Christophe Mianné : « les banques françaises jouent leur rôle de financement de proximité »



Mercredi 5 Octobre 2016


Les taux d’intérêt sont historiquement bas, et l’encours des crédits aux entreprises françaises se maintient à un niveau de croissance élevé depuis plusieurs mois. Difficile, pour autant, de nier les nouvelles contraintes qui pèsent sur les banques. Celles-ci sont soumises à des exigences en fonds propres sans cesse renforcées par l’évolution de la réglementation prudentielle, ce qui les oblige à dégager des marges de manœuvre supplémentaires pour continuer de soutenir les besoins de financement des entreprises. Mais dans ce contexte, les banques françaises s’en sortent plutôt bien comme nous l’explique Christophe Mianné, directeur délégué de la Banque de Grande Clientèle et Solutions Investisseurs de Société Générale.



Selon la Banque de France (1), un quart des entreprises de plus de 10 salariés a sollicité l’octroi de crédits d’investissement, et 94% de leurs demandes ont été satisfaites. Doit-on y voir les signes d’une reprise durable de l’activité économique ?

Christophe Mianné, directeur délégué de la Banque de Grande Clientèle et Solutions Investisseurs de Société Générale
Le dynamisme de l’économie française a surpris favorablement au premier trimestre 2016, principalement grâce à la demande intérieure. La détente des conditions d’accès au crédit, qui évoluent favorablement depuis 2012, s’illustre par exemple par une hausse de 5,6% de l’encours de crédits des entreprises en juillet 2016, par rapport à la même période de l’année précédente.

Mais de là à y voir le signe d’une reprise durable de l’économie... Le potentiel d’accélération de l’activité me semble limité. D’abord les investissements réalisés par les chefs d’entreprises correspondent souvent à des dépenses d’équipement ou d’entretien des locaux, qui avaient été différées à cause de la crise. Ensuite, les incertitudes demeurent concernant les conséquences du Brexit et les résultats d’échéances électorales majeures à venir. De surcroît, le retour potentiel de l’inflation dès 2017, même progressif, affectera mécaniquement la consommation des ménages.

En France, les banques restent la première source de financement des entreprises et les concours bancaires pour les entreprises progressent plus rapidement en France que partout ailleurs en Europe. Comment peut-on l’expliquer ?

Les banques ont relayé la politique de la BCE et ont mis à disposition de leurs clients et prospects des taux historiquement bas, malgré l’évolution progressive de la réglementation bancaire. Il faut noter à ce sujet que la finalisation en cours de Bâle IV pourrait représenter une contrainte très forte pour les banques européennes notamment en matière de financement spécialisé (financement d’actifs). Le projet prévoit notamment une augmentation des exigences en fonds propres des banques. Ainsi, à titre d’exemple, les fonds propres de la banque nécessaires au financement dans l’aéronautique pourraient être multipliés par sept, tandis que ceux nécessaires au financement d’une autoroute en construction pourraient être multipliés par six !

Malgré cela les banques françaises, et Société Générale en tête, s’adaptent rapidement à l’évolution de la demande : il a fallu réduire les délais de traitement des dossiers tout en préservant la qualité de service et de conseil. La qualité de la relation client est stratégique pour nous car la banque joue un rôle « d’accompagnateur » et de « facilitateur » sur le long terme de la vie économique. C’est peut-être aussi ce qui explique que les PME françaises ont une opinion positive de leurs banques et attachent beaucoup d’importance à la relation de proximité qu’elles entretiennent avec leur conseiller bancaire. 

Les banques françaises gèrent des portefeuilles d’actifs « mondialisés » et lèvent des capitaux sur les marchés internationaux. N’y a-t-il pas une incohérence avec leur volonté de renouer avec le « terrain », en revendiquant un rôle d’interlocuteur de proximité ?

Notre franchise mondiale sur certains secteurs est la somme de présences locales de terrain et de proximité, constituée en réseau, ce qui nous permet d’accompagner le développement des grandes entreprises internationales. De plus, en France par exemple, où notre franchise est bien entendu la plus développée, nous avons créé le département Mid Cap Investment Banking (MCIB), qui a vocation à accompagner les PME et ETI dans leurs opérations de croissance et de transmission. Ce département concourt à renforcer la qualité de notre relation client en apportant aux sociétés de taille moyenne, qui représentent plus de 99% des entreprises en France, les services de banque d’affaires et d’investissement usuellement réservés aux grands groupes : fusions et acquisitions, financements structurés, financements de marché, ou en capital. Par son implantation sur l’ensemble du territoire, MCIB joue une fois encore un rôle d’interlocuteur de proximité au service de l’économie réelle. 

Notez-vous des différences notables entre la politique de financement des ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) et celle de financement des PME, par exemple ?

La politique de financement des ETI ne varie pas de celle des PME. Nous nous adaptons à la demande et aux attentes de nos clients. Chaque entreprise est unique et nous déployons des solutions sur-mesure. Nous notons une demande croissante des ETI visant à se financer sur les marchés via des émissions de dettes. Notre rôle de conseil et de placement reconnu dans ce domaine nous conduit à les y accompagner de plus en plus.

Quant aux PME, elles peuvent désormais bénéficier du dispositif Société Générale Entrepreneurs, notre offre intégrée qui rapproche en une seule équipe, et dans chaque région, les compétences de la banque de détail, de la banque de financement et d’investissement - conseil M&A, accès marchés, gestion des devises, capital investissement -, et de la banque patrimoniale – transmission, cession d’entreprise, etc.

Quel regard le professionnel de l’investissement que vous êtes porte-t-il sur la nouvelle concurrence d’acteurs non-bancaires, comme les solutions de financement participatif ? Craignez-vous l’apparition d’une nouvelle bulle ? Cela remet-il en question l’intermédiation bancaire dans le financement de l’économie ?

Aujourd’hui, les économies française et européenne restent financées à hauteur de 80% par le système bancaire et à hauteur de 20 % par les marchés de capitaux, c’est-à-dire l’inverse de ce que l’on observe sur le marché américain. Depuis le début de la crise financière, un mouvement de rééquilibrage du mode de financement de l’économie s’est enclenché, au profit notamment des financements non bancaires. Nous avons donc décidé d’accompagner ce mouvement en lançant les placements privés de dette en euros (EuroPP) dès 2012, un marché sur lequel nous jouons un rôle d’intermédiaire entre les investisseurs et les émetteurs. En France, le volume d’émissions sous forme d’EuroPP reste modeste par rapport au volume de financements bancaires (4 G€ par an en moyenne depuis 2012). Mais il concerne désormais un nombre croissant d’entreprises, même de petite taille pour certaines. En tant que banque, nous participons à ces évolutions et nous accompagnons nos clients sur ces différents modes de financement, bancaires ou non, afin de les conseiller sur la structure financière optimale. 

(1) Banque de France

Elisabeth Reault