Olivier Meier est Professeur des Universités, HDR (Classe exceptionnelle), directeur de… En savoir plus sur cet auteur

La dimension psychologique de la transmission



Mercredi 5 Juin 2013




Transmettre son activité constitue l’un des enjeux cruciaux des entreprises familiales .En effet, dans ce type de situation, a fortiori quand l’entreprise est reprise par un tiers, l’ancien dirigeant peut montrer une certaine fébrilité à mener à bien le transfert de propriété.
Cette ambivalence apparaît le plus souvent dans le décalage qui existe entre les propos énoncés et les actes. Elle se traduit par un manque de préparation et l’absence d’un calendrier crédible et réaliste. L’explication souvent avancée réside dans la difficulté à faire le « deuil » de son entreprise et donc à franchir le pas de la transmission.
 
Nos recherches font état de plusieurs facteurs psychologiques et socio-culturels qui peuvent conduire un dirigeant cédant, en dépit de l’intérêt économique de la transmission, à adopter une attitude ambivalente vis-à-vis de son successeur.
 
Le premier tient au risque de perdre une partie de son pouvoir. Quand on a dirigé une activité pendant plusieurs décennies, il n’est pas facile d’admettre que l’entreprise puisse être gérée par d’autres personnes. Admettre un successeur, c’est officialiser que la présence de l’ancien dirigeant n’était pas indispensable.
Diriger une entreprise, c’est également disposer d’une légitimité sociale et professionnelle que la cession vient remettre en cause brutalement. Cette situation est d’autant plus forte dans les organisations familiales. En effet, la succession a des répercussions aussi bien dans le système famille (redistribution des rôles au sein de la cellule familiale) que dans le système-entreprise où la cession peut être vécue comme une rupture du contrat psychologique.
 
Sur un plan plus personnel, la transmission d’une entreprise familiale par un tiers peut aussi être vécue comme une perte de repère et de sens. Tout dirigeant, en particulier lorsqu’il est le fondateur, a consacré une part importante de sa vie à la création et au développement de sa société. Cet investissement lui a ainsi donné des priorités et permis de guider sa vie. Durant cette période, il a donc été amené à se créer un référentiel à partir duquel il a agi et interagi. L’abandon de son entreprise peut donc constituer, pour lui, une forme de traumatisme, en lui ôtant sa justification et l’une de ses raisons de vivre.
Le dirigeant cédant va, du jour au lendemain, subir une modification profonde de ses habitudes, de son rythme de travail mais également de sa relation avec les autres. La décision de transmettre son entreprise marque une rupture temporelle qui peut être vécue comme la « fin d’une époque », « l’achèvement d’une vie ». Il peut donc arriver que le cédant ait la volonté plus ou moins affirmée de différer une action qui conduira à s’interroger nécessairement sur « ce qu’on a fait » et sur « ce qu’on fera ». 
 
Bien comprendre le contexte psychologique de l’opération et les logiques comportementales sous-jacentes sont donc un moyen de mieux cerner les risques de la transmission, au delà des aspects économiques et juridiques. Ceci permet d’éviter des incompréhensions et des résistances, dont les effets peuvent se faire ressentir, bien après la transmission. Cet aspect est d’autant plus crucial que l’ambivalence de l’ancien dirigeant durant la période de « cohabitation » ne permet pas toujours d’apprécier les risques encourus pour l’entreprise et le futur repreneur.