Introduction
Ce n’est pas la marque informatique que connaissent le mieux les particuliers et le grand public, loin de là. Ses produits ne leur ont d’ailleurs jamais été destinés, la société Bull s’étant dès l’origine spécialisée dans l’informatique professionnelle. Mais le nom de l’entreprise demeure connu par bien des Français, à la fois en raison d’un passé tumultueux, mais aussi parce que l’entreprise est encore aujourd’hui un symbole de souveraineté nationale dans des domaines éminemment stratégiques : les infrastructures informatiques et les services numériques aux entreprises. Depuis les années 1930, bien avant l’apparition des géants bien connus de l’internet et des nouvelles technologies, Bull a accumulé des savoir-faire inédits en traitement de l’information. Tout en s’adaptant aux ruptures technologiques de son époque, voire en en initiant certaines, Bull a développé une expertise certaine en matière de sécurité des flux et des stocks de données dématérialisées. Des systèmes de serveurs physiques aux solutions logicielles, Bull assure désormais l’intégration et la gestion de bout en bout des systèmes d’information pour les entreprises et les administrations.
Le premier brevet fut déposé il y a près d’un siècle par celui qui donna son nom à l’entreprise : le 31 juillet 1921, l’ingénieur Fredrik Rosing Bull dépose un brevet de « trieuse-enregistreuse-additionneuse combinée à cartes perforées ». Ce sont les débuts de l’informatique analogique, bien avant que l’électronique puis le numérique ne prennent le relais. Après 80 ans de rebondissements de l’activité, qui l’ont vu s’implanter aux Etats-Unis et concurrencer IBM sur son terrain, puis passer sous contrôle de l’état français, l’entreprise trouve enfin son rythme de croisière à la fin des années 1990, lorsque se termine la privatisation. Celle-ci sera achevée en 1997, année qui met également un terme à près de deux décennies de restructurations. Entre temps, l’entreprise est redevenue bénéficiaire et s’est imposée comme le dernier acteur européen de l’informatique, en mettant en œuvre depuis le début des années 2000 une politique d’acquisitions ciblées qui tranchent avec la période précédente.
Cette étude aura précisément pour objet de comprendre comment Bull a pu mener de front ces 20 dernières années un recentrage stratégique sur son cœur de métier – le traitement de données numériques – tout en diversifiant ses compétences et les technologies utilisées. Pour cela, cette étude passera dans un premier temps en revu l’historique de la société et la construction de ses choix d’acquisition. Dans un deuxième temps seront analysées les stratégies technologiques mises en œuvre par une entreprise recentrée sur son cœur de métier. Enfin, la dernière partie sera l’occasion de faire le point sur la cohérence du rapprochement entre Bull et Atos.
Le premier brevet fut déposé il y a près d’un siècle par celui qui donna son nom à l’entreprise : le 31 juillet 1921, l’ingénieur Fredrik Rosing Bull dépose un brevet de « trieuse-enregistreuse-additionneuse combinée à cartes perforées ». Ce sont les débuts de l’informatique analogique, bien avant que l’électronique puis le numérique ne prennent le relais. Après 80 ans de rebondissements de l’activité, qui l’ont vu s’implanter aux Etats-Unis et concurrencer IBM sur son terrain, puis passer sous contrôle de l’état français, l’entreprise trouve enfin son rythme de croisière à la fin des années 1990, lorsque se termine la privatisation. Celle-ci sera achevée en 1997, année qui met également un terme à près de deux décennies de restructurations. Entre temps, l’entreprise est redevenue bénéficiaire et s’est imposée comme le dernier acteur européen de l’informatique, en mettant en œuvre depuis le début des années 2000 une politique d’acquisitions ciblées qui tranchent avec la période précédente.
Cette étude aura précisément pour objet de comprendre comment Bull a pu mener de front ces 20 dernières années un recentrage stratégique sur son cœur de métier – le traitement de données numériques – tout en diversifiant ses compétences et les technologies utilisées. Pour cela, cette étude passera dans un premier temps en revu l’historique de la société et la construction de ses choix d’acquisition. Dans un deuxième temps seront analysées les stratégies technologiques mises en œuvre par une entreprise recentrée sur son cœur de métier. Enfin, la dernière partie sera l’occasion de faire le point sur la cohérence du rapprochement entre Bull et Atos.
