La fin d’une crise qui dure depuis plusieurs mois
Depuis l’automne 2020, Emmanuel Faber doit faire face à une fronde grandissante des actionnaires, doublée d’une crise de confiance chez un nombre significatif d’administrateurs, dont Frank Riboud, qui a voté dimanche 14 mars pour l’éviction de M. Faber, quand bien même que c’est lui qui lui avait confié les rênes de l’entreprise en le nommant directeur général, puis administrateur quelques années plus tôt (respectivement en 2014 et 2017). Le départ à la fin de l’année dernière de deux membres influents de l’équipe dirigeante, Francisco Camacho (patron de la division produits laitiers et végétaux) et Cécile Cabanis, (la directrice financière) avait fait office d’élément déclencheur. Certains y voyaient effectivement une preuve de l’autoritarisme d’Emmanuel Faber, un trait de caractère connu et régulièrement critiqué, en mesure de faire naître des doutes et des inquiétudes au sein du conseil d’administration…
Au mois de novembre suivant, l’annonce du plan « Local First », prévoyant une grande réorganisation de Danone ne produisait pas l’effet escompté : loin de susciter une adhésion consensuelle, le cours de bourse de l’entreprise aux 100 000 salariés perd 3% dans la journée suivant le dévoilement du plan, illustrant ainsi la défiance des marchés face à une restructuration coûteuse en emplois, qui impliquerait entre 1 500 et 2 000 licenciements, dont 500 en France. Dans son intervention, Emmanuel Faber assumait néanmoins ce choix stratégique, arguant des difficultés de l’entreprise, durement touchée par la crise de la Covid 19 et d’une nécessité de réorganiser la production de Danone par ère géographique, dans le but d’économiser un milliard d’euros et de parvenir à une marge opérationnelle de 15% en 2022. Le plan choque alors par son ampleur : alors qu’Emmanuel Faber s’était construit une image de patron social, n’hésitant pas à prendre des positions remarquées concernant l’environnement et le rôle social de l’entreprise, à l’instar du fameux discours adressé aux diplômés d’HEC en 2016, il s’apprêtait désormais à négocier le plan de restructuration le plus important de l’histoire de Danone…
Quelques mois plus tard, sans attendre la publication des résultats annuels, Artisan Partners, (un fond activiste faisant partie des trois plus grands actionnaires de Danone, avec 3% du capital) critiquait sévèrement la gestion de l’entreprise dans une lettre adressée à Gilles Schnepp et rendue publique le 11 février 2021. Emmanuel Faber n’est pas nommé, mais sa qualité de PDG est clairement visée, la lettre appelant ouvertement à la dissociation des rôles de président et de directeur général. De plus, sa politique est attaquée, pour son manque d’investissement dans l’innovation et jugée responsable des mauvaises performances de l’entreprise. Par la suite, une autre lettre, adressée aux membres du conseil d’administration est envoyée le 26 février. Elle reprend les accusations de la lettre du 11 février, basée cette fois sur la publication des résultats qui a eu lieu entre temps, et pointe du doigt les mauvais résultats de l’entreprise « depuis les six dernières années », dont le responsable désigné est à nouveau Faber. Le conseil d’administration, est donc pressé de suivre les conseils du fond Artisan Partners, alors qu’une réunion importante est prévue le premier mars… Forcé de s’incliner, Faber accepte à l’issue de cette réunion de renoncer à son poste de directeur général, tout en conservant celui de président du conseil d’administration. Malgré cette concession, et en dépit du communiqué de presse de Danone, qui précise que « Le conseil d’administration de Danone renouvelle son soutien unanime à Emmanuel Faber », les tensions demeurent. La lenteur d’Emmanuel Faber pour lancer le processus de recherche d’un nouveau directeur général, et la pression des fonds activistes, qui estiment que sa présence en tant que président ne permettra pas de donner suffisamment de liberté au futur directeur conduit à une nouvelle réunion du conseil d’administration, le 14 mars. À l’issue d’échanges longs et de rudes négociations, la qualité de président est retirée à Emmanuel Faber, pour être confiée à Gilles Schnepp, avec la mission de trouver au plus vite un directeur général…
Quelle durabilité pour l’action environnementale de l’entreprise ?
