowden, il a été montré au grand public qu’internet est un lieu privilégié de lutte d’influence et de domination stratégique. D’où le débat qui s’en suit actuellement, et les questions légitimes et nombreuses qui en découlent. Lentement mais sûrement, l’idée d’indépendance numérique, l’émancipation vis-à-vis des États-Unis commence à faire son chemin, notamment en Europe, mais aussi et surtout en Chine. Pour autant, on semble loin d’un retour à la notion d’État nation s’inscrivant dans l’espace internet, même si la balkanisation semble être un fait avéré, notamment pour certains pays, comme la Chine ou l’Iran, ou l’UE, qui ont en commun de vouloir s’affranchir de la dépendance américaine : machines, logiciels, noms de domaines, navigateurs…

L’anonymat, pour le meilleur et pour le pire ?

Le concept « d’anonyme », extrêmement présent dans les débats associés à internet, est également une des problématiques centrales étudiées dans ce nouveau numéro de l’Observatoire Géostratégique de l’Information. De fait, le souci d’échapper à la surveillance, d’agences publiques ou même d’entreprises, est devenu une des préoccupations majeures d’un certain nombre d’utilisateurs d’internet. La sécurisation de cet anonymat et des données, garantie notamment par le réseau TOR (The Onion Router, le routeur oignon), système employé par un grand nombre d’institutions publiques à travers le monde, a largement montré ses limites. Mais TOR, ce n’est pas que la sécurité des ambassades : ce mode de réseau semble traduire à lui seul l’avers et le revers d’internet. Il garantit par exemple l’anonymat des citoyens, des opposants politiques, mais garantit également celui de la cybercriminalité. Mais l’anonymat, plus globalement, et c’est ce que laisse entendre Daniel Ventre, qui contribue à ce numéro, soulève de très nombreuses questions : techniques, juridiques, morales… L’anonymat, accepté comme « neutre », voir comme un droit par la plupart des utilisateurs ne peut être appréhendé qu’à l’aune de la problématique de la sécurité et des multiples difficultés et intérêts que cela suppose.

Internet : un faux monnayeur ?

En outre, ce nouveau numéro de la revue nous propose un entretien particulièrement intéressant avec un « hacktiviste », qui aborde en particulier la question extrêmement sensible de la monnaie créée sur internet. Il est ainsi question du protocole Bitcoin, qui permet notamment de créer et de faire exister un véritable système monétaire parallèle sur internet, répondant par ailleurs aux impératifs de sécurité et d’anonymat de ses utilisateurs. Mais là encore, les risques existent, et les dérives toujours possibles.
 
(1) HUYGHE, F.B. (Dir), Observatoire Géostratégique de l’Information, « Zone d’ombre dans le Cyberespace ».

Adrien Morin