1. Un précurseur du traitement de données et de la cybersécurité à l’histoire mouvementée
1.1. Stratégies d’acquisitions : les limites de la nationalisation
L’une des raisons qui explique le mieux la survivance de Bull face à la concurrence des géants américains et asiatiques tient dans sa politique de croissance externe intensive, menée tambours battant depuis des décennies. En rachetant nombre de petites sociétés et de start-ups ultraspécialisées sur certaines niches informatiques, Bull a su s’adjoindre le spectre complet des capacités en termes de chaine de services numériques. Mais surtout, l’entreprise a retenu les leçons des achats et restructurations successives au cours des années 1980, période au cours de laquelle l’entreprise est passée sous le contrôle de l’état français.
Si cette période a permis une croissance considérable du chiffre d’affaires et des effectifs salariés, c’est surtout en raison de choix politiques et non économiques de rachats et de rapprochement. Fraichement nationalisée, l’entreprise Bull se voit parfois imposer des priorités bien éloignée des réalités économiques : fournir du matériel informatique, peu importe le coût, et préserver l’emploi. Entre les rachats de 20 % de Packard-Bell, des divisions informatiques d’Honeywell, de Thomson, de la CGE, Bull se retrouve à la tête d’une demi-douzaine de fournisseurs de systèmes incompatibles entre eux à la fin des années 1980.
Le coup de grâce de cet épisode noir sera donné par l’achat de Zenith Data Systems (ZDS) au début des années 1990, alors que l’entreprise était encore contrôlée par l’Etat. Réalisé en dépit de toute rationalité économique, cet achat a surtout justifié l’installation très politique d’une usine à Villeneuve-d'Ascq, patrie de Pierre Mauroy, alors Premier Ministre. Ce choix à visée surtout électorales contraria l’organisation logistique du groupe dans son ensemble, mais l’essentiel des difficultés résidait ailleurs : ZDS était également une société en panne d’innovations, sans aucun brevet déposé depuis près d’une décennie (*). Le passage sous giron français de ZDS sera aussi l’occasion de la perte de son principal client : l’US Air Force. Tirant les conclusions de cet épisode dommageable pour l’image des gestionnaires de l’Etat, un rapport de la Cour des Comptes de 1992 évoque une détérioration du résultat due à « des difficultés rencontrées par la croissance externe aux Etats-Unis et des insuffisances dans la gestion commerciale et de traitement de certaines activités en France. »
1.2. Privatisation et restructurations
Après des pertes colossales épongées par l’Etat, est finalement prise la décision de privatiser Bull. Sous la direction de Thierry Breton, alors directeur stratégie du groupe, le processus démarre en 1994 et s’achève pour l’essentiel en 1997. L’entreprise en profite pour rationaliser ses composantes et cède notamment son activité cartes à puces à Gemplus, devenue Gemalto après la fusion avec Axalto. De près de 40 000 salariés au milieu des années 1980, l’entreprise passe à moins de 10 000 après 2001. En moins de dix ans l’entreprise réalise alors plus d’une dizaine d’acquisitions. Elle commence par Enatel en 2005, « spécialisée dans la sécurisation d'accès aux réseaux d'entreprise par authentification unique ». Elle poursuit en 2006 avec AMG, une SSII polonaise spécialisée en services télécoms, puis HRBC, fournissant des services informatiques aux spécialistes RH, et Agarik, SSII française d’hébergement et d’infogérance. Bull continue en 2007 et se renforce d’une part dans les calculateurs avec Serviware, intégrateur spécialisé dans les serveurs haute performance, et dans les services bancaires, avec Siconet, SSII espagnole. En 2008, la société belge de services informatiques CSB Consulting et l’éditeur de progiciel de gestion de l'action sociale Sirus passent sous le giron de Bull. La société Amesys spécialisée dans la défense et les télécoms est acquise en 2010 et revendue en 2012. TRCOM, proposant des solutions de test et de sécurisation des communications sans fil est rachetée en 2011. En 2013, c’est au tour de FastConnect, une société française leader dans les architectures applicatives distribuées.
Concrétisation de cette stratégie de croissance externe sur des savoir-faire de niche, Bull fait partie aujourd’hui du club très fermé des architectes de systèmes numériques complexes et complets, avec une prédilection pour les systèmes numériques critiques. Ces choix de développement ont notamment permis à Bull de voir ses produits et ses services remplir leurs offices auprès de la Défense : des simulations d’essais nucléaires pour la conception des futures armes de la dissuasion à la numérisation de l’espace de bataille et au programme Scorpion, Bull est devenu un partenaire de premier plan de la Direction générale de l’armement (DGA), carte de visite non négligeable. Une raison à cela : Bull s’est spécialisé sur un créneau spécifique, les supercalculateurs.
