L’idée semblait pourtant honorable, ou du moins défendable. Fidèle à son credo de démocratisation du sport, Décathlon tente de commercialiser un hijab de running destiné aux femmes musulmanes désirant se voiler lors leurs footings. Mais en quelques heures, par la magie de Twitter, son produit est propulsé au croisement des combats féministes, nationalistes et anti-islamistes. Les uns lui reprochent de promouvoir l’asservissement de la femme avec le voile, les autres de participer à l’islamisation de la France. Comment cela advint-il ?
Un théâtre propice à l’explosion
Le contexte, il faut le préciser, n’était pas favorable à une entrée discrète du hijab sportif dans les mœurs. A trois mois des élections européennes dont le RN est la vedette, le sujet attire les politiques de tous bords avides de visibilité et de votes. De Marine Le Pen ou Aurore Bergé reparties en croisade face à l’islamisme à un Nicolas Dupont-Aignan devenu égérie de la liberté et du féminisme, la sphère politique dispute aux internautes la vertu d’indignation, et enfonce Décathlon dans la crise. Alors que l’essentiel de celle-ci se jouait sur Twitter, elle attire désormais les médias plus traditionnels, officialisant une situation très délicate pour la marque.
Une tentative de réponse avortée
Une première réponse de l’enseigne ne tarde pas (trop) à retentir. Le 25 février, 24h après le début de la polémique mais quelques heures seulement après son explosion, elle publie sur Twitter via son Community Manager : « Ce qui est indigne, c’est de faire de tels amalgames qui ont pour seul effet de véhiculer un message de haine. De notre côté, nous préférons nous concentrer sur le fait de rendre le sport accessible à toutes les femmes, quelles que soient leur religion ou leur culture. » Le choix paraît entériné : tentant de se détacher de la polémique, la marque assume sa position, et assure ne vouloir que la démocratisation du sport en répondant à une demande existante. Mais cette réponse est vite balayée par la ferveur de ses détracteurs. De fait, Décathlon semble avoir sous-estimé la puissance de la controverse engendrée et nous prouve que, face à la déferlante d’émotions qui suit une atteinte aux convictions, le dialogue rationnel constitue un bien frêle barrage.
Enfin, à cette stratégie peu efficace s’ajoute un mensonge peu plausible, heureusement sans trop d’écho, affirmant que la commercialisation était réservée au Maroc et s’est retrouvée par erreur sur le site français.
Un revirement exemplaire
Constatant son échec, la marque effectue un virage à 180° dès le lendemain. Alors que cette manœuvre peut paraître risquée, elle est ici effectuée sans heurts et rencontre le succès, probablement grâce à la courte mémoire des réseaux sociaux et au flou général causé par une polémique de sourds, où se faire entendre compte plus que se renseigner.
En quoi consiste ce revirement ? Cette fois, Décathlon renonce à toute fierté mal placée et fait le choix de la repentance. Le 26 février, son directeur de la communication externe, Xavier Rivoire, annonce à RTL renoncer à la commercialisation française du hijab. « Nous avons certainement été maladroits, et nous présentons aujourd’hui nos excuses à ceux qui ont pu être heurtés » ajoute-t-il le lendemain sur RMC, allant jusqu’à remercier « tous ceux qui se sont exprimés […] car leurs avis nous ont fait progresser ».
Si le Décathlon repenti touche l’opinion publique, c’est cependant le Décathlon martyr qui emporte son soutien. Le 26 février, en parallèle des excuses, le CM de la marque dévoile en un tweet les conséquences de la polémique sur l’entreprise, conséquences dont la gravité surpasse largement celle de l’affaire. Entre insultes virulentes, menaces de mort et violences physiques, l’entreprise semble en fait la principale victime de la haine qu’elle a attisé. S’arrête alors rapidement la fureur des indignés craignant de devenir oppresseurs, et s’adoucit la crise.
Notons au passage que, en ne relevant que les insultes d’un anti-islamisme violent, le CM parvient à enterrer la dimension féministe de la polémique, la plus difficile à contrecarrer, et à se positionner sur un terrain où il a la faveur de l’opinion publique, son ennemi devenant l’allégorie de l’extrémiste à moitié fasciste.
Un final discret, mais brillant
Reste alors un dernier choix pour la marque. Faut-il laisser désenfler la polémique, alors qu’elle est désormais plutôt en sa faveur ? C’est en tout cas l’option qu’elle a privilégiée. Plutôt que de tenter un good buzz en surfant sur des valeurs qu’elle n’a jamais particulièrement défendues (puisque non directement fondées sur « le sport pour tous »), Décathlon a su se retirer et se faire oublier d’un débat dont elle n’était désormais plus un acteur essentiel, alors même qu’elle l’avait brillamment géré auparavant. Au cœur d’une situation inédite pour la marque, cette clairvoyance paraît exemplaire, et nous rappelle que la meilleure façon de gérer une crise, c’est de la faire oublier.
Ainsi, au crépuscule de la crise, l’image de Décathlon est sauve, tandis que « une nouvelle fois, la France s’est plongée dans le ridicule en parlant des vêtements que les femmes musulmanes peuvent choisir de porter ou non » (James McAuley, Washington Post).
Seule légère ombre au tableau, le renoncement à la commercialisation du hijab. Avec un marketing plus réfléchi dès le départ, et un timing mieux choisi, la crise aurait sans doute pu être évitée (après tout, il a fallu l’intervention de politiques pour que la polémique enfle après trois jours de morne indifférence). Cependant, une fois le mal fait et la crise enclenchée, il semble que la marque ait pris les bonnes décisions, se sortant avec brio de la tempête, et créant un cas d’école pour les nombreuses entreprises qui sont ou seront confrontées à une situation de ce type.
