L’observation fait désormais consensus : chacun sait que la créativité est une affaire collective. En effet, c’est en confrontant leurs idées, en échangeant leurs expériences, en mutualisant leurs connaissances et en unissant leurs compétences que les hommes et les femmes stimulent leur créativité. Si bien qu’à l’instar de Lynda Gratton, professeur de management à la London Business School, tous les dirigeants et les managers savent que « sans un certain degré de culture collaborative, l'innovation est improbable »(1).
Photo : http://www.freedigitalphotos.net
La créativité, une affaire de management
La plupart des entreprises veillent donc à mettre en œuvre un style de management propice à la créativité car elles ont compris que le terreau de la créativité, c’est un environnement humain qui permet l’initiative, dédramatise la confrontation et reconnaît le droit à l’erreur. Des conditions en dehors desquelles l’échec est assuré, comme l’a démontré, voici plusieurs années, une étude publiée par l’Academy of Management Journal par des experts en management de l’innovation(2).
En l’espèce, Rahul Kappor et Kwang Hui Lim se sont penchés sur les brevets déposés par 318 chercheurs dont les 50 entreprises d’origine avaient été absorbées par une plus grosse structure. Les données qu’ils ont recueillies permettent de constater qu’en matière d’innovation, le vampirisme ne paie pas. En effet, après l’acquisition, le nombre moyen de brevets déposés par ces chercheurs a chuté fortement pour s’aligner sur le rythme de dépôt habituel de leur nouvelle firme.
Ces observations viennent donc confirmer que la propension d’une entreprise à innover ne repose pas exclusivement sur les moyens financiers consentis ni sur la maîtrise technique des chercheurs. Bien sûr, ces ingrédients sont importants. Mais, comme le souligne Armand Hatchuel, professeur à l’École des Mines, l’essentiel n’est pas là. « La capacité à innover, écrit-il, révèle aussi la qualité du management de l’entreprise. Management qui ne doit pas être entendu comme le seul talent des dirigeants, mais comme un métabolisme collectif construit au fil des innovations, nourri d’apprentissages techniques et commerciaux, forgé de reconnaissances mutuelles entre les acteurs(3). »
La plupart des entreprises veillent donc à mettre en œuvre un style de management propice à la créativité car elles ont compris que le terreau de la créativité, c’est un environnement humain qui permet l’initiative, dédramatise la confrontation et reconnaît le droit à l’erreur. Des conditions en dehors desquelles l’échec est assuré, comme l’a démontré, voici plusieurs années, une étude publiée par l’Academy of Management Journal par des experts en management de l’innovation(2).
En l’espèce, Rahul Kappor et Kwang Hui Lim se sont penchés sur les brevets déposés par 318 chercheurs dont les 50 entreprises d’origine avaient été absorbées par une plus grosse structure. Les données qu’ils ont recueillies permettent de constater qu’en matière d’innovation, le vampirisme ne paie pas. En effet, après l’acquisition, le nombre moyen de brevets déposés par ces chercheurs a chuté fortement pour s’aligner sur le rythme de dépôt habituel de leur nouvelle firme.
Ces observations viennent donc confirmer que la propension d’une entreprise à innover ne repose pas exclusivement sur les moyens financiers consentis ni sur la maîtrise technique des chercheurs. Bien sûr, ces ingrédients sont importants. Mais, comme le souligne Armand Hatchuel, professeur à l’École des Mines, l’essentiel n’est pas là. « La capacité à innover, écrit-il, révèle aussi la qualité du management de l’entreprise. Management qui ne doit pas être entendu comme le seul talent des dirigeants, mais comme un métabolisme collectif construit au fil des innovations, nourri d’apprentissages techniques et commerciaux, forgé de reconnaissances mutuelles entre les acteurs(3). »
L’échec de l’Ornithorynque de Mattel
Une autre expérience permet d’approfondir ce constat. Elle fut menée par le fabricant de jouets Mattel qui lui donna astucieusement le nom de « Projet Ornithorynque » pour souligner qu’il s’agissait de multiplier les échanges d’idées, y compris les plus improbables(4). Comme l’explique Tim Brown, expert en design d’entreprise, elle consistait à réunir pendant trois mois en un lieu unique des responsables issus des différentes divisions de l’entreprise pour donner naissance à des produits innovants capables de séduire les nouvelles générations.
Les dirigeants avaient mis l’accent sur la volonté de mettre fin au cloisonnement des compétences, estimant à raison que l’innovation n’est pas l’apanage des seuls membres attitrés de la R&D. « De fait, l’expérience offrait un échantillonnage d’espèces assez varié : les fonctions finance, marketing, ingénierie et design étaient représentées. L’unique obligation faite aux participants était de s’engager à temps plein pendant trois mois », souligne Tim Brown.