L’une des raisons qui explique le mieux la survivance de Bull face à la concurrence des géants américains et asiatiques tient dans sa politique de croissance externe intensive, menée tambours battant depuis des décennies. En rachetant nombre de petites sociétés et de start-ups ultraspécialisées sur certaines niches informatiques, Bull a su s’adjoindre le spectre complet des capacités en termes de chaine de services numériques. Mais surtout, l’entreprise a retenu les leçons des achats et restructurations successives au cours des années 1980, période au cours de laquelle l’entreprise est passée sous le contrôle de l’état français.
Si cette période a permis une croissance considérable du chiffre d’affaires et des effectifs salariés, c’est surtout en raison de choix politiques et non économiques de rachats et de rapprochement. Fraichement nationalisée, l’entreprise Bull se voit parfois imposer des priorités bien éloignée des réalités économiques : fournir du matériel informatique, peu importe le coût, et préserver l’emploi. Entre les rachats de 20 % de Packard-Bell, des divisions informatiques d’Honeywell, de Thomson, de la CGE, Bull se retrouve à la tête d’une demi-douzaine de fournisseurs de systèmes incompatibles entre eux à la fin des années 1980.
Le coup de grâce de cet épisode noir sera donné par l’achat de Zenith Data Systems (ZDS) au début des années 1990, alors que l’entreprise était encore contrôlée par l’Etat. Réalisé en dépit de toute rationalité économique, cet achat a surtout justifié l’installation très politique d’une usine à Villeneuve-d'Ascq, patrie de Pierre Mauroy, alors Premier Ministre. Ce choix à visée surtout électorales contraria l’organisation logistique du groupe dans son ensemble, mais l’essentiel des difficultés résidait ailleurs : ZDS était également une société en panne d’innovations, sans aucun brevet déposé depuis près d’une décennie (*). Le passage sous giron français de ZDS sera aussi l’occasion de la perte de son principal client : l’US Air Force. Tirant les conclusions de cet épisode dommageable pour l’image des gestionnaires de l’Etat, un rapport de la Cour des Comptes de 1992 évoque une détérioration du résultat due à « des difficultés rencontrées par la croissance externe aux Etats-Unis et des insuffisances dans la gestion commerciale et de traitement de certaines activités en France. »
1.2. Privatisation et restructurations
Après des pertes colossales épongées par l’Etat, est finalement prise la décision de privatiser Bull. Sous la direction de Thierry Breton, alors directeur stratégie du groupe, le processus démarre en 1994 et s’achève pour l’essentiel en 1997. L’entreprise en profite pour rationaliser ses composantes et cède notamment son activité cartes à puces à Gemplus, devenue Gemalto après la fusion avec Axalto. De près de 40 000 salariés au milieu des années 1980, l’entreprise passe à moins de 10 000 après 2001. En moins de dix ans l’entreprise réalise alors plus d’une dizaine d’acquisitions. Elle commence par Enatel en 2005, « spécialisée dans la sécurisation d'accès aux réseaux d'entreprise par authentification unique ». Elle poursuit en 2006 avec AMG, une SSII polonaise spécialisée en services télécoms, puis HRBC, fournissant des services informatiques aux spécialistes RH, et Agarik, SSII française d’hébergement et d’infogérance. Bull continue en 2007 et se renforce d’une part dans les calculateurs avec Serviware, intégrateur spécialisé dans les serveurs haute performance, et dans les services bancaires, avec Siconet, SSII espagnole. En 2008, la société belge de services informatiques CSB Consulting et l’éditeur de progiciel de gestion de l'action sociale Sirus passent sous le giron de Bull. La société Amesys spécialisée dans la défense et les télécoms est acquise en 2010 et revendue en 2012. TRCOM, proposant des solutions de test et de sécurisation des communications sans fil est rachetée en 2011. En 2013, c’est au tour de FastConnect, une société française leader dans les architectures applicatives distribuées.
Concrétisation de cette stratégie de croissance externe sur des savoir-faire de niche, Bull fait partie aujourd’hui du club très fermé des architectes de systèmes numériques complexes et complets, avec une prédilection pour les systèmes numériques critiques. Ces choix de développement ont notamment permis à Bull de voir ses produits et ses services remplir leurs offices auprès de la Défense : des simulations d’essais nucléaires pour la conception des futures armes de la dissuasion à la numérisation de l’espace de bataille et au programme Scorpion, Bull est devenu un partenaire de premier plan de la Direction générale de l’armement (DGA), carte de visite non négligeable. Une raison à cela : Bull s’est spécialisé sur un créneau spécifique, les supercalculateurs.
