Gilets jaunes et tuniques bleues



Jeudi 6 Décembre 2018




D’un côté ceux qui manifestent, défendant leur droit fondamental de manifester selon la constitution française, de l’autre, ceux qui défendent nos institutions, notre République. La dualité de position des deux camps n’existe que dans la tête de ceux qui, manichéens, profitent de la division de la nation. Les policiers, les gendarmes et les pompiers sont des hommes et des femmes de valeurs, de la tête au cœur. L’origine de leur engagement, de leur dévouement est avant tout altruiste et c’est la raison pour laquelle il est mentalement si difficile pour ces sentinelles de la nation de se faire attaquer, quel que soit le degré, l’intensité de l’attaque. Lorsque vous effectuez une mission de maintien de l’ordre et que l’on vous désigne « bouclier », vous êtes en première ligne, face aux manifestants, au sein d’un dispositif complexe dont la stratégie est habitée par une ligne de conduite impérative : la préservation de la vie des protagonistes.
La science du maintien de l’ordre a largement évolué au fil des âges et même si un peloton de gendarmes mobiles en formation présente des ressemblances avec les formations des anciennes légions romaines, d’importants moyens de communications, vidéo (par drone également) permettent au commandement de prendre la mesure de leur environnement d’identifier les « casseurs » et d’en conclure des modes d’action adaptés à ceux des manifestants.
Dans le même esprit, les policiers et les gendarmes sont équipés d’armes « non létales » et notre savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre est admiré dans le monde entier, chaque année de nombreuses formations étrangères viennent se former au centre national d’entraînement des forces de gendarmerie à Saint-Astier en Dordogne.
Bouclier, vous recevez une mission qui est généralement de « tenir » une position. Vous êtes mis en place dans le dispositif et vous attendez. L’attente peut d’ailleurs parfois être longue, très longue... mais vous y êtes, vous allez pouvoir, devoir mettre en œuvre l’ensemble des savoirs qui sont les vôtres, votre technicité, ce à quoi vous vous êtes tant entraîné.
Il y a quelque chose d’assez euphorisant lorsqu’il s’agit d’enfin, d’intervenir, mais pour le bouclier, l’attente signifie devoir faire face, pendant des heures, aux manifestants. Qu’il porte un gilet jaune, qu’il s’agisse de retraités ou d’infirmières, que les revendications soient légitimes ou non, que l’attitude soit pacifique ou hostile, rien ni personne ne doit passer, la mission, c’est la mission.
Pour comprendre, au-delà de la lettre, l’esprit de la mission, il faut dépassionner les débats et bien comprendre le principe républicain qui désigne pour la durée de leurs mandats ses élus, représentant la majorité des voix des personnes ayant souhaité s’exprimer. Il n’y a rien de plus fragile qu’un modèle démocratique et il n’est pas nécessaire de voyager très loin dans le monde pour en faire le triste constat.
Alors quand pendant des heures, le bouclier se fait insulter, cracher dessus, bousculer, au début, ça va... c’est le boulot... Et puis le temps passe, la tension augmente. Dans le peloton, dans les têtes, c’est le moment où tout le monde se demande pourquoi l’autorité administrative ne donne pas l’ordre d’intervenir. Ça fait des heures qu’ils sont là, qu’ils nous provoquent et nous insultent, il ne faudrait pas grand-chose pour réussir à les disperser. Mais non, l’ordre n’arrive pas, il faut attendre, attendre encore. Professionnel, le bouclier reste impassible à l’extérieur, mais finalement... « pourquoi ces personnes s’en prennent à moi ? Moi, je suis leur gardien, le gardien de leurs institutions, de l’ordre républicain ! »
Et voilà que d’autres manifestants arrivent... beaucoup plus virulents... violents... ils sont équipés, visages masqués, armes en mains, lance-pierres, peinture, bâtons, et autres projectiles incendiaires, jusqu’aux acides.
Le casseur est une posture, pas une identité. Le gilet jaune peut devenir casseur, le casseur porter un gilet jaune. Le bouclier sait que le casseur vient au combat, dans la tête du gendarme, du policier, l’adversaire devient ennemi, l’adrénaline ne fait qu’augmenter.
L’ordre arrive. Enfin. Les leaders ont été repérés, identifiés, il faut commencer à interpeller. Les pelotons d’intervention procèdent à des actions « éclairs », ouvrent les lignes et se déplacent en armure, en force. Les gilets jaunes ayant refusé de s’écarter au passage prennent quelques coups, la foule est survoltée. C’est parti. Les coups fusent sur les boucliers, les pavés volent. Il faut disperser la foule alors on lance des gaz lacrymogènes. C’est très efficace, mais c’est le moment où le déchaînement de violence vient se faire sur quiconque viendra tenter de rétablir l’ordre. « Obéissance à la loi, dispersez-vous ! ». Ceux qui ne bougent pas, ou reviennent à la charge devront assumer leur choix, le bouclier sera devenu l’exécuteur de l’ordre, force doit rester à la loi.
Toute représentation de l’ordre devient alors une cible, policiers, gendarmes, pompiers ; un cap incroyable a été franchi en s’en prenant aux pompiers. Dans leurs têtes, c’est l’incompréhension totale. Même si certains ont déjà été confrontés à la violence en se faisant caillasser en intervention, le sentiment de colère est immense. Tous ne viennent que pour faire leur travail, pour défendre, pour protéger.
Les officiers doivent alors prendre leur responsabilité de porteurs de sens. Expliquer, commenter. Ils doivent apaiser cette colère, soigner ces plaies intellectuelles qui viennent un peu entacher l’altruisme de ceux qui nous protègent, sous peine de laisser leurs hommes, se déshumaniser un peu.
 