Durant toute cette période, le pari sembla gagné : les participants élaborèrent en effet « plusieurs pistes de jeux destinés aux filles qui devaient aboutir à la création de concepts originaux ». Mieux, “ainsi que l’avait prévu l’initiatrice du projet, de nombreux participants regagnèrent leur division d’origine décidés à mettre en œuvre les principes et les pratiques acquis pendant l’expérience » Hélas, il n’en fut rien… De retour à leurs postes habituels, les participants se retrouvèrent, en effet, plongés dans des services englués dans la routine, si bien que “certains en retirèrent un immense sentiment de frustration et que d’autres finirent même par quitter l’entreprise”.
Une autre expérience permet d’approfondir ce constat. Elle fut menée par le fabricant de jouets Mattel qui lui donna astucieusement le nom de « Projet Ornithorynque » pour souligner qu’il s’agissait de multiplier les échanges d’idées, y compris les plus improbables(4). Comme l’explique Tim Brown, expert en design d’entreprise, elle consistait à réunir pendant trois mois en un lieu unique des responsables issus des différentes divisions de l’entreprise pour donner naissance à des produits innovants capables de séduire les nouvelles générations.
Les dirigeants avaient mis l’accent sur la volonté de mettre fin au cloisonnement des compétences, estimant à raison que l’innovation n’est pas l’apanage des seuls membres attitrés de la R&D. « De fait, l’expérience offrait un échantillonnage d’espèces assez varié : les fonctions finance, marketing, ingénierie et design étaient représentées. L’unique obligation faite aux participants était de s’engager à temps plein pendant trois mois », souligne Tim Brown.
Durant toute cette période, le pari sembla gagné : les participants élaborèrent en effet « plusieurs pistes de jeux destinés aux filles qui devaient aboutir à la création de concepts originaux ». Mieux, “ainsi que l’avait prévu l’initiatrice du projet, de nombreux participants regagnèrent leur division d’origine décidés à mettre en œuvre les principes et les pratiques acquis pendant l’expérience » Hélas, il n’en fut rien… De retour à leurs postes habituels, les participants se retrouvèrent, en effet, plongés dans des services englués dans la routine, si bien que “certains en retirèrent un immense sentiment de frustration et que d’autres finirent même par quitter l’entreprise”.
Inscrire la créativité dans l’ADN de l’organisation
Faut-il conclure de ces échecs que la créativité et l’innovation seraient par nature des phénomènes insaisissables naissant d’une alchimie mystérieuse où la chance et le hasard tiennent la plus grande place ? Tout au contraire ! Pour les experts, ils démontrent plutôt que la créativité ne peut résulter de coups. Pour éclore, elle doit être inscrite dans l’ADN même de l’entreprise.
Une façon de faire assurément ambitieuse mais toutefois mise en œuvre avec succès par un certain nombre d’entreprises pionnières, telles que Cisco en Amérique du Nord, HCLTechnologies en Inde ou Cofely Ineo en Europe. Leur point commun ? Avoir donné naissance à des modèles organisationnels spécifiquement pensés pour favoriser l’innovation et la créativité de tous.
Les dirigeants de ces sociétés partagent en effet une conviction : la créativité - avec son lot d’innovations, de ruptures, de changements - naît plus volontiers à la base de l’organisation qu’au sommet parce que, comme l’écrit Vineet Nayaar, patron de HCL Technologies, « la plupart des salariés savent très exactement ce qui ne va pas dans l’entreprise, parfois même avant la direction »(5). D’où le conseil de ce patron indien : « En tant que dirigeant ou manager, il faut arrêter de se considérer comme la seule source de changement. […] Au contraire, il faut envisager les autres comme une source de changement » car « c’est la meilleure manière de commencer à créer une entreprise où les employés ont le sentiment d’être aux commandes, au sein de laquelle ils s’épanouissent, concentrés sur le changement et l’innovation. »
Faut-il conclure de ces échecs que la créativité et l’innovation seraient par nature des phénomènes insaisissables naissant d’une alchimie mystérieuse où la chance et le hasard tiennent la plus grande place ? Tout au contraire ! Pour les experts, ils démontrent plutôt que la créativité ne peut résulter de coups. Pour éclore, elle doit être inscrite dans l’ADN même de l’entreprise.
Une façon de faire assurément ambitieuse mais toutefois mise en œuvre avec succès par un certain nombre d’entreprises pionnières, telles que Cisco en Amérique du Nord, HCLTechnologies en Inde ou Cofely Ineo en Europe. Leur point commun ? Avoir donné naissance à des modèles organisationnels spécifiquement pensés pour favoriser l’innovation et la créativité de tous.