2. Stratégie des moyens
2.1. « Extreme computing » : la vitrine de l’informatique
Les supercalculateurs sont à l’informatique ce que la F1 est à l’automobile : la synthèse des plus grandes performances possibles et de la haute technologie. Les supercalculateurs pratiquent ce que l’on appelle pudiquement le « calcul haute performance » ou plus communément High Performance Calcul (HPC), dans son acception anglo-saxonne. Inconnus du grand public, qui n’en aurait pas l’utilité, ils deviennent une nécessité pour les entreprises ou les administrations amenées à traiter de très grands volumes de données très rapidement. De Météo France à la simulation nucléaire, en passant par les universités, les compagnies pétrolières ou encore les assurances, les besoins en supercalculateurs croissent de manière exponentielle.
Compte tenu de son expertise en traitement de l’information numérique, entretenue depuis les années 1930, et de ses compétences dans les serveurs d’entreprises à haute performance, Bull décide d’entrer sur le marché des supercalculateurs en 2006, avec une offre atypique. En quelques années, ses solutions sur base de modules de serveurs et de logiciels Open-Source l’ont positionné comme le premier acteur européen en la matière. La France compte ainsi parmi les quatre nations au monde ayant les capacités de construire des supercalculateurs, les autres étant la Chine, le Japon et les Etats-Unis. Après l’affaire Snowden, et compte tenu des réticences qu’inspire encore la Chine, la France apparait comme un partenaire de choix, alliant capacités industrielles et solutions de sécurité indépendantes des fournisseurs américains.
C’est une des raisons pour lesquelles le Brésil vient d’ailleurs de se doter de supercalculateurs pétaflopique (atteignant les millions de milliards d’opérations par seconde) auprès de Bull. L’originalité de Bull tient aussi à l’intégration des aspects énergétiques dans la conception de ses supercalculateurs : alors que traditionnellement, le calcul intensif est très vorace en capacités énergétiques (alimentation et refroidissement notamment), Bull a développé au sein de sa gamme BullX des produits dits éco-efficaces, classés 5ème au sein du classement Green500, qui évalue l’éco-efficacité des supercalculateurs. En faisant appel à Bull et à la France, le Brésil vient de rejoindre le club fermé des dix pays avec des capacités en calcul intensif. Le Brésil peut ainsi prétendre se positionner sur la prochaine révolution numérique : Cloud et Big Data.
2.2. Cloud, Big Data et internet 3.0 : souveraineté numérique et cybersécurité
« Nous avons développé des expertises et ciblé des différenciateurs dans trois domaines que nous estimons majeurs : maîtrise des systèmes de calculs complexes et des grosses infrastructures, maîtrise des intégrations logicielles et maîtrise de la sécurité. […] Les supercalculateurs sont l'un des trois piliers nécessaires pour disposer d'une offre d'information et services fiable et crédible. Sur ces trois piliers, beaucoup de nos concurrents ont une expertise, certains peuvent en avoir deux mais des entreprises qui maîtrisent les trois expertises absolument nécessaires pour occuper le marché du Cloud, je n'en connais pas beaucoup », expliquait en janvier 2014 Philippe Vannier. Suivant cette logique, l’objectif de Bull est connu : se positionner comme l’acteur européen de référence en matière de solutions de Cloud Computing.
Maintenant que commencent à être levés les doutes qui pouvaient subsister sur la viabilité des solutions Cloud, les entreprises ont de plus en plus recours à la délocalisation virtuelle du stockage de données. Premier avantage substantielle pour le client, « le Cloud permet aux clients de ne payer qu'en fonction de leur consommation. Toute l'infrastructure et la gestion ont été transférées à des entreprises tierces, qui doivent maîtriser les trois piliers que j'ai déjà évoqués », poursuit le PDG de Bull. Autre avantage, d’ordre opérationnel cette fois, le Cloud permet de sécuriser un patrimoine immatériel, à l’abri des incendies et autres catastrophes naturelles ou non, mais aussi des intrusions physiques, du piratage des serveurs… Des structures étatiques sont parfois à la manœuvre : « [l’affaire Snowden] est finalement un atout pour une migration vers le Cloud. Avec l'expertise reconnue de Bull dans le domaine des infrastructures de calcul, des intégrations de logiciels complexes et de la sécurité, nous offrons un système plus sûr à un client que s'il gardait son IT chez lui. Le Cloud va lui permettre d'avoir un système plus sûr », résume Philippe Vannier.