C’est la question qui se pose, à l’issue de ce départ forcé d’Emmanuel Faber. Pour celui qui s’était fait le chantre de la RSE, pour celui qui avait été le premier à donner à une entreprise du CAC 40 le statut d’entreprise à Mission, pour celui qui avait misé sur le Bio et multiplié les efforts pour intégrer la question environnementale aux performances économiques, le choc est rude. L’épisode n’a pas manqué d’indigner certains économistes, qui, à l’instar de Gaël Giraud, estiment que « tant que la gouvernance des entreprises permettra à des fonds spéculatifs qui pèsent 4% de l’actionnariat d’une entreprise de remplacer son PDG s’il fait autre chose que maximiser le rendement/action, nos entreprises seront prisonnières du diktat financier. » [1] Faut-il néanmoins en conclure que la vertu ne paie plus ? S’il est indéniable que la prise en compte d’objectifs extra-financiers a pesé sur le résultat de Danone, les objectifs environnementaux sont largement partagés par les parties prenantes et continueront d’être une priorité. En témoigne par exemple l’accord de 99% des actionnaires pour faire de Danone une entreprise à mission. De même, les fonds activistes prennent bien soin de préciser leur volonté inébranlable d’inscrire leur action dans le long terme, en conservant toutes les avancées qui ont été réalisées sous la présidence de M. Faber. Il est donc possible que ce soit surtout le « style Faber », son autoritarisme et sa précipitation dans la manière de mener les réformes qui ait déplu à certains actionnaires puissants et aux membres du conseil d’administration, menant finalement aux réactions récentes, en l’absence de résultats financiers satisfaisants. Gageons enfin que l’entreprise, forte de ses 100 000 salariés, trouvera, avec ou sans Emmanuel Faber, le moyen de servir l’intérêt général, en œuvrant pour la planète et la santé.
[1] Gaël Giraud, sur Twitter, le 15 mars 2021 https://twitter.com/GaelGiraud_CNRS/status/1371472926541746176
Depuis l’automne 2020, Emmanuel Faber doit faire face à une fronde grandissante des actionnaires, doublée d’une crise de confiance chez un nombre significatif d’administrateurs, dont Frank Riboud, qui a voté dimanche 14 mars pour l’éviction de M. Faber, quand bien même que c’est lui qui lui avait confié les rênes de l’entreprise en le nommant directeur général, puis administrateur quelques années plus tôt (respectivement en 2014 et 2017). Le départ à la fin de l’année dernière de deux membres influents de l’équipe dirigeante, Francisco Camacho (patron de la division produits laitiers et végétaux) et Cécile Cabanis, (la directrice financière) avait fait office d’élément déclencheur. Certains y voyaient effectivement une preuve de l’autoritarisme d’Emmanuel Faber, un trait de caractère connu et régulièrement critiqué, en mesure de faire naître des doutes et des inquiétudes au sein du conseil d’administration…
Au mois de novembre suivant, l’annonce du plan « Local First », prévoyant une grande réorganisation de Danone ne produisait pas l’effet escompté : loin de susciter une adhésion consensuelle, le cours de bourse de l’entreprise aux 100 000 salariés perd 3% dans la journée suivant le dévoilement du plan, illustrant ainsi la défiance des marchés face à une restructuration coûteuse en emplois, qui impliquerait entre 1 500 et 2 000 licenciements, dont 500 en France. Dans son intervention, Emmanuel Faber assumait néanmoins ce choix stratégique, arguant des difficultés de l’entreprise, durement touchée par la crise de la Covid 19 et d’une nécessité de réorganiser la production de Danone par ère géographique, dans le but d’économiser un milliard d’euros et de parvenir à une marge opérationnelle de 15% en 2022. Le plan choque alors par son ampleur : alors qu’Emmanuel Faber s’était construit une image de patron social, n’hésitant pas à prendre des positions remarquées concernant l’environnement et le rôle social de l’entreprise, à l’instar du fameux discours adressé aux diplômés d’HEC en 2016, il s’apprêtait désormais à négocier le plan de restructuration le plus important de l’histoire de Danone…
