La fin du dollar est-elle programmée ?



Lundi 17 Septembre 2012


En mai 2012, la Chine utilisait sa monnaie nationale pour acheter du pétrole iranien. L’évènement pourrait paraître anodin, mais il illustre bel et bien la capacité du yuan à faire concurrence au dollar sur le marché pétrolier. Cette concurrence, bien que timide à l’heure actuelle, n’en soulève pas moins quelques questions. Si elle s’intensifiait, elle pourrait en effet avoir des conséquences économiques et diplomatiques considérables, car le dollar est bien l’un des piliers de la puissance américaine.



Monnaie internationale par excellence, le dollar est la devise de référence sur les marchés mondiaux depuis plus de 70 ans. De fait, le dollar a su conserver sa place dominante sur le marché de change, et ce malgré la fin des accords de Bretton Woods qui en officialisaient le statut d’étalon indexé sur l’or. Ainsi, c’est notamment en raison de son utilisation généralisée sur les marchés internationaux des matières premières, et particulièrement celui du pétrole, que le dollar continue d’être la principale valeur de réserve aujourd’hui. Le statut du dollar est donc intimement lié aux pratiques qui régissent les marchés pétroliers internationaux.
 
À l’heure actuelle, la place du dollar n’est pas menacée. Depuis le début de l’année 2012 pourtant, certains évènements d’actualités ont laissé envisager comment pourraient intervenir des changements radicaux dans la structure même de l’économie internationale. En mai 2012 notamment, la Chine achetait du pétrole à l’Iran à l’aide de sa propre monnaie. Les producteurs iraniens, soumis à embargo américain, avaient en effet accepté volontiers d’être payés en yuan en échange de leur matière première. Il s’agissait alors d’une première ; c’était aussi un évènement à la portée illustrative tout à fait révélatrice.
 
À la même époque en effet, la diplomatie américaine faisait savoir son intention de soumettre l’Iran à des sanctions économiques destinées à lui faire faire machine arrière sur son programme nucléaire. Les États-Unis tentaient alors de rallier la Chine à ce projet, mais cette dernière, en procédant à cette transaction, illustrait alors avec clarté son indifférence aux considérations américaines. L’embargo mondial voulu par les États-Unis s’est d’ailleurs concrétisé a minima, sous la forme d’un embargo occidental entré en vigueur le 1er juillet 2012. Avec cette performance diplomatique en dessous des espérances, le gouvernement américain faisait donc aveu d’une relative impuissance face à la Chine.
 
Pour une puissance d’une taille et d’une population continentale comme la Chine, faire de sa monnaie nationale une devise capable de rivaliser ou de remplacer le dollar est un objectif naturel. Il y a fort à parier pour que le précédent de mai 2012 se reproduise à l’avenir, avec l’Iran bien sûr, mais peut être aussi avec d’autres fournisseurs, et ce au grand dam des positions américaines. Bien que tout à fait hypothétique, cette perspective invite à réfléchir sur les conséquences qu’aurait la déchéance du dollar temps que monnaie de référence du fait de la concurrence d’une autre devise.
 
Le statut dominant du dollar n’est en effet rien de moins qu’un des principaux piliers de la puissance américaine. C’est par exemple l’utilisation mondiale de sa monnaie qui confère par exemple aux États-Unis un pouvoir d’achat international structurellement fort ; la demande mondiale de dollar américain étant constante, le cours de celui demeure en effet élevé par rapport à celui de toutes les autres monnaies qui servent à l’acheter. Ce pouvoir d’achat permet aux États-Unis pour importer à moindres coûts, financer sa recherche ou encore soulager occasionnellement la pression fiscale quand cela est nécessaire. La déchéance du dollar ferait donc perdre aux États-Unis une grande flexibilité de gestion de son économie, laquelle contribue bien évidemment à renforcer l’exceptionnelle avance de ce pays dans la compétition mondiale.
 
Au-delà de la dimension économique, l’hégémonie du dollar sur les marchés mondiaux confère également aux États-Unis une force diplomatique inégalée. L’utilisation de sa monnaie nationale sur les marchés internationaux octroie aux États-Unis un important pouvoir de pression sur l’ensemble des nations de ce monde. Celles-ci dépendent en effet de leur réserve en dollar pour commercer. Ne plus en avoir revient donc à ne plus être capable d’acheter sur le marché ou alors de le faire avec beaucoup de difficulté. Mais sur les marchés où le dollar n’a plus cours, le pouvoir diplomatique américain se trouve mécaniquement amoindri ; ce que l’exemple iranien de mai 2012 illustre parfaitement.
 
La puissance américaine repose pour beaucoup sur sa monnaie. Celle-ci présente la particularité d’être utilisée par la plupart des nations de ce monde pour commercer sur des marchés stratégiques comme celui des ressources pétrolières. Confortablement installé sur les marchés internationaux, le dollar pourrait voir sa place remise en cause sous l’effet de l’émergence de la Chine et du yuan. À l’occasion d’une transaction pétrolière avec l’Iran en mai 2012, la Chine l’a en effet illustré. Le dollar est aujourd’hui bien loin de se trouver réellement menacé par le yuan chinois. Il pourrait en aller différemment toutefois dans quelques dizaines d’années. À la faveur de l’ouverture commerciale de la Chine et du plein développement de son potentiel d’exportation et d’importation, l’utilité du yuan sur les marchés internationaux pourrait croître au détriment significatif de celle du dollar. Les conséquences d’un tel changement ne seraient alors pas qu’économiques. Elles prendraient en effet une dimension politique internationale en affaiblissant directement la puissance américaine. En définitive, il se joue bien plus que l’accès aux ressources énergétiques sur les marchés mondiaux de matières premières et si l’argent est le nerf de la guerre le pétrole semble aujourd’hui continuer d’être celui d’une bonne partie de l’Histoire.

Arthur Fournier