A quoi serviront les cessions prévues par la loi Pacte ?



Mercredi 23 Mai 2018


Le gouvernement souhaite céder au moins dix milliards d’euros de participations de l’Etat au cours du quinquennat afin de financer l’innovation et les technologies du futur. La cession de titres d’ADP et de FDJ sera ainsi permise par le futur projet de loi Pacte, présenté prochainement à l’Assemblée.



Le 6 mai dernier, sur BFM TV, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a réaffirmé son souhait de céder des participations de l’Etat dans Aéroports de Paris (ADP) et dans La Française des Jeux (FDJ). Objectif : alimenter, avec les produits de ces ventes, le nouveau « Fonds pour l’innovation de rupture », lancé en début d’année et doté de dix milliards d’euros.
 
ADP et FDJ : cessions en vue
 
Aujourd’hui, via l’Agence des Participation de l’Etat (APE) dirigée par Martin Vial, l’Etat détient 50,6 % du capital d’ADP, déjà coté en Bourse, et 72 % de celui de la FDJ, non cotée. Même si le niveau de cession n’a pas pour l’instant été officiellement arrêté, le gouvernement aurait l’intention, selon différentes sources, de céder l’intégralité (ou la quasi-totalité) de sa participation dans ADP, valorisée à plus de huit milliards d’euros, et de descendre à hauteur de 25 % ou 30 % du capital de la FDJ, avec une introduction en Bourse, ce qui lui permettrait de récolter entre 1 et 1,5 milliard d’euros. Dans le cas du groupe ADP, le moment de céder des parts semble particulièrement propice compte tenu de la progression exceptionnelle de la valorisation du groupe ces dernières années.
 
Les modifications législatives des seuils minimum de détention par l’Etat de ces entreprises,  nécessaires à la réalisation de ces opérations, devraient ainsi être inscrites dans un volet du projet de loi « Pacte » (« Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises »), comme l’a confirmé Bruno Lemaire lors de ses vœux, en janvier dernier. Selon les dernières déclarations du ministre de l’Economie, le 6 mai dernier, ce projet de loi doit être examiné en juin en conseil des ministres, puis soumis à l’Assemblée en juillet, pour être adopté avant la fin de l’année et entrer en vigueur en 2019.
 
Dans les deux cas, le gouvernement a également réaffirmé sa volonté de garder le contrôle de ces activités par la régulation, plutôt que par la présence au capital. Concernant le groupe ADP, le locataire de Bercy a ainsi promis une solution qui préserve les intérêts publics, en particulier sur les questions de sécurité, les frontières et les tarifs aéroportuaires. L’Etat conservera aussi les terrains des aéroports de Roissy, d’Orly et du Bourget, considérés comme stratégiques, et déléguerait les activités de gestion aéroportuaire via des contrats de régulation d’une durée de cinq ans. De même, pour la FDJ, une nouvelle autorité de régulation aura pour mission d’éviter « un développement excessif des jeux en France » et de prévenir les « risques d’addiction ».
 
« Il y a dans l’idée de céder des actifs de l’Etat dans Aéroports de Paris une vraie vision de ce que doit être l’Etat dans l’économie », a justifié Bruno Le Maire, qui ne juge pas pertinent de « bloquer neuf milliards d’euros – c’est à peu près le montant de la participation de l'Etat dans ADP – pour environ 180 millions de dividendes alors que ces neuf milliards d’euros pourraient être utilisés de manière beaucoup plus efficace ». Comment ? En finançant l’innovation, les start-ups et les technologies de demain, répond le gouvernement.
 
Création d’un « Fonds pour l’innovation de rupture »
 
Les recettes de ces cessions d’actifs de l’Etat serviront en effet à alimenter le nouveau « Fonds pour l’innovation de rupture », lancé en début d’année conformément à une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Constitué au sein de l’établissement public Bpifrance et doté de dix milliards d’euros, ce fonds devrait générer des revenus d’environ 260 millions d’euros par an, destinés à « soutenir le développement d’innovations de rupture et leur industrialisation en France ». Des recettes qui viendront s’ajouter aux 140 millions d’euros annuels dont dispose Bpifrance pour financer l’écosystème du numérique.
 