Quelques mois plus tard, sans attendre la publication des résultats annuels, Artisan Partners, (un fond activiste faisant partie des trois plus grands actionnaires de Danone, avec 3% du capital) critiquait sévèrement la gestion de l’entreprise dans une lettre adressée à Gilles Schnepp et rendue publique le 11 février 2021. Emmanuel Faber n’est pas nommé, mais sa qualité de PDG est clairement visée, la lettre appelant ouvertement à la dissociation des rôles de président et de directeur général. De plus, sa politique est attaquée, pour son manque d’investissement dans l’innovation et jugée responsable des mauvaises performances de l’entreprise. Par la suite, une autre lettre, adressée aux membres du conseil d’administration est envoyée le 26 février. Elle reprend les accusations de la lettre du 11 février, basée cette fois sur la publication des résultats qui a eu lieu entre temps, et pointe du doigt les mauvais résultats de l’entreprise « depuis les six dernières années », dont le responsable désigné est à nouveau Faber. Le conseil d’administration, est donc pressé de suivre les conseils du fond Artisan Partners, alors qu’une réunion importante est prévue le premier mars… Forcé de s’incliner, Faber accepte à l’issue de cette réunion de renoncer à son poste de directeur général, tout en conservant celui de président du conseil d’administration. Malgré cette concession, et en dépit du communiqué de presse de Danone, qui précise que « Le conseil d’administration de Danone renouvelle son soutien unanime à Emmanuel Faber », les tensions demeurent. La lenteur d’Emmanuel Faber pour lancer le processus de recherche d’un nouveau directeur général, et la pression des fonds activistes, qui estiment que sa présence en tant que président ne permettra pas de donner suffisamment de liberté au futur directeur conduit à une nouvelle réunion du conseil d’administration, le 14 mars. À l’issue d’échanges longs et de rudes négociations, la qualité de président est retirée à Emmanuel Faber, pour être confiée à Gilles Schnepp, avec la mission de trouver au plus vite un directeur général…
Quelle durabilité pour l’action environnementale de l’entreprise ?
C’est la question qui se pose, à l’issue de ce départ forcé d’Emmanuel Faber. Pour celui qui s’était fait le chantre de la RSE, pour celui qui avait été le premier à donner à une entreprise du CAC 40 le statut d’entreprise à Mission, pour celui qui avait misé sur le Bio et multiplié les efforts pour intégrer la question environnementale aux performances économiques, le choc est rude. L’épisode n’a pas manqué d’indigner certains économistes, qui, à l’instar de Gaël Giraud, estiment que « tant que la gouvernance des entreprises permettra à des fonds spéculatifs qui pèsent 4% de l’actionnariat d’une entreprise de remplacer son PDG s’il fait autre chose que maximiser le rendement/action, nos entreprises seront prisonnières du diktat financier. » [1] Faut-il néanmoins en conclure que la vertu ne paie plus ? S’il est indéniable que la prise en compte d’objectifs extra-financiers a pesé sur le résultat de Danone, les objectifs environnementaux sont largement partagés par les parties prenantes et continueront d’être une priorité. En témoigne par exemple l’accord de 99% des actionnaires pour faire de Danone une entreprise à mission. De même, les fonds activistes prennent bien soin de préciser leur volonté inébranlable d’inscrire leur action dans le long terme, en conservant toutes les avancées qui ont été réalisées sous la présidence de M. Faber. Il est donc possible que ce soit surtout le « style Faber », son autoritarisme et sa précipitation dans la manière de mener les réformes qui ait déplu à certains actionnaires puissants et aux membres du conseil d’administration, menant finalement aux réactions récentes, en l’absence de résultats financiers satisfaisants. Gageons enfin que l’entreprise, forte de ses 100 000 salariés, trouvera, avec ou sans Emmanuel Faber, le moyen de servir l’intérêt général, en œuvrant pour la planète et la santé.
[1] Gaël Giraud, sur Twitter, le 15 mars 2021 https://twitter.com/GaelGiraud_CNRS/status/1371472926541746176