Car les enjeux qui se profilent derrière le Cloud ont de quoi intéresser les industriels et les organisations de tous types. Avec le Cloud peut débuter l’ère des objets connectés, l’Internet 3.0. « Avec des objets connectés, les marques se positionnent dans la dernière brique, au plus près des consommateurs. Ce qui permet de segmenter plus uniquement à partir de critères sociodémographiques, mais sur la base de facteurs totalement quantifiables et personnalisables. C'est du CRM one to one qui va encore plus loin que ce qui a été bâti avec le mobile », explique Alban Clochet, du cabinet Labcity. Première conséquence prévisible : le volume de données généré va exploser dans la décennie à venir, raison de plus pour investir sur le créneau des supercalculateurs. L’ère du Big Data commence : de 2013 à 2020, les estimations du cabinet IDC, réalisées pour le spécialiste américian du stockage EMC, tablent sur une multiplication du volume de données par 10, pour atteindre 44 zéttaoctets (44 000 milliards de Go). Tout le monde espère profiter de cette corne d’abondance de données, d’autant plus que l’internet des objets va générer beaucoup plus de données exploitables qu’auparavant. Selon le rapport du cabinet IDC, « en 2013, seules 22% des données numériques étaient exploitables et 5% seulement d'entre elles ont été analysées, laissant un vaste trou noir dans l'univers numérique. L'expansion de l'Internet des objets devrait porter à 35% la proportion des données exploitables. »
Pour répondre à ce défi, chez Bull comme chez la plupart des grandes sociétés concernées, l’heure est aux manœuvres de regroupement, parce que seuls ceux qui auront atteint une taille critique suffisante pourront s’imposer sur ce marché. Si selon cette logique Bull a su s’attirer les faveurs d’Atos, c’est non seulement en raison de ses compétences techniques globales, particulièrement en cybersécurité, mais aussi grâce à sa capacité à fournir des solutions intégrales de Cloud souverain.
Les supercalculateurs sont à l’informatique ce que la F1 est à l’automobile : la synthèse des plus grandes performances possibles et de la haute technologie. Les supercalculateurs pratiquent ce que l’on appelle pudiquement le « calcul haute performance » ou plus communément High Performance Calcul (HPC), dans son acception anglo-saxonne. Inconnus du grand public, qui n’en aurait pas l’utilité, ils deviennent une nécessité pour les entreprises ou les administrations amenées à traiter de très grands volumes de données très rapidement. De Météo France à la simulation nucléaire, en passant par les universités, les compagnies pétrolières ou encore les assurances, les besoins en supercalculateurs croissent de manière exponentielle.
Compte tenu de son expertise en traitement de l’information numérique, entretenue depuis les années 1930, et de ses compétences dans les serveurs d’entreprises à haute performance, Bull décide d’entrer sur le marché des supercalculateurs en 2006, avec une offre atypique. En quelques années, ses solutions sur base de modules de serveurs et de logiciels Open-Source l’ont positionné comme le premier acteur européen en la matière. La France compte ainsi parmi les quatre nations au monde ayant les capacités de construire des supercalculateurs, les autres étant la Chine, le Japon et les Etats-Unis. Après l’affaire Snowden, et compte tenu des réticences qu’inspire encore la Chine, la France apparait comme un partenaire de choix, alliant capacités industrielles et solutions de sécurité indépendantes des fournisseurs américains.
C’est une des raisons pour lesquelles le Brésil vient d’ailleurs de se doter de supercalculateurs pétaflopique (atteignant les millions de milliards d’opérations par seconde) auprès de Bull. L’originalité de Bull tient aussi à l’intégration des aspects énergétiques dans la conception de ses supercalculateurs : alors que traditionnellement, le calcul intensif est très vorace en capacités énergétiques (alimentation et refroidissement notamment), Bull a développé au sein de sa gamme BullX des produits dits éco-efficaces, classés 5ème au sein du classement Green500, qui évalue l’éco-efficacité des supercalculateurs. En faisant appel à Bull et à la France, le Brésil vient de rejoindre le club fermé des dix pays avec des capacités en calcul intensif. Le Brésil peut ainsi prétendre se positionner sur la prochaine révolution numérique : Cloud et Big Data.
2.2. Cloud, Big Data et internet 3.0 : souveraineté numérique et cybersécurité
« Nous avons développé des expertises et ciblé des différenciateurs dans trois domaines que nous estimons majeurs : maîtrise des systèmes de calculs complexes et des grosses infrastructures, maîtrise des intégrations logicielles et maîtrise de la sécurité. […] Les supercalculateurs sont l'un des trois piliers nécessaires pour disposer d'une offre d'information et services fiable et crédible. Sur ces trois piliers, beaucoup de nos concurrents ont une expertise, certains peuvent en avoir deux mais des entreprises qui maîtrisent les trois expertises absolument nécessaires pour occuper le marché du Cloud, je n'en connais pas beaucoup », expliquait en janvier 2014 Philippe Vannier. Suivant cette logique, l’objectif de Bull est connu : se positionner comme l’acteur européen de référence en matière de solutions de Cloud Computing.
