Par Tamym Abdessemed, Directeur Académique et de la Recherche d'ICN Business School
Depuis quelques années, l’enseignement supérieur au management français est en bouleversement profond, et il semble que le phénomène s’accélère résolument depuis deux ou trois années … Mise en route de fusions importantes entre Ecoles, absorptions d’Ecoles ou de programmes notamment bachelors, des recompositions, des déclassements d’Ecole par pertes d’accréditations nationales ou internationales. Rien ne sera donc plus comme avant et c’est peu de le dire !
L’enseignement du management sous forte pression concurrentielle
Il semble en effet que le sage et protégé système des écoles de commerce franco-françaises fortement territorialisé, à dominante consulaire, s’est littéralement emballé par sa confrontation externe aux référentiels internationaux mais aussi en raison de sa dynamique concurrentielle propre. Après une dizaine d’années d’ascension collective des Ecoles de management françaises (rappelons-nous le FT titrant il y a quelques années « French domination » en évoquant les Masters pré-expérience en management, domination plus relative aujourd’hui du reste) et d’internationalisation rapide par l’obtention des accréditations internationales pour lesquelles elles étaient peut-être les moins préparées, les institutions semblent anticiper une concurrence exacerbée qui les poussent à agir tous azimuts.
La France, après une décennie de réformes, de fusions universitaires, et d’ouverture de ses écoles aux standards internationaux, serait-elle devenue championne du changement, malgré la réputation conservatrice qu’on lui prête volontiers ?
La France, après une décennie de réformes, de fusions universitaires, et d’ouverture de ses écoles aux standards internationaux, serait-elle devenue championne du changement, malgré la réputation conservatrice qu’on lui prête volontiers ?
Une course à la taille désormais engagée … mais avec quelle performance ?
Les économistes industriels et les stratèges nous enseignent que dans un oligopole, lorsque la pression concurrentielle s’accroît, lorsque le secteur présente un fort mouvement de globalisation, et lorsqu’il est à forte intensité capitalistique (investissements, marque, …), alors immanquablement on observe un mouvement de concentration intense avec un effet boule de neige relativement rapide et prévisible, parfois un peu abusivement assimilé à du mimétisme. Le secteur de la formation supérieure au management serait-il donc une « industrie » comme une autre ? Nos Ecoles sont-elles devenues des entreprises éducatives conduites par des actionnaires comme les autres ? Derrière cette question, en filigrane, se pose celle de savoir s’il y a un lien entre la taille des institutions et leur compétitivité, et ce débat en induit immédiatement un autre sur les critères de performance eux-mêmes.
Mais donner une définition à la performance dans un secteur aussi complexe que celui de l’éducation n’est pas aisé : empruntant au bien public comme au service marchand, présentant aussi la particularité que ses « clients » sont à la fois les recruteurs et les formés, sa complexité se retrouve dans des « business models » mêlant toutes les lignes de financement possibles (consulaires, publics, privés, entreprises, fondations, anciens, réponse à des appels d’offre, ….). L’impératif de maîtrise budgétaire se conjugue à des critères d’excellence académique devenus précis et à des classements (rankings) puissants et influents faisant émerger des critères dominants. Si la taille peut indéniablement conférer une consistante dans une activité de matière grise (rappelons-nous qu’il y a vingt ans, certaines Ecoles avaient 15 à 20 professeurs permanents !), elle n’est sans soulever un certain nombre de questions difficiles parce qu’aux réponses assez ambivalentes.
Mais donner une définition à la performance dans un secteur aussi complexe que celui de l’éducation n’est pas aisé : empruntant au bien public comme au service marchand, présentant aussi la particularité que ses « clients » sont à la fois les recruteurs et les formés, sa complexité se retrouve dans des « business models » mêlant toutes les lignes de financement possibles (consulaires, publics, privés, entreprises, fondations, anciens, réponse à des appels d’offre, ….). L’impératif de maîtrise budgétaire se conjugue à des critères d’excellence académique devenus précis et à des classements (rankings) puissants et influents faisant émerger des critères dominants. Si la taille peut indéniablement conférer une consistante dans une activité de matière grise (rappelons-nous qu’il y a vingt ans, certaines Ecoles avaient 15 à 20 professeurs permanents !), elle n’est sans soulever un certain nombre de questions difficiles parce qu’aux réponses assez ambivalentes.