Les pompiers, les policiers, les gendarmes, les militaires sont régulièrement confrontés à des situations extraordinaires. Le sang et les larmes, la mort et la maladie sont le quotidien des acteurs de notre sécurité. Rien de surhumain et rien de déshumanisé non plus, ils sont des êtres émotionnels à part entière. Émotionnels ne veut pas dire émotifs, si on admet que la définition de cet adjectif se réfère à une personne qui ressent rapidement, facilement des émotions, qui se laisse guider par ses émotions.
Les acteurs de l’urgence ne sont pas émotifs, cela ne serait pas tenable. La violence de la confrontation au quotidien des interventions ne laisse aucune place à la faiblesse émotive. Pourtant, comme le rappel le général Emmanuel de Romémont, quel est le soldat qui n’a pas, avant d’agir, douté de la réussite ou de la justesse de son action ? Quel est le combattant qui n’a pas, comme en parlait en son temps Napoléon, éprouvé le besoin de se recentrer pour être plus performant soi-même, mais aussi pour être là, totalement présent, à l’écoute des autres, en phase avec l’équipe dont il fait partie, attentif aux événements qui arrivent, à l’écoute de l’imprévu qui finit toujours par surgir ?
Quel est le pilote ou navigateur qui n’a pas senti en situation de stress et notamment en opérations, ses limites, la perte d’une partie de ses moyens ? Qui n’a alors pas ressenti en lui-même les vertus d’une préparation soignée, d’une juste attention portée à lui-même, d’une mise en action anticipée ?
Assez généralement les pompiers, les policiers, les gendarmes aiment ce qu’ils font, aiment leurs métiers et pensent qu’ils sont « faits pour ça », sans pour autant être nécessairement à l’aise avec l’ensemble des aspects qui le compose. En effet, selon Christophe Baroche, psychologue au RAID nous ne sommes pas imperméables à toutes les difficultés rencontrées.
Ce n’est pas neutre émotionnellement, intellectuellement, que d’effectuer des missions de maintien de l’ordre. Ce n’est pas un plaisir pour les policiers et gendarmes de « s’en prendre plein la tronche », ce n’est pas non plus un plaisir de devoir faire usage de la force. Les sentinelles de la nation sont des hommes et femmes qui ne prennent qu’une seule décision, celle de protéger les autres. 

Landry RICHARD