Maintenant que commencent à être levés les doutes qui pouvaient subsister sur la viabilité des solutions Cloud, les entreprises ont de plus en plus recours à la délocalisation virtuelle du stockage de données. Premier avantage substantielle pour le client, « le Cloud permet aux clients de ne payer qu'en fonction de leur consommation. Toute l'infrastructure et la gestion ont été transférées à des entreprises tierces, qui doivent maîtriser les trois piliers que j'ai déjà évoqués », poursuit le PDG de Bull. Autre avantage, d’ordre opérationnel cette fois, le Cloud permet de sécuriser un patrimoine immatériel, à l’abri des incendies et autres catastrophes naturelles ou non, mais aussi des intrusions physiques, du piratage des serveurs… Des structures étatiques sont parfois à la manœuvre : « [l’affaire Snowden] est finalement un atout pour une migration vers le Cloud. Avec l'expertise reconnue de Bull dans le domaine des infrastructures de calcul, des intégrations de logiciels complexes et de la sécurité, nous offrons un système plus sûr à un client que s'il gardait son IT chez lui. Le Cloud va lui permettre d'avoir un système plus sûr », résume Philippe Vannier.
Car les enjeux qui se profilent derrière le Cloud ont de quoi intéresser les industriels et les organisations de tous types. Avec le Cloud peut débuter l’ère des objets connectés, l’Internet 3.0. « Avec des objets connectés, les marques se positionnent dans la dernière brique, au plus près des consommateurs. Ce qui permet de segmenter plus uniquement à partir de critères sociodémographiques, mais sur la base de facteurs totalement quantifiables et personnalisables. C'est du CRM one to one qui va encore plus loin que ce qui a été bâti avec le mobile », explique Alban Clochet, du cabinet Labcity. Première conséquence prévisible : le volume de données généré va exploser dans la décennie à venir, raison de plus pour investir sur le créneau des supercalculateurs. L’ère du Big Data commence : de 2013 à 2020, les estimations du cabinet IDC, réalisées pour le spécialiste américian du stockage EMC, tablent sur une multiplication du volume de données par 10, pour atteindre 44 zéttaoctets (44 000 milliards de Go). Tout le monde espère profiter de cette corne d’abondance de données, d’autant plus que l’internet des objets va générer beaucoup plus de données exploitables qu’auparavant. Selon le rapport du cabinet IDC, « en 2013, seules 22% des données numériques étaient exploitables et 5% seulement d'entre elles ont été analysées, laissant un vaste trou noir dans l'univers numérique. L'expansion de l'Internet des objets devrait porter à 35% la proportion des données exploitables. »
Pour répondre à ce défi, chez Bull comme chez la plupart des grandes sociétés concernées, l’heure est aux manœuvres de regroupement, parce que seuls ceux qui auront atteint une taille critique suffisante pourront s’imposer sur ce marché. Si selon cette logique Bull a su s’attirer les faveurs d’Atos, c’est non seulement en raison de ses compétences techniques globales, particulièrement en cybersécurité, mais aussi grâce à sa capacité à fournir des solutions intégrales de Cloud souverain.
3. Atos-Bull : la naissance d’un géant européen
Analyse SWOT Bull
Avec 87,2 % des actions de Bull au 9 septembre 2014, la société Atos a sans aucun doute réussi son OPA amicale sur l’entreprise historique de services et de matériels informatiques. Cela a d’ailleurs été attesté par l’AMF le 11 aout. Valorisé à hauteur de 620 millions d’euros, Bull permet à Atos de se positionner en leader européen sur les secteurs très convoités du Cloud, du Big Data, et l’internet 3.0, le tout sur fond d’une expertise historique en cybersécurité, domaines dans lesquels la plus-value apportée par Bull risque d’être déterminante. « La nouvelle structure Bull aurait une taille critique suffisante pour avoir une véritable force de frappe en Europe », indique ainsi Philippe Vannier. En effet sur les marchés émergents du numérique, Cloud et Big Data en particulier, la taille compte, parce que la capacité de stockage des infrastructures et la qualité des outils de traitement de données vont impacter directement l’efficacité et les potentialités de l’entreprise. Dans ce secteur du marché du numérique, il n’y aura pas réellement de place pour l’ingénieur génial qui monte sa start-up dans son garage. Bull et Atos, comme Google et Amazon avant elles, ont dû s’acquitter de coûts d’entrée sur ce marché rédhibitoires pour l’immense majorité des PME œuvrant sur les mêmes technologies.