Un secteur en quête de nouveaux équilibres …
Comment conjuguer taille et qualité et renouveler la promesse du modèle Grande Ecole assise sur des petites séries sur-encadrées et animées d’esprit de corps ? Voici, par exemple, une question majeure, d’autant que le risque pour les établissements est d’être « stuck in the middle » ? Mais ce n’est pas la seule. Existe-t-il vraiment des économies d’échelle en matière d’enseignement et de recherche ? Il s’agit là d’une interrogation fondamentale, dont la réponse est incertaine à l’heure où les contenus seront certainement de plus en plus en dématérialisés, tandis que la demande pour des modalités d’encadrement renforcées et quasi-individualisées est de plus en plus forte. A cet égard, il y une certaine distance entre la mise à disposition des contenus qui peut paraître simple en raison de la révolution des NTIC et la mise en apprentissage qui va devoir se raffiner dans les années à venir.
Est-il possible de croître sans désolidariser enseignement et recherche, et avec quels risques ? Comment conjuguer taille, territorialité et même identité pour des institutions de plus en plus challengées sur leur contribution directe au développement économique et territorial et leur inscription dans le(s) territoire(s) ? Comment peser dans un marché de marque indiscutablement quand certaines institutions françaises ont changé en dix ans trois fois de noms, ce qui tranche avec la permanence d’un HEC Paris vieux de 130 ans et qui a crû beaucoup dans sa réputation, peu dans ses effectifs hors Executive education, à l’instar de certains leaders mondiaux historiques plus gigantesques par leur intensité critique par leur taille !
La façon de répondre à ces challenges ne peut, en toute vraisemblance, être la même pour chaque Ecole. S’il est certain qu’on ne peut d’un revers de main le balayer, il est probable que le facteur « taille » ne jouera pas automatiquement et en aucun cas pour toutes les institutions se réclamant d’une envergure mondiale, par la simple consolidation de leurs chiffres. Tout dépendra du groupe stratégique dans lequel on se trouvera et tout dépendra aussi du projet institutionnel et académique derrière lequel se cristallisera la croissance (la mission et la vision), sans compter le projet managérial qui en est le corollaire.
Après avoir découvert la stratégie il y a quelques années, les établissements supérieurs français de formation en management devront aujourd’hui, à n’en pas douter, réinventer leur gouvernance et paramétrer leur mode de gestion d’activités dispersées nationalement et internationalement. C’est un défi managérial sans précédent qui implique de nouveaux métiers, de nouvelles organisations, de nouvelles routines, en somme une chaîne de valeur à imaginer et à reconfigurer.
Est-il possible de croître sans désolidariser enseignement et recherche, et avec quels risques ? Comment conjuguer taille, territorialité et même identité pour des institutions de plus en plus challengées sur leur contribution directe au développement économique et territorial et leur inscription dans le(s) territoire(s) ? Comment peser dans un marché de marque indiscutablement quand certaines institutions françaises ont changé en dix ans trois fois de noms, ce qui tranche avec la permanence d’un HEC Paris vieux de 130 ans et qui a crû beaucoup dans sa réputation, peu dans ses effectifs hors Executive education, à l’instar de certains leaders mondiaux historiques plus gigantesques par leur intensité critique par leur taille !
La façon de répondre à ces challenges ne peut, en toute vraisemblance, être la même pour chaque Ecole. S’il est certain qu’on ne peut d’un revers de main le balayer, il est probable que le facteur « taille » ne jouera pas automatiquement et en aucun cas pour toutes les institutions se réclamant d’une envergure mondiale, par la simple consolidation de leurs chiffres. Tout dépendra du groupe stratégique dans lequel on se trouvera et tout dépendra aussi du projet institutionnel et académique derrière lequel se cristallisera la croissance (la mission et la vision), sans compter le projet managérial qui en est le corollaire.
Après avoir découvert la stratégie il y a quelques années, les établissements supérieurs français de formation en management devront aujourd’hui, à n’en pas douter, réinventer leur gouvernance et paramétrer leur mode de gestion d’activités dispersées nationalement et internationalement. C’est un défi managérial sans précédent qui implique de nouveaux métiers, de nouvelles organisations, de nouvelles routines, en somme une chaîne de valeur à imaginer et à reconfigurer.
A propos de l'auteur
Tamym ABDESSEMED est Directeur académique et de la recherche d’ICN Business School où il enseigne aussi le management stratégique. Membre du CEREFIGE et de son bureau, il a notamment la charge de la communication de ce laboratoire lorrain en science de gestion. Il est par ailleurs vice-président du groupe de travail « recherche » du Chapitre des Écoles de management de la Conférence des Grandes Écoles. Il dirige également le Ph.D Universa d’Ecricome.