Les dirigeants de ces sociétés partagent en effet une conviction : la créativité - avec son lot d’innovations, de ruptures, de changements - naît plus volontiers à la base de l’organisation qu’au sommet parce que, comme l’écrit Vineet Nayaar, patron de HCL Technologies, « la plupart des salariés savent très exactement ce qui ne va pas dans l’entreprise, parfois même avant la direction »(5). D’où le conseil de ce patron indien : « En tant que dirigeant ou manager, il faut arrêter de se considérer comme la seule source de changement. […] Au contraire, il faut envisager les autres comme une source de changement » car « c’est la meilleure manière de commencer à créer une entreprise où les employés ont le sentiment d’être aux commandes, au sein de laquelle ils s’épanouissent, concentrés sur le changement et l’innovation. »
Passer du mécanique au biologique
Cette façon de voir a conduit Cisco à décentraliser son management de l’innovation afin que l’inventivité de tous soit stimulée par les demandes issues de chaque marché spécifique(6). Elle est également à l’origine du modèle de gouvernance atypique imaginé par Guy Lacroix, PDG de Cofely Ineo, pour doper la créativité de cette filiale de GDF Suez spécialisée dans la conception et l’intégration de systèmes complexes dans des domaines aussi variés que l’énergie, les transports ou les communications.
Avec 300 implantations en France, coordonner les actions de Cofely Ineo au plan local depuis le sommet aurait été un exercice périlleux sur le plan opérationnel. C’est pourquoi Guy Lacroix a privilégié « un management entrepreneurial fondé sur l'autonomie des collaborateurs dans le cadre d’engagements clairs et cohérents ». Très attaché au principe de subsidiarité, il considère que « l'initiative et la proximité du terrain sont des gages de réactivité, de créativité et de pertinence »(7).
À rebours du modèle mécanique et pyramidal issu du taylorisme, Cofely Ineo s’apparente ainsi à un organisme biologique engagé dans un processus d'adaptation permanent à son milieu. « Grâce à l'autonomie de nos entités, le changement est immédiatement insufflé à chaque niveau de l'organisation sans qu'il soit nécessaire d'énoncer de multiples directives, ou un plan quinquennal ! », se félicite Guy Lacroix.
Cette vision centrée sur l’organisation ne révèle-t-elle pas un travers d’ingénieur, en raison d’une attention trop grande portée aux structures par rapport aux individus ? Leurs promoteurs s’en défendent. En soulignant que l’enjeu est précisément de créer les conditions permettant aux hommes et aux femmes de l’entreprise d’exprimer leur créativité et de révéler toutes leurs potentialités. Façon de dire que la créativité des salariés mérite bien que les dirigeants fassent eux aussi preuve d’originalité dans leurs choix managériaux et organisationnels !
Cette façon de voir a conduit Cisco à décentraliser son management de l’innovation afin que l’inventivité de tous soit stimulée par les demandes issues de chaque marché spécifique(6). Elle est également à l’origine du modèle de gouvernance atypique imaginé par Guy Lacroix, PDG de Cofely Ineo, pour doper la créativité de cette filiale de GDF Suez spécialisée dans la conception et l’intégration de systèmes complexes dans des domaines aussi variés que l’énergie, les transports ou les communications.
Avec 300 implantations en France, coordonner les actions de Cofely Ineo au plan local depuis le sommet aurait été un exercice périlleux sur le plan opérationnel. C’est pourquoi Guy Lacroix a privilégié « un management entrepreneurial fondé sur l'autonomie des collaborateurs dans le cadre d’engagements clairs et cohérents ». Très attaché au principe de subsidiarité, il considère que « l'initiative et la proximité du terrain sont des gages de réactivité, de créativité et de pertinence »(7).
À rebours du modèle mécanique et pyramidal issu du taylorisme, Cofely Ineo s’apparente ainsi à un organisme biologique engagé dans un processus d'adaptation permanent à son milieu. « Grâce à l'autonomie de nos entités, le changement est immédiatement insufflé à chaque niveau de l'organisation sans qu'il soit nécessaire d'énoncer de multiples directives, ou un plan quinquennal ! », se félicite Guy Lacroix.
Cette vision centrée sur l’organisation ne révèle-t-elle pas un travers d’ingénieur, en raison d’une attention trop grande portée aux structures par rapport aux individus ? Leurs promoteurs s’en défendent. En soulignant que l’enjeu est précisément de créer les conditions permettant aux hommes et aux femmes de l’entreprise d’exprimer leur créativité et de révéler toutes leurs potentialités. Façon de dire que la créativité des salariés mérite bien que les dirigeants fassent eux aussi preuve d’originalité dans leurs choix managériaux et organisationnels !
(1) “Understanding the Culture of Collaboration”, cahier spécial du Financial Times,13/07/07
(2) "The Impact of Acquisitions on the Innovation Performance of Inventors at Semiconductor Companies", par Rahul Kapoor and Kwanghui Lim, Academy of Management Journal, 2007, vol. 50, n°5
(3) Le Monde Économie, 27/11/07.
(4) L’esprit design. par Tim Brown, EditionsVillage Mondial, septembre 2010, 264 p.
(5) “Les employés d’abord, les clients ensuite”, par Vineet Nayar, Editions Diateino, mai 2011, 231 p.
(6) http://die-innovationsmaschine.de/EN/?p=175
(7) www.entreprises-et-decideurs.fr/L-intuition-organisationnelle-selon-Guy-Lacroix-PDG-de-Cofely-Ineo-groupe-GDF-Suez_a156.html