Derrière ce rapprochement, Atos a clairement affiché son ambition de se positionner en leader européen du Cloud, de la cybersécurité et du Big Data. Une vision partagée par Bull : « Ce rapprochement va donner naissance à une entreprise de premier plan et une marque informatique de référence en Europe. Le nouveau groupe ainsi constitué devient Numéro 1 du cloud privé en Europe et l'un des principaux leaders dans la cybersécurité et le Big Data », précisait à l’issue de la première phase de l’OPA le PDG de Bull, Philippe Vannier. Ouvrant sur le même segment de marché que Bull, Atos fournit des services de conseil et d’intégration de systèmes, d’infogérance et des services transactionnels, pour un chiffre d’affaires annuel de 8,6 milliards d’euros et 76 300 collaborateurs dans 52 pays. Compte tenu des similitudes en termes d’activités, Atos espère de ce rapprochement des synergies et des économies d’échelles de l’ordre de 80 millions d’euros. Ce sera également l’occasion pour Bull de concrétiser plus rapidement que prévu son plan stratégique One Bull 2014-2017, visant à multiplier par deux l’EBIT à l’échéance. Si aucun plan social ni aucun restructuration ne sont prévus à l’heure actuelle au sein des deux groupes, l’organisation et la répartition des activités va évoluer fortement, avec une spécialisation accrue des deux entités. « Si cette OPA est un succès, nous créerons au sein d'Atos un véhicule, qui regroupera l'ensemble des activités liées au Big Data et à la cybersécurité des deux groupes », déclarait Thierry Breton, PDG d'Atos, en mai 2014. Atos de son côté va se concentrer sur le Cloud, et l’entreprise intégrera la division Cloud de Bull au sein de sa filiale Canopy, créée en 2012. « En fondant nos activités cloud avec celles de Bull, nous possèderons 100 data centers dans le monde, répartis dans une quinzaine de hubs régionaux et transcontinentaux », ajoute par ailleurs Thierry Breton.
Au final, en dans une relative discrétion, l’Europe assiste à la naissance d’un géant de l’informatique. En cumulant strictement les chiffres d’affaires, l’entité nouvellement créée génère donc un volume d’activité de près de 10 milliards d’euros, dont près de 500 millions sur les seules activités de cybersécurité et de Big Data. Des chiffres plus qu’honorables sur des marchés qui sont encore loin d’être arrivés à maturité : selon le cabinet Gartner, si 57 % des entreprises interrogées déclarent mener des projets d’intégration Big Data, seules 8 % d’entre elles se sont pour l’instant dotés de capacités en la matière. Le même cabinet évalue à 25 % la croissance de ce marché sur les deux à venir pour atteindre les 36 milliards d’euros en 2016. Au-delà des questions de cybersécurité et de mise en œuvre de technologies de Cloud souverain, ces considérations sont très certainement rentrées en ligne de compte pour le lancement de l’OPA de Atos sur Bull.
Conclusion
La société Bull est arrivée à la porte des années 2000 avec une histoire mouvementée et un bilan affaibli par l’épisode de la nationalisation. De restructurations en rachat de compétences clés, Bull s’est par la suite imposé comme un acteur français incontournable en architecture des systèmes numériques critiques. Forte ces savoir-faire nombreux, permettant maitrise et sécurité de bout en bout de la chaîne numérique, l’entreprise s’est recentrée sur la fourniture de services et de produits numériques complexes. Partant de là, Bull a pu se diversifier technologiquement parlant, et amorcer le virage du calcul haute-performance et des supercalculateurs. Par cette stratégie du pas-à-pas, Bull s’est doté de toutes les compétences pour s’inscrire parmi les leaders du Cloud privé et du traitement du Big Data.
Compte tenu de son ancienneté et de son expertise dans le domaine de la cybersécurité et du traitement de l’information, Bull-Atos est une entreprise qui dispose désormais de sérieux atouts pour affronter les bouleversements technologiques à venir, qu’il s’agisse du Cloud ou du Big Data. Sur des marchés en ébullition face à ce qui pourrait devenir la phase n°2 de la révolution numérique, après l’arrivée d’internet, il n’était que temps de voir l’Europe se doter d’un acteur de premier plan pour affronter la concurrence mondiale. En ce sens, les responsabilités portées par Bull et Atos dépassent très largement le seul cadre économique.
(*) Jean-Pierre Brulé, L'informatique malade de l'Etat, Editions Les Belles Lettres, 1993, p.263.
