La France des game changers

Ou l'optimisme, pierre angulaire d'une vision stratégique



Jeudi 29 Aout 2013


Les game changers, ce sont ces entreprises capables d’inventer ou réinventer un produit ou un marché, et de s’y installer en leader. Si l’on entend beaucoup parler des Apple ou autres Amazon, la France aussi peut compter sur des entrepreneurs qui parviennent à donner corps à leur vision stratégique pour créer leurs propres règles du jeu dans un environnement parfois très concurrentiel. Portraits de quelques-uns de ces game changers… à la française.



Le plus célèbre des game changers français

Le premier nom qui viendra à l’esprit de beaucoup quand on évoque les entreprises françaises qui ont transformé un marché est celui de Free. La société de Xavier Niel est en effet coutumière des bousculements de marché – c’est d’ailleurs là l’un des éléments importants de son identité, renforcée à grands coups d’annonces médiatiques tonitruantes. En 2002, Free lance sa Freebox, le premier boîtier multiservices triple play, qu’elle propose à un tarif inférieur d’un tiers par rapport aux autres fournisseurs d’accès. Un changement de règles que les consommateurs ont rapidement adopté, faisant de l’entreprise un acteur majeur du secteur : elle compterait à ce jour autour de 5 millions d’abonnés haut débit.

Dix ans plus tard, c’est le terrain de la téléphonie mobile que Free veut révolutionner, avec son offre Free Mobile. Encore une fois, c’est sur les fronts du modèle (dissocier l’abonnement du terminal) et du prix (avec une offre 50% moins chère que les plus économiques de l’époque) que Free attaque... pour imposer ses propres règles au marché, et aux concurrents.
© talitha - Fotolia.com

Repenser les règles d’un marché en pleine mutation

Dans les années 2000, l’industrie du disque est en plein marasme. Les ventes de supports physiques s’effondrent (près de 20% de recul en France en 2007), alors que la musique en ligne, gangrénée par les problèmes de piratage, ne parvient pas à trouver un modèle économique viable. C’est dans ce contexte, en 2007, qu’apparaît Deezer, qui propose une offre d’écoute de musique en ligne gratuite et légale basée sur la technologie du streaming.

Mais le tout gratuit ne permet pas à l’entreprise de faire face aux coûts de rémunération des ayants-droit. Elle lance donc en 2009 son offre premium, un abonnement mensuel qui permet d’écouter son catalogue de 20 millions de titres en illimité. Deezer contribue à l’émergence d’un nouveau modèle de consommation de la musique, en y apportant ses spécificités : le principe de l’abonnement, les partenariats avec des opérateurs mobiles ou des banques pour capter de nouveaux clients, la mise en avant de choix éditoriaux, la musique communautaire.

Conscient d’être un acteur essentiel dans la conception de ce nouveau marché, Simon Baldeyrou, le directeur général de Deezer, affirme : « C’est notre rôle que d’inventer ce nouveau disquaire dématérialisé, mais certainement pas désincarné, du XXIe siècle ».  Une position de « maître du jeu » somme toute, qui n’a pas échappé au marché : Deezer est numéro 1 du streaming en France, numéro 2 au niveau mondial, et peut revendiquer 2 millions d’abonnés payants pour un chiffre d’affaires 2012 de 65 millions d’euros.

Les industriels aussi savent s’ouvrir des terrains de jeux à fort potentiel

Le monde industriel français compte aussi ses propres game changers. En s’installant sur un terrain judicieusement choisi pour l’occuper pleinement, certains connaissent de belles réussites. C’est le cas de Delta Dore, une entreprise spécialisée dans le pilotage pour la maîtrise des consommations d’énergie et du confort dans le bâtiment. Le secret de sa réussite ? Une hyperspécialisation stratégique dans les systèmes de pilotage domotique, avec notamment leurs très reconnus micromodules qui s’adaptent à tous les équipements déjà existants.

Lorsque l’on interroge Marcel Torrents, le président du directoire de Delta Dore, sur ce qui explique la réussite de cette entreprise de taille intermédiaire sur le secteur hyperconcurrentiel de l’efficacité énergétique, il répond : « Peut-être parce que nous ne faisons que ça ! Et depuis longtemps. Notre expertise dans les solutions d’efficacité énergétique est reconnue  […] Aujourd’hui, on se refuse à faire autre chose que du pilotage : c’est un positionnement stratégique ». Et Delta Dore tient les rênes sur ce terrain de jeu qu’elle a finalement inventé : en 2012 elle a signé  une convention de partenariat avec EDF sur le pilotage des énergies dans le bâtiment, et en 2013 elle a remporté dans son secteur un important contrat… à Singapour. Le tout en affichant une croissance de plus 50% sur ces 4 dernières années, pourtant en pleine période de crise.

« Don’t just play the game – change the game »

Dans un article paru sur Forbes à propos des games changers, Myke Myatt résume de façon directe : « Don’t just play the game – change the game ». Une façon d’affirmer que les game changers sont finalement les entreprises proactives, celles qui créent de nouveaux modèles économiques, dénichent ou créent les nouveaux besoins, ou encore investissent des segments dont elles définissent les règles car elles savent y imposer des standards de qualité et de performance élevés. Or, ne dit-on pas des Français, dans l'univers du rugby, qu’ils sont imprévisibles ?

La Rédaction