Le fait religieux en entreprise : comment s’exprime-t-il ?



Lundi 3 Juin 2013


La religion, selon le Larousse, représente un « ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré. ». En France, cet ensemble de pratiques spécifiques cohabite avec le principe de laïcité qu’instaure la loi de 1905 dans l’ensemble de l’espace public. Mais comment s’exprime la diversité religieuse, et comment est-elle perçue au sein des entreprises ?



La religion face au travail, une question qui mérite d’être prise en compte

Le groupe Ranstad avec l’Ofre(1) (l’Observatoire du fait religieux en entreprise) publie une étude sur la religion et sa perception dans les relations de travail. Pour ce projet, un panel de cadres, de personnels des ressources humaines et d’employés a été interrogé. Inapplicable dans le secteur public du fait de la loi de 1905, la pratique religieuse s’exprime parfois dans le secteur privé. Le respect de celle-ci est assuré par plusieurs lois, dont certaines à valeur constitutionnelle, comme c’est le cas du Préambule de la Constitution de la IVème République rappelé dans celui de la Constitution de la Vème République : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances »(2).
 
Selon l’étude, 28 % des Directeurs des ressources humaines sont confrontés à des questions liées aux pratiques religieuses au travail(3), ce qui représente à la fois les questions d’ordre pratique et les problématiques qui peuvent y être liées. Pourtant il existe un ressenti global sur le sujet qui montre que 41 % des interrogés travaillant dans le secteur des ressources humaines pensent que la question du fait religieux va devenir plus importante dans les années à venir. Par ailleurs, plus de 70 % des personnes interrogées souhaitent que l’entreprise soit précise sur les questions de religion. Pour les managers de terrain, 80 % indiquent ne pas ressentir de malaise face à cette question, tandis que 42 % avouent que celle-ci a une incidence sur leur façon de procéder lorsqu'ils y sont confrontés.
 
Toutefois, 68 % des personnes sondées ne connaissent pas, ou seulement de manière parcellaire, l’orientation religieuse de leurs collègues de travail.

Les répercussions du fait religieux en entreprise

Les pratiques religieuses peuvent influer sur la manière de travailler et les « DRH sont de fait placés en première ligne face à ces questions qui renvoient à des demandes d’évolution de l’organisation du travail (à travers les horaires, les conditions de travail) et qui influent nécessairement sur la performance individuelle et collective ». Ces demandes particulières peuvent ainsi mener à des « conflits au sein du groupe de travail »(4). Parmi les problèmes, on peut dégager celui de refuser de travailler sous les ordres d’une femme ou la dérogation aux horaires de pause déjeuner, ou encore le port de signes religieux ostentatoires. Certes, peu de cas débouchent sur des situations crisogènes (seulement 6 %), et ces complications émergent pour la plupart lorsqu’il existe des difficultés de fonctionnement au niveau managérial ou organisationnel. Ce qui a pour conséquence d’attiser les problèmes interpersonnels. En outre, seulement 5 % des personnes interrogées pensent que la pratique religieuse a un impact négatif sur le travail.
 
Toutefois, il existe une problématique paradoxale propre à l’application de la laïcité. Celle-ci « est souvent vue par les pratiquants comme un principe se définissant contre la religion et inversement la religion est souvent regardé comme incompatible avec la laïcité par les personnes se définissant comme des “laïcs engagés” »(5).

La perspective d’une loi

 
L’adoption d’une loi pourrait-elle venir à bout de ces quelques dissensions ? Pour l’heure, la jurisprudence est notamment établie par une décision de la Halde (6 avril 2009) qui a confirmé que « le principe de laïcité s’impose à l’État et aux intervenants publics, et non aux personnes privées. […] Les salariés du secteur privé sont eux régis par le principe de liberté de conscience inscrit dans la Constitution »(6). Ainsi, aucune restriction sur le principe de laïcité ne peut être invoquée à l’encontre d’une pratique religieuse en entreprise. Mais existe-t-il des limites à l’exercice de celle-ci ? En réalité, on peut en compter six : « la revendication de la religion ne doit pas entraver des aptitudes pour le travail, l’organisation de la mission, l’intérêt commercial de l’entreprise [et] le respect des règles de sécurité et d’hygiène doit pouvoir être assuré, et le prosélytisme est également interdit sur son lieu de travail »(7).
 
Une large majorité des personnes interrogées au sein de l’enquête pensent qu’une loi sur le sujet serait soit dommageable, soit n’aurait aucune utilité (c’est le cas pour 55 % des responsables RH, 75 % des managers de terrain et 50 % des employés).
 
Toutefois, pour 34 % des sondés, la règle qui est de vigueur dans les services publics devrait être appliquée dans l’ensemble des entreprises privées. Pour autant, 66 % pensent qu’un encadrement par la loi n’est pas nécessaire, si le fait religieux reste discret.



(1) Chaire de l’Institut d’Études de Sciences Politiques de Rennes.
 
(2) http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946.5077.html
 
(3) Communiqué disponible à l’adresse suivante : http://www.grouperandstad.fr/files/img_grf/pdf/CP%20Fait%20religieux.pdf
 
(4) Géraldine Galindo et Joëlle Surply « Quelles régulations du fait religieux en entreprise ? », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels 40/2010 (Vol. XVI).
 
(5) http://www.grouperandstad.fr/files/img_grf/pdf/CP%20Fait%20religieux.pdf

(6) Géraldine Galindo et Joëlle Surply « Quelles régulations du fait religieux en entreprise ? », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels 40/2010 (Vol. XVI).
 
(7) Ibidem.

Arthur Fournier