[Jean-Pierre Brulé a été président de Bull de 1972 à 1981]
Derrière ce rapprochement, Atos a clairement affiché son ambition de se positionner en leader européen du Cloud, de la cybersécurité et du Big Data. Une vision partagée par Bull : « Ce rapprochement va donner naissance à une entreprise de premier plan et une marque informatique de référence en Europe. Le nouveau groupe ainsi constitué devient Numéro 1 du cloud privé en Europe et l'un des principaux leaders dans la cybersécurité et le Big Data », précisait à l’issue de la première phase de l’OPA le PDG de Bull, Philippe Vannier. Ouvrant sur le même segment de marché que Bull, Atos fournit des services de conseil et d’intégration de systèmes, d’infogérance et des services transactionnels, pour un chiffre d’affaires annuel de 8,6 milliards d’euros et 76 300 collaborateurs dans 52 pays. Compte tenu des similitudes en termes d’activités, Atos espère de ce rapprochement des synergies et des économies d’échelles de l’ordre de 80 millions d’euros. Ce sera également l’occasion pour Bull de concrétiser plus rapidement que prévu son plan stratégique One Bull 2014-2017, visant à multiplier par deux l’EBIT à l’échéance. Si aucun plan social ni aucun restructuration ne sont prévus à l’heure actuelle au sein des deux groupes, l’organisation et la répartition des activités va évoluer fortement, avec une spécialisation accrue des deux entités. « Si cette OPA est un succès, nous créerons au sein d'Atos un véhicule, qui regroupera l'ensemble des activités liées au Big Data et à la cybersécurité des deux groupes », déclarait Thierry Breton, PDG d'Atos, en mai 2014. Atos de son côté va se concentrer sur le Cloud, et l’entreprise intégrera la division Cloud de Bull au sein de sa filiale Canopy, créée en 2012. « En fondant nos activités cloud avec celles de Bull, nous possèderons 100 data centers dans le monde, répartis dans une quinzaine de hubs régionaux et transcontinentaux », ajoute par ailleurs Thierry Breton.
Au final, en dans une relative discrétion, l’Europe assiste à la naissance d’un géant de l’informatique. En cumulant strictement les chiffres d’affaires, l’entité nouvellement créée génère donc un volume d’activité de près de 10 milliards d’euros, dont près de 500 millions sur les seules activités de cybersécurité et de Big Data. Des chiffres plus qu’honorables sur des marchés qui sont encore loin d’être arrivés à maturité : selon le cabinet Gartner, si 57 % des entreprises interrogées déclarent mener des projets d’intégration Big Data, seules 8 % d’entre elles se sont pour l’instant dotés de capacités en la matière. Le même cabinet évalue à 25 % la croissance de ce marché sur les deux à venir pour atteindre les 36 milliards d’euros en 2016. Au-delà des questions de cybersécurité et de mise en œuvre de technologies de Cloud souverain, ces considérations sont très certainement rentrées en ligne de compte pour le lancement de l’OPA de Atos sur Bull.
Conclusion
La société Bull est arrivée à la porte des années 2000 avec une histoire mouvementée et un bilan affaibli par l’épisode de la nationalisation. De restructurations en rachat de compétences clés, Bull s’est par la suite imposé comme un acteur français incontournable en architecture des systèmes numériques critiques. Forte ces savoir-faire nombreux, permettant maitrise et sécurité de bout en bout de la chaîne numérique, l’entreprise s’est recentrée sur la fourniture de services et de produits numériques complexes. Partant de là, Bull a pu se diversifier technologiquement parlant, et amorcer le virage du calcul haute-performance et des supercalculateurs. Par cette stratégie du pas-à-pas, Bull s’est doté de toutes les compétences pour s’inscrire parmi les leaders du Cloud privé et du traitement du Big Data.
Compte tenu de son ancienneté et de son expertise dans le domaine de la cybersécurité et du traitement de l’information, Bull-Atos est une entreprise qui dispose désormais de sérieux atouts pour affronter les bouleversements technologiques à venir, qu’il s’agisse du Cloud ou du Big Data. Sur des marchés en ébullition face à ce qui pourrait devenir la phase n°2 de la révolution numérique, après l’arrivée d’internet, il n’était que temps de voir l’Europe se doter d’un acteur de premier plan pour affronter la concurrence mondiale. En ce sens, les responsabilités portées par Bull et Atos dépassent très largement le seul cadre économique.
(*) Jean-Pierre Brulé, L'informatique malade de l'Etat, Editions Les Belles Lettres, 1993, p.263.
[Jean-Pierre Brulé a été président de Bull de 1972 à 1981]