L’Etat a déjà transféré à ce fonds 1,6 milliard d’euros tirés de la cession de titres Engie et Renault réalisée au cours des derniers mois, ainsi que 8,4 milliards d’euros de titres EDF et Thales détenus par l’Etat, qui n’ont pas vocation à être cédés et seront progressivement remplacés par les recettes des futures cessions d’actifs. « On ne va pas laisser les futurs SpaceX ou les producteurs de véhicules autonomes nous passer sous le nez. Il faut que nous puissions investir davantage dans les innovations de rupture, qui ne sont pas immédiatement rentables pour les entreprises », a souligné Bruno Le Maire. « Pour rester dans la course économique, nous devons investir massivement dans l’innovation » car « l’innovation est la clé de la nouvelle industrie française, que symbolise la FrenchFab ». Le ministre de l’Economie et sa collègue Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ont d’ailleurs confié à quatre experts une mission sur les aides à l’innovation.
 
« L’enjeu n’est pas de créer un nouveau satellite, mais de repenser le système et de revoir les interfaces entre les dispositifs. Il faut aider au transfert de l’innovation de la recherche vers le privé », a déjà expliqué l’un de ces quatre experts, Stéphane Distinguin, président du pôle de compétitivité Cap Digital et fondateur de la société de conseil FaberNovel. « Il faut absolument un quota important qui aille vers les start-ups de la « deep tech » (innovations de rupture) », a précisé de son côté Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance, qui sera chargé d’attribuer et de gérer ces aides.
 
Assurer la souveraineté technologique
 
Jusqu’ici, les dispositifs de soutien à l’innovation – qui sont passés de 30 à 60 entre 2000 et 2015 selon la lettre de mission des ministres – n’ont en effet pas permis à la France de tirer son épingle du jeu dans la compétition internationale. « Les comparaisons internationales montrent que si la France dispose d’une recherche amont importante et de haut niveau, la diffusion de l’innovation dans les entreprises et la valorisation économique de la recherche restent en deçà de leur potentiel », écrivent ainsi Bruno Le Maire et Frédérique Vidal. « La dépense de R&D de la France reste en retrait : 2,2 % du PIB en 2015 contre 2,9 % en Allemagne et 2,8 % aux Etats-Unis », indique la lettre de mission, qui pointe aussi le déclin de l’industrie manufacturière bien qu’elle concentre la moitié des dépenses de R&D.
 
La création de ce fonds « marque la volonté du gouvernement de poursuivre l’effort en faveur de la capacité d’innovation de l’économie française et invite à définir une doctrine d’emploi des fonds qui repose sur les modes d’intervention jugés les plus efficaces », rappellent Frédérique Vidal et Bruno Le Maire. « La préparation de la politique de soutien à l’innovation pour les dix prochaines années requiert donc une réflexion globale sur l’efficacité des dispositifs existants ».
 
La France voit aussi ce fonds français comme « la préfiguration d'un fonds pour l'innovation de rupture au niveau européen », d’un montant d’« environ 2 à 2,5 milliards d’euros », a également déclaré par ailleurs Bruno Le Maire. Il s’agit selon lui de constituer un fonds européen disposant de « la même puissance que la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency) américaine », l’agence du département de la Défense dédiée à l’innovation de rupture, qui a par exemple été à l’origine d’internet ou du GPS. « En matière de transports, d'autonomie, de stockage des énergies renouvelables, de supercalculateurs, d’intelligence artificielle et d’espace, il est temps que l’Europe se dote des moyens de sa puissance et de sa souveraineté technologiques ».

Capucine Davignon