Un théâtre propice à l’explosion
Le contexte, il faut le préciser, n’était pas favorable à une entrée discrète du hijab sportif dans les mœurs. A trois mois des élections européennes dont le RN est la vedette, le sujet attire les politiques de tous bords avides de visibilité et de votes. De Marine Le Pen ou Aurore Bergé reparties en croisade face à l’islamisme à un Nicolas Dupont-Aignan devenu égérie de la liberté et du féminisme, la sphère politique dispute aux internautes la vertu d’indignation, et enfonce Décathlon dans la crise. Alors que l’essentiel de celle-ci se jouait sur Twitter, elle attire désormais les médias plus traditionnels, officialisant une situation très délicate pour la marque.
Une tentative de réponse avortée
Une première réponse de l’enseigne ne tarde pas (trop) à retentir. Le 25 février, 24h après le début de la polémique mais quelques heures seulement après son explosion, elle publie sur Twitter via son Community Manager : « Ce qui est indigne, c’est de faire de tels amalgames qui ont pour seul effet de véhiculer un message de haine. De notre côté, nous préférons nous concentrer sur le fait de rendre le sport accessible à toutes les femmes, quelles que soient leur religion ou leur culture. » Le choix paraît entériné : tentant de se détacher de la polémique, la marque assume sa position, et assure ne vouloir que la démocratisation du sport en répondant à une demande existante. Mais cette réponse est vite balayée par la ferveur de ses détracteurs. De fait, Décathlon semble avoir sous-estimé la puissance de la controverse engendrée et nous prouve que, face à la déferlante d’émotions qui suit une atteinte aux convictions, le dialogue rationnel constitue un bien frêle barrage.
Enfin, à cette stratégie peu efficace s’ajoute un mensonge peu plausible, heureusement sans trop d’écho, affirmant que la commercialisation était réservée au Maroc et s’est retrouvée par erreur sur le site français.
Un revirement exemplaire
Constatant son échec, la marque effectue un virage à 180° dès le lendemain. Alors que cette manœuvre peut paraître risquée, elle est ici effectuée sans heurts et rencontre le succès, probablement grâce à la courte mémoire des réseaux sociaux et au flou général causé par une polémique de sourds, où se faire entendre compte plus que se renseigner.
En quoi consiste ce revirement ? Cette fois, Décathlon renonce à toute fierté mal placée et fait le choix de la repentance. Le 26 février, son directeur de la communication externe, Xavier Rivoire, annonce à RTL renoncer à la commercialisation française du hijab. « Nous avons certainement été maladroits, et nous présentons aujourd’hui nos excuses à ceux qui ont pu être heurtés » ajoute-t-il le lendemain sur RMC, allant jusqu’à remercier « tous ceux qui se sont exprimés […] car leurs avis nous ont fait progresser ».
Si le Décathlon repenti touche l’opinion publique, c’est cependant le Décathlon martyr qui emporte son soutien. Le 26 février, en parallèle des excuses, le CM de la marque dévoile en un tweet les conséquences de la polémique sur l’entreprise, conséquences dont la gravité surpasse largement celle de l’affaire. Entre insultes virulentes, menaces de mort et violences physiques, l’entreprise semble en fait la principale victime de la haine qu’elle a attisé. S’arrête alors rapidement la fureur des indignés craignant de devenir oppresseurs, et s’adoucit la crise.
Notons au passage que, en ne relevant que les insultes d’un anti-islamisme violent, le CM parvient à enterrer la dimension féministe de la polémique, la plus difficile à contrecarrer, et à se positionner sur un terrain où il a la faveur de l’opinion publique, son ennemi devenant l’allégorie de l’extrémiste à moitié fasciste.
Un final discret, mais brillant
Reste alors un dernier choix pour la marque. Faut-il laisser désenfler la polémique, alors qu’elle est désormais plutôt en sa faveur ? C’est en tout cas l’option qu’elle a privilégiée. Plutôt que de tenter un good buzz en surfant sur des valeurs qu’elle n’a jamais particulièrement défendues (puisque non directement fondées sur « le sport pour tous »), Décathlon a su se retirer et se faire oublier d’un débat dont elle n’était désormais plus un acteur essentiel, alors même qu’elle l’avait brillamment géré auparavant. Au cœur d’une situation inédite pour la marque, cette clairvoyance paraît exemplaire, et nous rappelle que la meilleure façon de gérer une crise, c’est de la faire oublier.
Ainsi, au crépuscule de la crise, l’image de Décathlon est sauve, tandis que « une nouvelle fois, la France s’est plongée dans le ridicule en parlant des vêtements que les femmes musulmanes peuvent choisir de porter ou non » (James McAuley, Washington Post).
Seule légère ombre au tableau, le renoncement à la commercialisation du hijab. Avec un marketing plus réfléchi dès le départ, et un timing mieux choisi, la crise aurait sans doute pu être évitée (après tout, il a fallu l’intervention de politiques pour que la polémique enfle après trois jours de morne indifférence). Cependant, une fois le mal fait et la crise enclenchée, il semble que la marque ait pris les bonnes décisions, se sortant avec brio de la tempête, et créant un cas d’école pour les nombreuses entreprises qui sont ou seront confrontées à une situation de ce type.